Les représentations diplomatiques du Québec aux États-Unis ont intensifié leurs efforts sur le terrain à l’approche de l’élection présidentielle. Ils cherchent à minimiser les répercussions d’éventuelles mesures protectionnistes sur les entreprises québécoises au lendemain du 5 novembre.
Frédéric Lacroix-Couture
La Presse Canadienne
Le Québec et l’ensemble de ses autorités en sol américain ont mis en œuvre une « préparation spéciale » dans le cadre du contexte électoral, indique le délégué à Washington, Benjamin Bélair, en entrevue à La Presse canadienne.
Le gouvernement du Québec a notamment augmenté les ressources de ses délégations pour assurer « une meilleure force de frappe », selon M. Bélair. Le ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF) a ajouté 11 postes répartis dans sept représentations établies aux États-Unis.
Les bureaux de Miami et de Washington sont passés au statut de délégations, « ce qui implique notamment une plus grande influence sur le territoire couvert, et une plus grande offre de services pour les partenaires et les entreprises québécoises », explique par écrit le MRIF.
Les ressources de la délégation dans la capitale fédérale américaine ont été doublées, précise M. Bélair.
En revanche, les délégations se préparent à toute éventualité en fonction des résultats. « Nous sommes prêts à tous les scénarios. Le Québec sera prêt à travailler avec la prochaine administration, quelle qu’elle soit», affirme M. Bélair, qui représente le Québec auprès du gouvernement fédéral américain depuis août 2023.
Les délégations suivent de près la course à la Maison Blanche et les futures politiques d’une présidence républicaine ou démocrate. Ils sont également attentifs aux élections qui se jouent au niveau du Sénat et de la Chambre des Représentants.
«Nous avons des stratégies pour vraiment tous les cas, y compris les différentes configurations au Sénat et à la Chambre des représentants», qui pourraient influencer le rapport de force, mentionne M. Bélair.
«Un risque pour le Québec»
La dynamique protectionniste qui plane chez nos voisins du Sud, et qui transcende actuellement les partis politiques, inquiète les délégations.
Il faut dire que les États-Unis sont le principal partenaire commercial du Québec. Plus de 70 % des exportations québécoises partent vers le sud de la frontière, ce qui représente environ 400 000 emplois dans la province. De plus, 12 000 entreprises québécoises font des affaires en sol américain.
Toute nouvelle barrière à la frontière qui pourrait entraîner une réduction des échanges commerciaux représente alors « un risque pour le Québec », estime M. Bélair.
«Nous travaillons fort pour souligner l’impact positif du Québec sur l’économie américaine et l’importance de maintenir le commerce ouvert entre les États-Unis et le Québec», soutient-il.
Cela passe par la multiplication des rencontres avec les élus, démocrates comme républicains, et leurs équipes, ainsi qu’avec les associations professionnelles et les entreprises.
Entretenant des liens et des relations à tous les niveaux, les autorités diplomatiques québécoises le font constamment en dehors du contexte électoral, soulignent deux anciennes déléguées à New York, Catherine Loubier et Martine Hébert. Un poste qu’ils ont occupé respectivement de 2019 à 2021 et de 2021 à 2024.
« Je pense que le premier rôle des délégations à l’étranger est d’être en communication continue avec les politiciens et les représentants du gouvernement. Mais aussi avec les différents partis politiques et bureaux clés avec qui il faudra discuter rapidement, s’il y a des mesures qui peuvent affecter les intérêts du Québec», affirme M.moi Loubier.
« Dans des eaux plus calmes » avec Kamala Harris
Si les démocrates et les républicains ont chacun des « inclinations protectionnistes » à des intensités différentes, une présidence sous Kamala Harris offrira peut-être une meilleure prévisibilité que celle de Donald Trump sur le plan diplomatique, estime Mme.moi Hébert.
Les délégations « navigueront certainement en eaux plus sûres et plus calmes sous une administration Harris que sous une administration Trump », affirme celui qui a également été délégué à Chicago, entre 2019 et 2021.
Mais les représentations du Québec devront quand même rester sous leur garde face à un éventuel président Harris, selon Mme.moi Hébert. Une première révision de l’accord Canada – États-Unis – Mexique est prévue pour 2026 et l’actuelle vice-présidente américaine faisait partie des sénateurs qui ont voté contre l’accord commercial en 2020, souligne-t-elle.
«Je pense qu’il sera important de souligner l’importance de cet accord, son aspect gagnant-gagnant et qu’il n’est pas vrai que ce soit seulement le Canada qui gagne, compte tenu du fait que nous avons tous intérêt sur le continent nord-américain à obtenir nos chaînes d’approvisionnement », affirme l’ancien délégué.
D’après M.moi Loubier, les délégations devront être capables de démontrer comment une mesure protectionniste pourrait « nuire » autant, voire plus, aux Américains qu’aux Canadiens et aux Québécois.
« Si on anticipe des tarifs sur tel ou tel secteur de l’économie, notamment pour le Canada, il faut le démontrer en disant ; « Une telle usine dans un tel État, avec un tel sénateur, un tel gouverneur, un tel représentant au Congrès, vous allez vous infliger des dégâts. Voici pourquoi », explique-t-elle.
Des délégations qui font la différence
Le travail des délégations québécoises, également appuyées par la diplomatie canadienne, a produit des résultats par le passé, soutiennent les intervenants interrogés.
Ils font « une énorme différence » et constituent « un atout essentiel », estime Martine Hébert.
«À New York, nous avons mené des campagnes avec des partenaires sur le terrain pour contrer certains projets de loi qui auraient, par exemple, eu un impact sur notre industrie du bois au Québec et sur l’industrie des véhicules électriques», relate-t-elle.
La levée des tarifs douaniers sur les importations d’aluminium canadien aux États-Unis, lors du premier mandat de Donald Trump, est citée comme exemple démontrant l’efficacité des autorités diplomatiques.
“Nous parlons de centaines et de centaines d’appels et de représentations directes” qui ont été nécessaires pour faire comprendre à la partie américaine que ces tarifs sur les produits canadiens leur seraient également préjudiciables, rappelle M.moi Loubier.
«Les délégations ont un très grand rôle car c’est la continuité de la voix du Québec sur le terrain» avec une compréhension de la culture américaine et une proximité immédiate qui permet de tenir des rencontres en face-à-face, dit-elle.
«Cela amène du respect et de l’écoute de ce qu’on a à dire», argumente-t-elle.
Selon M. Bélair, d’autres provinces canadiennes aimeraient disposer d’un réseau de délégations de la même taille que celui du Québec et aussi efficace.
«Je sais que dans le reste du Canada, on est parfois très jaloux de la force de frappe qu’on s’est donné aux États-Unis. […] Nous avons un impact direct sur les entreprises québécoises, mais aussi sur la promotion puis la défense des intérêts du Québec», dit-il.
En plus d’être présent à New York, Washington, Miami et Chicago, le Québec compte également des représentations à Los Angeles, Boston, Atlanta et Houston.
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