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Les élus fédéraux veulent rendre l’assassinat imprescriptible

La Commission des Affaires juridiques du Conseil des Etats souhaite inscrire l’imprescriptibilité de l’assassinat dans le Code pénal. Ce sujet très émotif est l’un des plus clivants au sein des Chambres fédérales.

Son communiqué est passé inaperçu. Il y a quelques semaines, la commission des affaires juridiques du Conseil des Etats a annoncé qu’elle avait décidé, à une courte majorité (5 voix contre 4), de soumettre à la Chambre haute un projet demandant que l’assassinat soit rendu imprescriptible.

Cette décision constitue une étape importante dans ce dossier qui occupe les Chambres fédérales depuis 2019. Cette année-là en effet, le canton de Saint-Gall déposait une initiative demandant que les délits les plus graves soient imprescriptibles.

Après un va-et-vient entre le Conseil national et le Conseil des Etats, le sujet est donc à nouveau sur le bureau du Conseil des Etats. Elle l’étudiera au printemps 2025 et une décision définitive sur cette question devrait être prise dans les prochains mois.

Prescrit après 30 ans

Aujourd’hui, en Suisse, l’assassinat est prescrit après 30 ans. Cela signifie qu’un assassin identifié ou venant à la table des négociations plus de trente ans après les événements ne risquerait absolument rien d’un point de vue criminel.

Prenons un exemple : en décembre 1993, un restaurateur genevois a été poignardé à plusieurs reprises dans son immeuble.

Cet homicide a donné lieu à de nombreuses mesures d’enquête, mais l’auteur n’a jamais été arrêté. Cette affaire, qui s’est déroulée il y a 31 ans, est donc prescrite depuis maintenant un an.

Que se passera-t-il si le tueur est retrouvé dans cinq ans ? Je le croisais dans la rue, je savais qu’il avait tué mon père, mais nous ne pouvions rien faire. Je le vis très mal

La fille d’un restaurateur genevois assassiné en 1993

Si le meurtrier sortait du bois, il ne serait pas inquiété par la justice. Interrogée dans La Matinale de la RTS, la fille du restaurateur ne cache pas son désarroi.

«Je ressens un sentiment de tristesse. Que se passera-t-il si le meurtrier est retrouvé dans cinq ans ? Je le croisais dans la rue, je savais qu’il avait tué mon père, mais rien ne pouvait être fait. Je vis un très mauvais moment, c’est triste, ne serait-ce que pour la mémoire de mon père», confie Murielle, rencontrée lundi soir chez elle.

Pour le quinquagénaire, la situation est difficile à gérer. « Avec mon frère, nous avions de l’espoir. Nous avons toujours eu de l’espoir, mais maintenant, nous ne l’avons plus. Et quand nous n’avons plus d’espoir, nous traversons une période difficile.

Professeur de droit pénal à l’Université de Genève et grand expert des questions de prescription, Yvan Jeanneret comprend la tristesse de Murielle, mais rappelle un message « qui est parfois difficile à entendre ».

Est-il encore judicieux de punir une personne qui a commis un délit il y a quarante ans, mais qui s’est parfaitement comportée depuis ?

Yvan Jeanneret, professeur de droit pénal à l’Université de Genève

« Le droit pénal est un droit qui est avant tout un droit de l’auteur. Il s’agit de sanctionner quelqu’un qui a commis un délit, mais il faut que cette sanction ait un sens. C’est une question qui se cache derrière la prescription. Est-ce que punir une personne qui a commis un délit il y a quarante ans, mais qui s’est parfaitement comporté depuis, a encore un sens», s’interroge Yvan Jeanneret.

“Snober”

On voit qu’il y a sur ce sujet une tension entre une approche émotionnelle et une approche plus légaliste. Cette tension explique les votes très serrés des élus dans les Chambres fédérales.

Membre de la commission des affaires juridiques du Conseil des Etats, Mauro Poggia est partisan de rendre l’assassinat imprescriptible. «Dans l’échelle des crimes les plus abominables, l’assassinat arrive en tête», explique le sénateur genevois MCG, qui siège au groupe UDC.

“Ce sont des délits particulièrement odieux, comme le dit le législateur, et il est choquant qu’au bout d’un certain temps, 30 ans aujourd’hui, le coupable, même découvert, puisse faire un pied de nez à la justice et surtout aux familles de la victime. .»

On risque de donner de faux espoirs aux familles des victimes

Romain Collaud, conseiller d’Etat fribourgeois PLR à la tête de la sécurité et de la justice

S’ils sont sensibles à cet argument, les cantons, dans leur grande majorité, sont opposés à ce que l’assassinat soit imprescriptible. Ils l’ont dit lors de la procédure de consultation menée par la Commission des affaires juridiques de l’État.

Les résultats de la consultation, rendus publics il y a quelques semaines, sont passés inaperçus. Dix-sept cantons ont rejeté le texte de la commission. Ce fut le cas dans les cantons de Genève, Vaud et Fribourg en Suisse romande.

De manière générale, certains cantons expliquent que pour prouver l’assassinat, il faut démontrer le « manque particulier de scrupules » de l’auteur. Cela peut impliquer la recherche et l’audition de témoins. Mais les retrouver après plus de trente ans et s’assurer de la fiabilité de leurs propos est loin d’être chose aisée.

“Il y a un risque de donner de faux espoirs aux familles des victimes”, a déclaré le conseiller d’Etat fribourgeois PLR Romain Collaud, responsable de la sécurité et de la justice.

Génocide et crimes de guerre

« La douleur n’a pas de prescription. Mais imaginez qu’une personne soit arrêtée trente après coup, qu’elle soit jugée pour meurtre, mais que l’assassinat ne puisse être retenu faute de succès dans la démonstration de l’absence de scrupules. L’auteur serait alors relâché et il serait peut-être il serait même nécessaire de le dédommager. La douleur des familles des victimes pourrait alors être encore plus grande.

La question de la prescription, très émouvante, devrait être tranchée l’année prochaine. On saura alors si l’assassinat devient imprescriptible au même titre que le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre ou les actes sexuels commis sur des enfants de moins de 12 ans.

Fabiano Citroni, service enquête de la RTS

 
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