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“Alain Delon m’a pris la main et ne l’a plus lâchée”

Sonder l’âme des personnalités pour survivre à la perte de leur enfant. C’est ainsi qu’est née l’idée de ces échanges où Francis Van de Woestyne part à la recherche de l’être humain qui se cache derrière ces hommes et femmes de pouvoir ou de paillettes.

L’origine de ces entretiens est le décès de notre fils Victor le 4 novembre 2016 à l’âge de 13 ans. Il jouait à l’étage de la maison. Il se filmait avec des amis et tomba accidentellement de plusieurs mètres de haut. J’étais alors rédacteur en chef de La Libre. J’ai décidé de retourner au travail après trois semaines. J’avais ce besoin de me replonger dans un quotidien qui permet de structurer ses journées. J’avais besoin de continuité mais aussi d’un changement dans cette continuité. Je n’étais plus en mesure de me concentrer à plein temps sur les affaires courantes et la gestion des ressources humaines, comme l’exigeait le rôle que j’occupais. J’ai ensuite quitté mon poste de rédacteur en chef pour me consacrer principalement aux interviews. J’ai commencé par ceux que je connaissais le mieux : les politiques. Et très vite, j’ai élargi le panel à d’autres personnalités, abordant à chaque fois aussi des questions spirituelles, sur la vie, la mort, l’au-delà.« .

Francis Van de Woestyne sondera les états d’âme de personnalités depuis la perte de son fils. ©Jean Luc FLEMAL

Sonder ces âmes est une forme de thérapie ?

“Sans aucun doute. Dans chacune de ces interviews, je recherche la beauté, la bonté et la gentillesse de ces personnalités. Je veux que ces interviews fassent du bien, aux lecteurs, à la personne interviewée et à moi-même. En abordant les questions spirituelles avec certaines personnalités, j’ai parfois trouvé des éléments de réponses aux questions que je me pose aussi.

Quelle est votre rencontre la plus mémorable ?

» Alain Delon, en 2017. À la question « Qu’y a-t-il après la mort ? Il a répondu : “Je ne sais pas, je vais vous le dire”. Spontanément, j’ai répondu : « Vous allez dire bonjour à mon fils et l’entretien s’est arrêté. Il m’a pris la main et ne l’a pas fait. C’était cinq mois après le décès de mon fils. Ce n’était plus le monstre sacré du cinéma français que j’avais devant moi mais un père qui essayait d’en consoler un autre. maintenu en contact fréquent avec des échanges précieux. Il a bien voulu nous aider à faire connaître le Fonds Victor que nous avions créé suite au décès de notre fils. J’ai retrouvé ça après la mort d’Alain Delon, son côté humain. la générosité qu’il avait envers les autres à travers cette sensibilité, n’ont pas été suffisamment mises en valeur.

Francis Van de Woestijne sonde l’âme des personnalités : « Ma pire rencontre ? Jack Lang. Il m’a pris pour un gribouilleur de province.

Qui rêvez-vous d’interviewer ?

«Emmanuel Macron. Je veux surtout connaître l’homme derrière le président. Cet homme est une énigme pour moi. Il a une carrière extraordinaire. Je pense que c’est un homme brillant même si j’ai été un peu déçu par certains de ses comportements politiques mais je suis toujours intéressé par sa personnalité. J’aimerais également rencontrer le pape François. Comme beaucoup, j’ai été plus que surpris, voire choqué, par certains de ses commentaires lors de sa visite en Belgique. . Et chez moi, j’aimerais rencontrer Stromae. J’ai essayé mais comme souvent, je me retrouve face à un entourage qui craint de voir son protégé mis en danger alors que c’est l’inverse que je recherche. le concept humanise. Je passe du fond aux paillettes et non l’inverse. Je veux aussi montrer que chez certaines personnalités, qui peuvent paraître moins intellectuelles, il y a toujours de la substance, toujours quelque chose d’intéressant à rechercher chez l’humain. A la rédaction, on est parfois surpris par le choix des personnalités que je souhaite interviewer. C’est alors un défi pour moi de démontrer qu’il y a des réflexions très profondes à rechercher chez chaque personne. Par exemple, j’ai été très marqué récemment par ma rencontre avec Camille Lellouche. C’est une artiste exceptionnelle mais sa sensibilité et sa vision de la vie m’ont touché plus que toute autre chose. Quand Laetitita Hallyday me dit par exemple qu’elle prie tous les jours, quand je vois qu’elle est en toute confiance pour me raconter des moments aussi intimes, je suis vraiment touchée. Pour moi, ce furent des rencontres réussies.

Journaliste, éditorialiste, Francis Van de Woestyne travaille à La Libre. © Bernard Demoulin

Cela fait huit ans que vous avez perdu votre fils. Au-delà de ces entretiens, le temps vous aide-t-il ou est-il votre ennemi ?

« Je n’ai pas encore trouvé la réponse. Je dirais les deux. Victor est partout, à mes côtés. Il est toujours avec moi. Quand je donne des conférences, je dis que je ne suis pas seul sur scène, nous sommes deux Victor est à côté de moi. Je suis une personne rationnelle, mais tous ceux qui ont perdu un être cher ont ces synchronicités. Je parle à Victor tous les jours. On ne s’habitue pas à la mort de quelqu’un. enfant, ni celui d’un proche. Je ne veux pas établir de hiérarchie. Le temps m’éloigne aussi de Victor. Chaque jour m’éloigne de la dernière seconde où je l’ai vu, où je l’ai tenu dans mes bras. bras.”

Mais tu aimes parler de la mort…

« Le psychothérapeute Christophe Fauré dit que le deuil est un travail et que c’est comme une cicatrice : il finit toujours par guérir, en se refermant. Je n’aime pas trop ce travail de deuil. Oui, j’aime parler de Victor, et je pense qu’il faut parler de la mort. Dans certains milieux, la mort est un sujet tabou. Beaucoup n’ont pas osé nous parler de la mort de Victor, comme si elle pouvait être contagieuse. J’ai des amis qui n’ont jamais lu notre livre Un Enfant, parce qu’ils ont peur que cela leur arrive. Au début, ça m’a mis en colère. Maintenant, je comprends cette réticence.

Les gens qui ont peur de la contagion de la mort, ce que vous dites est terrible…

« Oui, c’est quelque chose que nous avons ressenti. Nous voulions parler de lui, le plus possible. Pour prolonger son histoire. Pas sa vie mais son histoire. Car sa mort reste insupportable. Il aurait eu 21 ans cette année.

Avez-vous l’impression de survivre plutôt que de vivre ?

Oui. Le pire, ce sont les dates. Avant ces dates, je ressens toujours des douleurs physiques. Victor était un grand fan du sapin de Noël. Dès le mois d’août, il pensait déjà à l’installer et à le décorer de 100 boules. J’ai planté un sapin au pied de sa tombe et je le décorerai comme chaque année. Certaines personnes peuvent penser que c’est complètement inapproprié, mais chacun perçoit la mort comme il le souhaite. J’aime mon métier et il me permet, comme l’amour de mes proches, de me maintenir en vie mais la mort de mon fils a tout chamboulé et mon dernier souffle ira, je pense, à Victor. Je lui dirai : « J’arrive ». Je ne sais pas comment formuler les choses mais parfois j’ai envie de précipiter ce moment car la douleur de l’absence de Victor m’est parfois insupportable et je me dis que c’est le seul moyen de l’arrêter. Je change alors d’avis pour mes autres enfants et mes petits-enfants. Pour tout l’amour, la joie et la tendresse qu’ils me donnent.

Vous avez créé, avec la mère de Victor, un fonds destiné à promouvoir la lecture, en mémoire de votre fils. A-t-il permis de donner le goût des livres à des jeunes de plus en plus rivés à leur smartphone ?

« Un enfant qui lit sera un adulte qui réfléchit. Victor était passionné de lecture, grâce notamment à sa mère qui l’emmenait à la librairie tous les dimanches. Victor possédait également un smartphone. C’est en se filmant avec des amis que son accident s’est produit à l’étage supérieur de notre maison. Mais il avait le goût de la lecture et si, grâce à ce Fonds Victor, nous transmettons cette passion ne serait-ce qu’à un adolescent par an, c’est une victoire pour nous. Nous.”

Vos états d’âme se terminent toujours par un petit questionnaire « Du côté de Proust ». Cette fois, c’est vous qui vous y soumettrez…

Sa rencontre avec Alain Delon a été la plus mémorable. Il nous en explique les raisons. © Michel Tonneau

Votre vertu préférée ?

“Générosité.”

Une devise ou une phrase qui vous inspire ?

« Il y en a deux. “Il n’y a aucune chance, il n’y a que des rencontres”. J’aime aussi beaucoup cette phrase de Sénèque qui dit “L’important dans la vie n’est pas”. Il ne s’agit pas d’attendre que la tempête passe, il s’agit d’apprendre à danser sous la pluie.

Comment aimerais-tu mourir ?

“Conscient. Conscient et entouré de mes proches. Je veux expérimenter ce passage. Je veux être au courant du départ. Je veux savoir que le moment est arrivé.

Pour avoir le temps de dire au revoir ?

« Oui, voilà. Dans le remarquable film “De son vivant”, avec Benoît Magimel et Catherine Deneuve, l’oncologue, qui joue lui-même, raconte à Benoît Magimel, atteint d’un cancer, qu’il va mourir et qu’il faut vider l’ardoise avant de mourir en nommant cinq choses. Je veux les dire le moment venu. Pardonne-moi. Merci. et cela je le répète tous les jours. Je dis souvent merci. Parce que malgré tout, j’aime dire ‘je t’aime’.

Le cadeau que vous auriez aimé avoir ?

« J’y pense beaucoup, mais c’est un cadeau qui me permettrait de serrer Victor dans mes bras. Juste pour sentir sa chaleur. Pour entendre son rire.

 
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