La mission préventive des agents de renseignement consiste à anticiper les dangers, à identifier les signes avant-coureurs et à agir longtemps à l’avance. Cela va de la détection de l’influence d’un imam salafiste à l’identification de réseaux d’espionnage. Toutefois, la réforme en cours depuis plusieurs années au sein du Service de sécurité, baptisée « REMIX », vise une spécialisation accrue pour prioriser les menaces les plus graves, avec un accent particulier sur le terrorisme.
Inconfort du personnel
Cette nouvelle orientation suscite des inquiétudes : le travail des agents se rapprocherait de celui des policiers, au détriment de la collecte et de l’analyse générales, qui sont pourtant au cœur du renseignement d’État.
mouetteLa Sûreté a même fait marche arrière en ce qui concerne la surveillance des mosquées, mais c’est une tâche qui lui incombe directement.
Sur le terrain, plusieurs acteurs sécuritaires constatent que cette réorientation stratégique, censée répondre aux recommandations de la commission d’enquête sur les attentats de Bruxelles, ne produit pas les effets escomptés. Et ce, malgré l’augmentation des effectifs du service (1 000 agents actuellement). Une Source policière de haut rang observe par exemple que «la Sûreté a même fait marche arrière en ce qui concerne la surveillance des mosquées, mais c’est une tâche qui lui incombe directement« .
Les inquiétudes des syndicats
Tous les syndicats au sein de la Sûreté partagent cette analyse. Dans une lettre adressée au Comité R, ils ont dénoncé le «effets délétères de la réforme” OMS, “bien que nécessaire “, aurait été “mis en œuvre au détriment de l’expertise et de la spécialisation thématique, qui constituent la valeur ajoutée de notre service depuis de nombreuses années « .
Ils critiquent également le «Centralisation bruxelloise “, le “dévalorisation idéologique de l’intelligence générale“et le”inflation des frais administratifs », soulignant que cela conduit à «une certaine forme d’abandon du travail de terrain, notamment en province « .
Les signataires soulignent également «un niveau de malaise sans précédent dans l’histoire de notre service« .
Les témoignages que nous avons recueillis (voir encadré) confirment cet état de fait, qu’un syndicaliste résume en disant : «La situation reste inchangée« . Le malaise est encore accentué par «anomalies persistantes de la nouvelle plateforme informatique» et un projet de modification statutaire des membres des services externes et internes.
«On ne veut plus de couteaux suisses»
La Direction de la Sécurité n’a pas souhaité réagir. Cependant, la réforme qu’elle mène s’inspire du modèle « d’enquête » emprunté au MI5 britannique, qui vise à spécialiser les agents dans un seul « métier ».
Contrairement aux agents polyvalents du passé, capables de gérer des sources humaines, d’effectuer de la surveillance, d’analyser les télécommunications ou de collecter des informations sur les réseaux sociaux, les agents sont désormais spécialisés. “Nous ne voulons plus de couteaux suisses », entend-on dans les sphères supérieures de la Sécurité, où l’on considère que cette spécialisation garantira une plus grande efficacité.
mouetteIl est vrai que nous ratissons plus étroit qu’il y a quelques années, mais nous nous concentrons davantage là où cela est nécessaire.
Cette spécialisation concerne également des thématiques, avec des priorités dictées par le risque de violence.
“Il est vrai que nous ratissons plus étroit qu’il y a quelques années, mais nous nous concentrons davantage là où cela est nécessaire.», nous confie une Source proche de la direction. “Nous préférons nous concentrer sur tout ce qui est susceptible de constituer un danger imminent, certainement au détriment d’un renseignement plus général. Pour vous donner un exemple fictif, nous ne sommes peut-être plus en mesure d’informer le commandant d’une police locale du nombre de participants à une manifestation d’ultranationalistes flamands ; en revanche, nous sommes mieux à même de détecter un projet d’attaque d’une mosquée par des extrémistes de droite.»
“On risque de passer à côté d’une menace”
Cette logique est cependant contestée au sein même de l’institution.
Pour le syndicat Sypol, le modèle d’enquête crée une confusion des rôles : «Celui de la police est justement de réagir aux risques imminents. Notre objectif est d’identifier dans un premier temps les individus et les structures qui représentent une menace potentielle pour la sécurité de l’État. », précise un délégué syndical.
mouetteNous avons tiré la sonnette d’alarme auprès du Comité R, mais aucune réponse ne nous est parvenue
Selon lui, pour remplir cette mission, «il ne faut renoncer ni au maillage territorial, ni à la collecte d’informations générales qui permettent d’avoir une vision complète des phénomènes. Lorsque la menace est concrète, il faut en donner la direction à la police. Cela ne veut pas dire que nous devons renoncer à acquérir des compétences proactives en matière d’obstacles. Nous avons tiré la sonnette d’alarme auprès du Comité R, mais aucune réponse ne nous est parvenue« .
Un modèle « inadapté »
Une autre Source de terrain ajoute : «Le modèle emprunté aux Anglais ne vient pas de n’importe où, c’est précisément celui du contre-terrorisme qui, outre-Manche, vise à contrer activement les menaces urgentes. Il est inadapté à notre service défensif et généraliste. Notre métier n’est pas de neutraliser une cellule dormante au moment où elle s’active en vue de commettre un attentat, mais c’est de déployer nos antennes partout, là où nous pouvons capter la montée de la radicalité sur laquelle les terroristes« .
Selon cette Source, en négligeant la prévention, «nous nous exposons, dans le futur, à devoir faire face à une menace grave qui nous aura échappé. Sans parler des services étrangers dont nous dépendons, et avec lesquels nous n’aurons plus grand chose à partager.« .
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