Célibataire, la trentaine, Julie* ne voulait surtout pas se « réveiller à 40 ans sans enfants ».
Elle s’est tournée vers la clinique de fertilité Procréa, au Québec, où elle a reçu une « paille » de sperme d’un donneur anonyme, qui ne pouvait « donner que cinq fois, qu’il y ait grossesse ou non », aurait dit un professionnel de la clinique. lui assura-t-il.
«J’étais complètement confiante», dit-elle.
C’était en 2016. Son fils est né lors de sa deuxième tentative d’insémination. Elle a donc utilisé deux pailles du donneur.
Faites le calcul. Cela ne laissait que trois chances pour que mon fils ait un demi-frère ou une demi-sœur quelque part.
Julie
Si Julie parle au passé, c’est qu’elle se sent désormais flouée par Procréa (fusionnée avec la clinique Ovo en 2021).
Julie a découvert, en marge d’une enquête journalistique menée par Marie-Christine Bergeron et Maxime Landry**, que le père de son fils est l’un des trois donneurs en série qui auraient engendré près de 700 enfants au Québec, la majorité par dons artisanaux.
Ces journalistes ont découvert la pratique du donneur baptisé X et de ses deux fils, donneurs Y et Z, ainsi que l’identité de la mère).
Le donneur Z (ou D-073, selon son numéro de donneur chez Procréa) s’appelle Raphaël Normand, a pu confirmer La presse.
Une femme qui s’estime victime de ces donneurs en série, Laurie***, vient de porter plainte pour contraindre les trois hommes à cesser leurs dons.
« Le gouvernement s’en lave les mains », déplore la mère de quatre enfants issus de dons artisanaux de sperme. Ce sont les mères qui portent le problème sur leurs épaules. »
Il ne se passe pas un mois sans que Laurie soit contactée sur les réseaux sociaux par une mère paniquée qui découvre que son enfant, issu d’un don de Philippe Normand ou d’un de ses fils, est lié à près de 700 autres enfants nés dans la province.
Un « film d’horreur »
La presse a recueilli les témoignages de cinq familles qui se retrouvent malgré elles impliquées dans ce « film d’horreur » – l’expression est de l’une d’elles – alors qu’elles ont tout fait « dans les règles ».
Ils ont tous reçu un don de Raphaël, dont le père, Philippe Normand, est porteur du gène d’une maladie héréditaire rare, la tyrosinémie, qui peut causer des problèmes rénaux et hépatiques.
De plus, au moins un enfant donné à la clinique de fertilité Raphaël souffre d’une maladie génétique grave – le syndrome de DiGeorge – même si la mère n’est pas porteuse du gène.
La presse a retrouvé et confronté Raphaël, qui affirmait que ses derniers dons à la clinique remontaient à une dizaine d’années. Il confirme avoir également fait des dons artisanaux à six familles, qui auraient donné lieu à deux naissances.
Aujourd’hui, les parents qui ont reçu un don de Raphaël à la clinique se sentent abandonnés par l’État et par l’établissement de santé en qui ils avaient confiance.
Dans les échanges de courriels qui La presse a pu consulter, la clinique Ovo fournit simplement un numéro de donneur aux familles concernées (soit le D-073), leur indiquant de consulter leur médecin de famille si elles ont des inquiétudes concernant d’éventuels problèmes génétiques chez leur progéniture.
« Je suis allé à la clinique parce qu’on m’avait assuré que les tests génétiques avaient été faits ; qu’il y a peu de risque de consanguinité, dit Julie. J’ai fait tout ce que je pouvais pour éviter que cela se produise. »
Allez à la clinique, dit Dubé
Après la diffusion du documentaire à l’automne 2023, le ministre de la Santé, Christian Dubé, avait insisté sur le fait que les femmes devraient consulter une clinique de fertilité plutôt que de recourir aux dons faits maison.
Son ministère a rappelé que le Programme de procréation médicalement assistée proposait un programme « balisé et basé sur les meilleurs standards de pratique ».
Valérie, dont la fille de 11 ans est issue du don de Raphaël à la clinique Procréa de Montréal, ne s’en offusque pas. Là, on lui aurait assuré verbalement qu’un donneur pourrait fournir son sperme à « dix familles » au maximum, réparties à travers le Québec.
Aujourd’hui, elle frappe à toutes les portes pour recevoir de l’aide. En vain.
Valérie n’a ni médecin de famille ni moyens de se tourner vers le privé pour savoir si sa fille est porteuse d’une maladie génétique.
Elle a écrit au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), qui a répondu par un courriel générique adressé aux femmes qui avaient fait affaire avec un donneur artisanal, alors qu’elle avait reçu un don dans une clinique de fertilité.
J’ai reçu un copier-coller. Il est clair qu’au Ministère, ils n’ont pas lu mon email.
Valérie
Le MSSS se dit « sensible à la situation vécue par ces familles ». «Nous comprenons qu’ils puissent se sentir frustrés et déçus», a déclaré par courriel son porte-parole, Francis Martel. Notons que la réponse envoyée par le MSSS visait à fournir des informations pertinentes à toutes les femmes touchées par les donneurs ciblés, et ce, dans un premier temps seulement. » Le MSSS a un plan d’action pour l’avenir, assure-t-il.
Valérie regrette de ne pas avoir demandé à la clinique une preuve écrite du nombre maximum de dons par donneur.
Dans la même galère
«Je suis allée à la clinique pour éviter d’avoir des problèmes et je me suis retrouvée avec les mêmes problèmes que les autres», raconte Jacinthe, suivie à Procréa, avec son conjoint.
La clinique Ovo n’a pas jugé bon d’alerter Jacinthe – ni aucune autre famille à qui La presse a déclaré dans le cadre de ce reportage – que son donneur fait partie du trio père-fils, dont au moins un est porteur d’une maladie génétique.
Ni qu’un enfant du même donneur était atteint du syndrome de DiGeorge, alors que d’autres familles ayant également fait affaire avec Procréa étaient prévenues.
Il s’agit d’une maladie génétique rare. Le plus souvent, on retrouve des malformations cardiaques et palatines (fente palatine), ainsi que des anomalies faciales (dysmorphie). Un retard global de développement pouvant aller, dans certains cas, à une déficience intellectuelle, et une déficience du système immunitaire sont aussi parfois constatés, selon les informations transmises par la clinique Ovo à une mère inquiète.
Jacinthe a exigé des comptes d’Ovo. Nous avons répondu par email que nous étions « désolés » de ne pas l’avoir contactée plus tôt, soulignant qu’il est « très difficile de retrouver chacun des patients qui l’ont utilisé ». [en parlant de D-073] chez Procréa [avant la fusion] ».
La clinique précise également que le donneur “n’est pas joignable et n’a pas pu être contacté pour se faire tester lui-même et éliminer la pathologie de son côté”.
À une autre mère inquiète, la société a précisé qu’il n’y avait « malheureusement plus d’échantillons de ce donneur » ; “tout est épuisé.”
Je trouve que nous sommes les plus lésés, les plus grandes victimes parce que nous avons respecté la loi et puis nous nous retrouvons dans le même pétrin.
Jacinthe
« J’ai payé justement pour ne pas avoir un Starbucks qui donne partout, à n’importe qui, sans penser aux familles existantes ! », s’exclame Coralie, mère de trois enfants de D-073.
Les cinq familles interrogées dans ce reportage expriment le même souhait : la clinique doit « prendre ses responsabilités » et prévenir toutes les familles ayant reçu un don de D-073 et le lien avec cette famille d’ultra-donneurs.
Plus aucune trace
« Nous ne pouvons pas confirmer ou nier si votre donneur est mentionné ou non dans le dossier de santé publique. »
C’est la réponse qu’ont reçue Sandrine et son compagnon de la clinique Ovo après la diffusion du documentaire.
Le couple a été référé par le Centre hospitalier universitaire Laval (CHUL) vers Procréa Québec (maintenant Ovo) en 2017. « Nous nous sentions en confiance dans une clinique privée référée par l’hôpital », raconte Sandrine, amère.
À la clinique, le couple a déclaré avoir spécifiquement demandé que le donneur ne soit pas du Québec en optant pour une banque canadienne.
On lui a aussi indiqué qu’un donneur était utilisé « moins de 20 fois », relate Sandrine. Mais le donneur du couple s’est avéré être… le Québécois D-073. “Il faudrait qu’il y ait de vraies normes sur un nombre maximum d’enfants par donneur et qu’on sache vraiment d’où ça vient”, estime la mère de deux enfants.
Dans un rapport de La presse en 2018, la clinique Ovo précisait qu’elle limitait à 10 le nombre de familles qu’un donneur peut créer. Chez Procrea, à la même période, la clinique disait suivre les directives de l’American Society of Reproductive Medicine, soit 25 enfants par donneur. pour 800 000 habitants.
La directrice de la communication d’Ovo, Chloé Plenet, a indiqué qu’elle ne souhaitait pas « commenter ni participer à une interview » au sujet de ce reportage.
Sandrine et son compagnon redoutent le jour où ils devront tout expliquer à leur progéniture : « Quand nos enfants tomberont amoureux, il faudra faire en sorte que l’autre personne ne soit pas un demi-frère, un oncle ou un cousin. »
* Des mères qui se sont confiées La presse ont demandé l’anonymat pour protéger l’identité de leur enfant.
** Les deux journalistes sont désormais respectivement présentateur de nouvelles et responsable principal de l’information chez Noovo. Leur série documentaire est disponible sur Crave.
*** Une ordonnance du tribunal nous interdit de l’identifier.
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