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Immigration | Jetez votre ancre

Même avec les meilleures intentions, il est difficile d’analyser objectivement la réduction des objectifs fédéraux en matière d’immigration.


Publié à 02h23

Mis à jour à 6h00

Jeudi, le gouvernement Trudeau a fait volte-face aussi surprenant que spectaculaire. L’année prochaine, le nombre d’immigrants permanents diminuera de 20 %. Il passera ainsi de 500 000 à 395 000, puis à 380 000 en 2026 et à 365 000 en 2027.

Ce chiffre est-il trop bas, comme le prétendent les employeurs ? Ou même trop élevé, comme le soutient François Legault ?

Il n’y a pas de réponse définitive à ces questions.

La capacité fluctue en fonction du contexte socio-économique (marché du travail, pénurie de logements, cours de français) et politique (délais de traitement des demandes). Cela varie également en fonction des types de candidats sélectionnés. Ces facteurs ne sont pas statiques : le gouvernement peut les influencer.

Pour quantifier la capacité d’accueil, il faut aussi valoriser des choses intangibles comme la diversité sociale et la protection du français. Sur ces sujets, aucun expert ne peut trancher de manière neutre et scientifique.

Et ce n’est pas tout. Pour évaluer la capacité d’accueil, reste un autre obstacle, plus subtil et insidieux. C’est celui du point de référence choisi.

Ce phénomène est appelé « biais d’ancrage ». Un exemple classique : au magasin, un manteau est en vente. Sur l’étiquette, nous biffons le prix actuel, ce qui fait paraître l’autre plus petit.

De même, la baisse de 20 % annoncée par M. Trudeau semble majeure. Mais on peut aussi le comparer au niveau de 2015. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, le Canada accueillait 270 000 immigrants permanents.

Voici donc une autre façon de présenter les chiffres. De 2015 à 2025, cette immigration a bondi de 46 %.

Le revirement est néanmoins majeur.

Pour M. Trudeau, l’immigration n’est pas seulement une question économique ou humanitaire. C’est l’identité. La plus grande richesse du Canada, a-t-il déjà dit, c’est sa diversité.

Le Premier ministre a donc dû agir avec violence en décrétant cette réduction. Plus surprenant encore, il l’a annoncé lui-même – ce genre de conférence de presse aurait habituellement été fait seul par le ministre de l’Immigration, Marc Miller.

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PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES DE LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau lors de la conférence de presse de jeudi

Pour quoi ? Les valeurs de M. Trudeau n’ont pas changé. Il a plutôt répondu à la pression populaire. Le soutien à l’immigration diminue, encore plus dans les provinces anglophones, notamment en raison de son effet sur la crise du logement.

Lors des prochaines élections, M. Trudeau ne sera pas comparé à l’ancienne version de lui-même. On le mettra davantage en opposition à son rival Pierre Poilievre.

Le chef conservateur doit être satisfait de cette annonce. Il ne promet d’ailleurs pas de l’annuler.

Lors de sa course à la direction en 2022, M. Poilievre n’a pas osé critiquer la hausse record de l’immigration. Il ne voulait pas être accusé d’intolérance ou, pire encore, de trumpisme.

M. Trudeau vient de résoudre lui-même cette épineuse question.

L’effet d’ancrage se fera aussi sentir au Québec. Il n’y a pas si longtemps, la simple évocation d’une réduction des seuils d’immigration était suspecte. Ce n’est plus le cas.

Le Parti québécois dévoilera lundi son plan en matière d’immigration. En comparaison, il paraîtra un peu moins agressif.

Pour analyser l’annonce fédérale, le point d’ancrage le plus important devrait être ailleurs.

L’an prochain, le Québec et le Canada accueilleront respectivement près de 60 000 et 390 000 immigrants permanents.

Comparons ce chiffre avec les immigrants temporaires. Selon le dernier recensement, le Québec en compte 600 000 et le Canada, 3 millions. Ceux qui résident temporairement sur le territoire sont donc huit à dix fois plus nombreux que ceux qui obtiennent la citoyenneté.

L’accent mis sur le seuil d’immigration permanente semble donc exagéré. Alors que le Québec se déchire sur la question de savoir si l’immigration permanente doit augmenter ou diminuer de 10 000 candidats, aucun objectif n’existe pour les candidats temporaires.

Au niveau fédéral, une modeste réduction vient d’être promise pour la première fois – ces résidents passeront de 6,5% à 5% de la population, dit-on. Reste à savoir si l’objectif sera atteint.

Trois autres points d’ancrage influencent la perception de la baisse fédérale des seuils d’immigration.

Le premier point d’ancrage est le pays utilisé comme point de référence.

Le Canada reste un État très ouvert à l’immigration. Il est le plus accueillant du G7. En pourcentage de sa population, il accueille environ 50 % d’immigrants de plus que le Royaume-Uni et trois fois plus que les États-Unis.⁠1.

La seconde est la demande. Si l’on compare le nombre d’immigrés accueillis à celui de personnes qui souhaitent venir chez nous, le seuil actuel reste bas. Et ce déséquilibre va perdurer, en raison des conflits humanitaires qui accélèrent les migrations mondiales.

Le troisième point d’ancrage, plus anecdotique, est la comparaison historique. Le Canada bat actuellement des records. La proportion d’immigrés dans la population vient de dépasser le niveau record de 1921, qui était de 22,3 %.

Alors, que penser de la capacité d’accueil ? A vous de jeter l’ancre.

1. Consultez les chiffres de l’OCDE sur l’immigration

 
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