Au deuxième jour du procès sur la mort du professeur, tué devant son collège en octobre 2020, le tribunal s’est penché sur la personnalité et le parcours des accusés. Le Réunionnais, accusé d’avoir échangé des contenus jihadistes avec Abdoullakh Anzorov, était dépeint comme quelqu’un de sympathique, gentil et proche de sa famille.
Un jeune homme à la silhouette élancée s’approche du bar. Cheveux courts et yeux marrons, Louqmane Ingar porte un simple t-shirt blanc et une veste noire. Poli, il s’est bien présenté devant la cour d’assises spéciale de Paris, où il a été jugé pour association de malfaiteurs terroristes. Avec sept autres personnes, il est accusé d’avoir joué un rôle dans les événements ayant conduit à la mort du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
Ouvert lundi matin, dans l’impressionnant palais de justice de Paris, le procès a ouvert les longs interrogatoires des prévenus. Le deuxième jour de l’audience, le mardi 5 novembre, le tribunal a commencé à examiner la personnalité et les antécédents des huit accusés. Cinq sont en détention provisoire et suivent la séance depuis le box. Les trois autres, dont Louqmane Ingar, semblent libres.
En fin d’après-midi, le président du tribunal a convoqué plusieurs enquêteurs de personnalité, qui se sont entretenus avec les prévenus pour déterminer qui ils sont. Sont-ils bien entourés ? Ont-ils de bonnes relations avec leurs parents ? Leurs amis ? Ont-ils un parcours scolaire chaotique ou au contraire remarquable ?
Arrêté le 2 novembre 2020, quinze jours après le macabre assassinat de Samuel Paty par un jeune Tchétchène radicalisé, Abdoullakh Anzorov, le Réunionnais Louqmane Ingar a passé un an et quatre jours en détention provisoire, à Fleury-Mérogis (Essonne). Loin de Saint-Denis, où il a grandi. Il est sorti de prison en novembre 2021, et est désormais placé sous contrôle judiciaire.
Après l’attaque, les enquêteurs ont découvert qu’il échangeait régulièrement des contenus djihadistes avec l’agresseur. Selon le Parquet national antiterroriste (PNAT), il aurait même envisagé d’aller faire le jihad aux côtés de groupes terroristes, en Syrie ou en Afghanistan. Concernant l’affaire Samuel Paty, le PNAT accuse le jeune homme, âgé de 18 ans au moment des faits, d’avoir soutenu le terroriste dans son projet d’attentat, lui souhaitant même “succès”.
Ce n’est cependant pas un jihadiste potentiel qui comparaît devant le tribunal. Mais un jeune homme qui s’adresse aux magistrats et aux avocats de manière très cordiale. Comment ce garçon qui n’a jamais eu de démêlés avec la justice a-t-il pu en arriver là ? Son enquête de personnalité n’a clairement apporté aucune réponse. Elle soulève même plusieurs questions, tant le portrait qui en a été dressé est élogieux.
L’enquêteur de personnalité, qui a rencontré le jeune homme lors de son incarcération, a décrit un individu “cordial” et “respectueux”. Elle l’interroge sur son enfance, ses parents, son éducation, ses relations amoureuses… Il en ressort un catalogue d’adjectifs élogieux. « Discret, sensible, humaniste »a confié son père à l’enquêteur, qui s’est également entretenu avec ses proches. « Poli, humble, rend service »» confirma sa mère. “Nous sommes très proches”décrit son grand-père… Travailleur, serviable, bien éduqué, fidèle en amitié, mature, gentil, obéissant… La liste est longue.
Née en 2002 à Saint-Denis de La Réunion, Louqmane Ingar a grandi dans une famille très attachée à l’éducation. D’ailleurs, du côté de ma mère, de nombreux oncles et tantes travaillent dans l’éducation. Ses parents, mariés jeunes, ont eu deux enfants. Louqmane est leur meilleur.
Cinq ans après sa naissance, un deuxième garçon est né. Les deux frères sont très proches. Mais un drame frappe la famille : en 2014, le plus jeune, âgé de 7 ans, reçoit un diagnostic de cancer de la moelle épinière. Il a été rapidement pris en charge, et a même été envoyé en France pour y être soigné. Mais en quelques mois, la maladie a gagné. Le garçon meurt.
Cette perte affecte Louqmane. Mais le jeune adolescent, qui n’a alors que 12 ans, décide de se nourrir de cette tristesse pour trouver un nouveau « le goût de la vie ». Et une vocation : il veut aider les autres. Après un parcours académique parfait (il a suivi une partie de sa scolarité dans des établissements privés catholiques, très réputés sur l’île), il décide de devenir infirmier.
Malheureusement, il n’a pas réussi à intégrer l’Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) de Saint-Denis, à La Réunion. Son deuxième choix est donc l’IFSI du Kremlin-Bicêtre, en région parisienne. A l’aube de ses 18 ans, le jeune Réunionnais quitte le cocon familial et insulaire et s’installe en France.
Rien ne ressort de son parcours. Louqmane Ingar n’a jamais eu de démêlés avec la justice. Cela semble bien intégré. Il a une famille sur laquelle il peut compter… Seule sa relation amoureuse avec une jeune adolescente – son « premier coup de foudre »dit-il – entre 2017 et 2020 révèle un petit défaut. Il est jaloux et possessif. Elle aussi. La relation est “toxique”. Mais, en éternel optimiste, il garde de bons souvenirs. “Je ne retiens que le positif, j’oublie le négatif”il a fait rapport à l’enquêteur de personnalité. “C’est peut-être une faute.”il admet.
Autre faiblesse qui est ressortie de son enquête de personnalité : son grand-père le juge un peu naïf concernant son rapport aux réseaux sociaux. Un élément qui fait écho aux propos de son avocat, qui juge que son client a fait preuve de « naïveté » en entrant en contact avec Abdoullakh Anzorov sur le réseau Snapchat.
Reste à faire la lumière pour comprendre comment ce jeune musulman pratiquant a basculé dans une quasi radicalisation. Lui qui est si serviable, si sociable, si gentil… Comment a-t-il fait pour se retrouver sur le banc des accusés dans une affaire de terrorisme ? Le tribunal examinera son cas plus en profondeur début décembre. Avec l’espoir de pouvoir expliquer comment ce fils idéal s’est retrouvé lié à un crime abominable.
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