News Day FR

« Il y a encore des nostalgiques du Temple Solaire »

Gilles Bouleau : « Il y a encore des nostalgiques du Temple Solaire »

Jeune journaliste en 1994, la star du JT de 20 heures de TF1 a passé plus de deux ans à enquêter sur la secte.

Publié aujourd’hui à 6h32

Abonnez-vous maintenant et profitez de la fonction de lecture audio.

BotTalk

Le 5 octobre 1994, à Paris, Gilles Bouleau était en service à la « rédaction générale » de TF1 lorsque les premières dépêches de l’AFP annonçaient les incendies de Salvan et Cheiry. Trente ans plus tard, celui qui est devenu présentateur du « 20H » de TF1 et qui a longuement enquêté sur les massacres de l’Ordre du Temple Solaire se souvient.

Comment s’est passé pour vous le 5 octobre 1994 ?

Quand on a appris les incendies simultanés en Suisse avec présence de détonateurs et d’explosifs, c’était le chaos à TF1. Une série de meurtres, de suicides – ce n’était pas très clair – transatlantiques et synchronisés, c’était du jamais vu. La rédaction de TF1 a immédiatement dépêché des journalistes sur place. Peu de temps après, on apprend qu’un mode opératoire un peu identique a été constaté très loin, au Québec, dans les Laurentides à Morin Heights. J’ai pris le premier avion.

Aviez-vous déjà entendu parler d’OTS avant cela ?

Non, malgré les bulletins d’associations qui luttaient contre les sectes, jamais, mais j’étais interloqué. Nous avions affaire à une volonté de massacrer plus de 50 personnes sur deux continents différents, trois lieux distincts, avec des protagonistes, des tueurs ici qui se retrouvaient victimes là-bas.

Comment avez-vous abordé ce sujet ?

Au début, je cherchais une logique derrière tout cela, mais elle m’a échappé. J’ai passé beaucoup de temps à tout comprendre, à comprendre cette affaire. Les noms se sont mélangés dans ma tête : Luc Jouret, Michel Tabachnik, Jo Di Mambro, Joël Egger (ndlr : le principal tueur de l’OTS, retrouvé à Salvan). Il m’a fallu du temps pour comprendre qui était qui, qui faisait quoi, qui étaient les victimes, les bourreaux. Cela m’a pris des jours et des jours.

Comment pénétrer dans un monde par définition secret et fermé ?

Je suis entré comme dans un labyrinthe et j’ai essayé de comprendre. J’ai rencontré des survivants, des parents. On a trouvé des capes, des épées, tout était fou ! Dès le début, l’étonnement, qui est la Source de tout travail journalistique, m’a guidé. Puis est venue la fascination. Peu de dossiers, dans ma vie de journaliste, m’ont autant choqué et émerveillé que celui-ci.

Y pensez-vous souvent ?

Oui, très souvent. D’abord parce que si j’additionne toutes les heures de travail, je pense que j’ai dû passer deux années de ma vie à reporter, à voyager, les deux livres avec Arnaud Bédat et Bernard Nicolas sur l’OTS.

Y a-t-il encore un mystère sur l’OTS ou a-t-on tout compris à cette affaire ?

Honnêtement, je pense avoir presque tout compris, y compris les mécanismes de pouvoir, de domination, de séduction dans toutes ces dimensions. Les dimensions émotionnelles, financières, géographiques et amicales. J’ai presque tout compris de cette micro-société. Pour quoi? A cause des 74 victimes, j’ai essayé de tout savoir. Qui étaient-ils ? Étaient-ils alcooliques, toxicomanes ? La réponse est toujours non. C’étaient des gens cultivés, pour certains multilingues, intégrés dans la société. Cela rendait les choses encore plus inquiétantes. Comment des gens tout à fait normaux ont-ils quitté leur indépendance, abandonné leur mari, leur femme, se sont fait imposer une nouvelle compagne ou ont pensé assister sans éclater de rire à la théogonie, à la conception sans rapport sexuel d’un Christ. Ils assistaient aux messes noires en y croyant ou en voulant y croire. La grande arnaque, qui sera fatale, c’est d’avoir abusé de ce désir de transcendance pour en tirer profit. Pour moi, le plus grand mystère est de savoir comment un tel mouvement a pu prospérer dans des pays aussi structurés que la Suisse, la France et le Canada, où il est difficile de cacher 50 francs au fisc, sans qu’aucun juge ou aucun policier ne s’y intéresse auparavant ?

Vous avez rencontré de nombreux anciens membres de l’OTS. Qu’en retenez-vous ?

D’abord, que cette microsociété était constituée de clans, de haines, et que ses membres étaient sous le charme d’un ou plusieurs dirigeants. Ils avaient un point commun : aucun d’eux ne m’a dit « quelle période d’enfer ! » Comment ai-je pu être aussi crédule ? Tous ceux que j’ai rencontrés, malgré la fin désastreuse de la secte, gardent, encore aujourd’hui, un parfum de nostalgie. Ils vantent l’univers parallèle, le travail des champs, l’agriculture biologique, le réveil à 5 ​​heures du matin. Alors, malgré l’horreur absolue et le côté mortel qui était inscrit dans les gènes de la secte depuis le début, puisqu’elle était basée sur le mensonge, beaucoup en ont une lecture globalement positive. Un nouveau-né a été tué d’un pieu en plein cœur, des femmes âgées ont reçu une balle dans le dos, mais le jugement de certains survivants est néanmoins resté équilibré. Comme si le fait que ces gens soient morts, pour la plupart assassinés, n’était pas si grave.

Bulletin

“Dernières nouvelles”

Vous voulez rester au courant de l’actualité ? « 24 Heures » vous propose deux rendez-vous par jour, directement dans votre boîte email. Ainsi, vous ne manquez rien de ce qui se passe dans votre canton, en Suisse ou dans le monde.

Autres bulletins d’information

Se connecter

Emmanuel Borloz est journaliste à la section vaudoise depuis 2011. Titulaire d’un Master en lettres et sciences politiques de l’Université de Lausanne, il a travaillé pour le quotidien La Côte, où il a dirigé les rédactions de Morges et de Rolle. Depuis le 1er août 2022, il codirige la rubrique 24 heures « Vaud & Régions ». Plus d’informations @ManuDeepBlue

Avez-vous trouvé une erreur ? Merci de nous le signaler.

0 commentaires

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

Related News :