A la cour d’assises spécialement composée,
Pull blanc, chemise noire, lunettes sur le nez, Mathis* est assis au premier rang dans cette salle des « grands procès » du palais de justice de Paris. Jeanne, la maman de ce garçon de 9 ans, se lève et se dirige vers le bar. Ce professeur d’espagnol, qui enseigne à l’université, a partagé la vie de Samuel Paty pendant onze ans. Le couple s’est rencontré en Seine-et-Marne, à Champagne-sur-Seine. «Nous étions collègues», a déclaré vendredi le quadragénaire au président de la cour d’assises spécialement composée, Franck Zientara. Le couple s’installe ensuite à Ergny-sur-Oise, dans le Val-d’Oise.
Après leur séparation, « qui s’est faite dans de bonnes conditions », ils ont vécu « à 50 mètres » l’un de l’autre. Près du collège où travaillait son ex-conjoint. Et depuis le lieu où il a été assassiné par Abdoullakh Anzorov le 16 octobre 2020. « Tout se passe dans une zone géographique très restreinte. »
“On souffre, on vit”
Le jour de l’attaque, Jeanne revenait du travail en bus. Lorsqu’elle est descendue, elle a immédiatement vu « des voitures et des policiers paniqués ». « La police venait de tuer le terroriste, mais je ne le savais pas encore. » Elle part chercher son fils à l’école. « Il me dit qu’il a entendu des pétards, mais des pétards dangereux », murmure-t-elle. De retour à la maison, Jeanne et Mathis dînent tôt. Elle apprend en regardant les informations qu’un professeur d’histoire-géographie du collège du Bois d’Aulne a été tué. « J’envoie des SMS à Samuel qui resteront sans réponse et l’inquiétude grandit », poursuit-elle. Commence alors « une longue soirée d’attente ». Vers 23h30, des policiers se sont présentés à son domicile et lui ont fait part du décès de son ex-compagnon. « Mathis dort toujours, sans toujours savoir. » Elle pense au lendemain, où elle devra lui annoncer « la mort de son père ».
« Nous sommes des victimes indirectes mais le préjudice subi ce jour-là est bien réel. Elle est invisible, psychique, mais elle a modifié à jamais notre vision de la vie, insiste Jeanne. C’est vraiment injuste de voir nos vies marquées par cet attentat depuis quatre ans. » « Les effets du stress post-traumatique » se font encore sentir. « Je dois me forcer chaque jour à intégrer les couteaux aux couverts avec lesquels nous mangeons. » Son fils « vit chaque jour avec la peur que sa mère meure à son travail », poursuit-elle, qualifiant cette situation d’« injuste ». « Nous existons malgré tout. Nous souffrons, nous vivons. » Pour son fils, elle demande « la vérité et la justice ». Elle souhaite pouvoir comprendre, à travers le procès des huit accusés, « la mécanique qui a généré l’attentat ».
“Il adorait enseigner et aimait l’université”
Cheveux courts, pull blanc, foulard rose noué autour du cou, Bernadette Paty, 77 ans, pose ses notes sur le bureau. Son mari, Jean, qui a fait « une mauvaise chute », est absent. C’est donc seule qu’elle livre à la cour les souvenirs qu’elle garde de son fils. « C’est mon mari qui mettait Samuel au lit » lorsqu’il était enfant. Il « ne voulait pas lui lire de contes pour enfants » et préférait lui raconter « l’Histoire de France ». C’est ainsi que le jeune Samuel Paty se découvre « une passion dévorante pour l’histoire ». Le jeune garçon était « un étudiant sérieux, extrêmement respectueux des gens ». En grandissant, il est devenu un homme « avec une très, très grande culture », un « intellectuel ». Il était « impossible de parler de choses insignifiantes avec lui ». “Il préférait le débat d’idées, même avec sa famille.”
« Discret » et « solitaire », Samuel Paty « n’était pas croyant », selon sa mère. En revanche, il était « extrêmement respectueux de toutes les religions ». « Il les étudiait avec les yeux d’un historien. » Son fils était un professeur « méticuleux, consciencieux, organisé ». « Il adorait enseigner et aimait l’université », poursuit-elle. Bernadette savait « qu’il allait montrer ces caricatures pour illustrer une leçon ». Il avait préparé ce cours « sur la liberté d’expression », « alors qu’il était en vacances chez nous en août ». Elle et son mari ignoraient « qu’il était en difficulté depuis qu’il avait montré » ces dessins. Bernadette lui avait parlé au téléphone « le dimanche précédant son assassinat ». « Il ne nous a rien dit. » Son fils, dit-elle, voulait les « protéger » et ne pas les « inquiéter ».
Une absence « de plus en plus lourde à supporter »
« Nous avons appris son assassinat en regardant la télévision mais nous n’en avons été officiellement informés qu’après minuit », soupire Bernadette. Avant d’ajouter : « Perdre un enfant dans de telles conditions est insupportable et inacceptable. Perdre notre fils parce qu’il montrait des dessins nous dégoûte. Qu’est devenue notre vie depuis ce jour ? Un grand vide. Nous ne voulons plus rien faire. Avant, nous allions au cinéma et au théâtre. Maintenant, nous nous forçons à faire de courtes promenades. L’absence de Samuel est de plus en plus lourde à supporter. » Depuis le drame, « toute la famille a été détruite ». “On ne veut plus de rien, on est tellement détruits que mon mari est malade”, déplore-t-elle.
Bernadette et ses proches ont reçu des expressions de soutien « du monde entier ». « C’était très choquant qu’on puisse s’en prendre à un enseignant. » Les « hommages qui lui sont rendus » lui réchauffent le cœur. « Rues, places, médiathèques, salles des fêtes, avenues… Son nom est partout en France », constate-t-elle. Le collège du Bois d’Aulne portera désormais le nom de son fils. «J’ai aussi lu que certains parents n’étaient pas tout à fait d’accord», dit-elle avec amertume. Cet ancien enseignant est « heureux d’être à la retraite car en ce moment les enseignants sont mis au défi ». « Je ne comprends plus le monde dans lequel nous vivons, cela me dépasse. »
“Se lever”
Mickaëlle Paty, l’une des deux sœurs de Samuel Paty, monte à la barre. Elle lit un texte intitulé « Debout ». Cette infirmière anesthésiste raconte que sa vie « s’est en quelque sorte arrêtée le 16 octobre 2020 ». Elle est en colère contre l’accusé qui a jeté son frère « au pâturage ». « C’est votre procès qui a commencé, vous qui avez fait le procès de mon frère », leur dit-elle. Avant de souligner : « Samuel n’a pas été assassiné pour avoir montré des caricatures et avoir commis un blasphème qui, par ailleurs, n’a aucune valeur juridique. Samuel a été assassiné par un islamiste radicalisé en quête de jihad, Abdoullakh Anzorov. C’est de l’islamisme qu’il s’agit et non des caricatures. »
Gaëlle, l’autre sœur de la victime, s’adresse également à l’accusé. « Sans vous, Samuel serait là aujourd’hui, il serait vivant. Tout le monde, à votre niveau, aurait pu stopper cette spirale désastreuse. » « Il ne suffit pas de ne pas se salir les mains pour ne pas être responsable de la mort de mon frère », ajoute-t-elle. Cette libraire et enseignante, qui vit dans le sud de la France, assure qu’elle n’acceptera jamais « la moindre excuse de la part de personnes qui ne reconnaissent pas leur responsabilité ». Demandant « du respect et de la décence dans ce procès », elle attend « des réponses de la justice, seulement de la justice, des réponses à la hauteur de l’enjeu ».
*Le prénom a été modifié
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