Le cliché des « deux Amériques irréconciliables » a été suffisamment mis à mal lors de la campagne présidentielle pour que nous ne nous attardions pas sur cette évidence. Oui, la politique économique des États-Unis va être bouleversée par l’arrivée du républicain Donald Trump à la Maison Blanche, en remplacement du démocrate Joe Biden. Reste une question moins simple : est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour l’économie française ?
Evidemment, avec Donald Trump, « ce n’est jamais évident d’anticiper », précise d’emblée Sylvain Bersinger, économiste au cabinet Asteres. Il y a un écart entre ce qu’il dit faire et ce qu’il fait réellement. » L’une des mesures phares du programme du milliardaire sur le commerce extérieur serait le retour d’un droit de douane sur les produits européens. Lors de son premier mandat en 2016, Donald Trump avait déjà taxé l’acier et l’aluminium. Cette fois, au nom de sa philosophie protectionniste, tous les produits seraient taxés, entre 10 et 20 %.
Divisions politiques bonus
“Ce serait évidemment une mauvaise nouvelle pour l’Europe et pour la France”, a déclaré Sylvain Bersinger. Même s’ils ne sont pas les principaux partenaires commerciaux, loin devant l’Allemagne, les Etats-Unis restent un client important.» Le quatrième plus précisément, avec 45 milliards d’exportations en 2023. Evidemment, l’Europe pourrait répondre par des mesures similaires, notamment poussées par l’Allemagne. Cette dernière exporte 150 milliards d’euros de produits vers les Etats-Unis, et a une balance commerciale (exportations – importations) positive de 50 milliards avec les Etats-Unis. « Ce n’est pas le cas de la France, qui importe plus qu’elle n’exporte, et qui a donc des intérêts divergents avec l’Allemagne. Cela risque de créer des divisions politiques», estime Stéphanie Villers, économiste senior chez PwC.
Mais la mesure n’est pas non plus tout à fait acquise d’un point de vue américain. Si une hausse des douanes est une mauvaise nouvelle pour l’Europe, “ce serait aussi une mauvaise nouvelle pour le consommateur américain”, rappelle l’expert. Aussi grand exportateur que soit le pays, il importe également beaucoup de produits. Conséquence : « une hausse des prix serait attendue. Cependant, le Parti démocrate a été boudé par les Américains car ils considéraient Joe Biden comme responsable de l’inflation. Donald Trump ne va peut-être pas prendre ce risque. »
Situation internationale tendue
Pas besoin donc de catastrophisme. Il y a aussi de bonnes nouvelles dans l’élection trumpiste. Sylvain Bersinger : “Il a prévu un budget très dépensier qui devrait conduire à plus de consommation et d’exportations, ce qui est une bonne nouvelle pour nous.” Mais soyez prudent à plus long terme. Voulant absolument relancer son économie, Donald Trump envisage de baisser les taux d’intérêt, « ce qui pourrait créer une bulle spéculative susceptible d’exploser, comme lors des subprimes en 2007 et 2008 ».
Au-delà des impôts et des taux d’intérêt, que faut-il penser de la politique internationale de Donald Trump ?
Et si Trump poussait l’Europe dans la bonne direction de l’histoire ?
Si un changement majeur dans la dynamique de la guerre en Ukraine n’aurait pas un impact direct sur la France, qui a déjà rompu presque tous ses liens économiques avec la Russie, qu’en serait-il de la Chine, à laquelle Donald Trump s’était montré très hostile (économiquement) lors de son premier mandat ? en augmentant les mesures protectionnistes ? Sur ce dossier, Stéphanie Villers fait même du président américain un allié : « L’Europe a aussi un différend avec la Chine, et les Vingt-Sept avancent déjà sur des hausses de droits de douane sur les importations chinoises. » Pour le spécialiste, Donald Trump apparaît de ce côté « moins comme une menace que comme un accélérateur d’une politique de représailles européenne en phase avec le protectionnisme américain et chinois. Nous savons dans quelle direction les États-Unis vont : la démondialisation et le retour à une production plus locale, ce qui nous pousse à faire de même.»
Le mandat trumpiste sera-t-il l’occasion rêvée pour l’Europe de s’émanciper et de développer son indépendance ? Philippe Crevel est moins optimiste : « Sans l’aide militaire américaine, et avec une Russie forte, les États européens devront augmenter leurs propres dépenses militaires, avec des budgets nationaux de plus en plus contraints. » Quant au retour du protectionnisme, « dans l’histoire, ce n’est jamais une bonne nouvelle. Toujours synonyme de baisse de la croissance, d’exacerbation des tensions entre pays, et de début d’un cercle vicieux. »
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