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Des étudiants suisses font progresser la recherche aérospatiale

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Pour des raisons de sécurité, la fusée « Colibri » du Programme Spatial Gruyère est reliée par un câble à la flèche d’une grue. Mais il se pose déjà tout seul sur le lieu de son décollage.

Programme Spatial Gruyère

Dans le domaine aérospatial, la tendance est aux fusées recyclables. Certains projets étudiants en Suisse contribuent à ce développement. Rapport.

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27 septembre 2024 – 09h30

Audrey Vorburger mène des recherches sur les instruments spatiaux et notre système solaire. L’astrophysicienne et planétologue de l’Université de Berne dépend donc des fusées pour son travail.

«La Suisse est déjà connue pour son ingénierie de haute précision et sa capacité à développer des instruments scientifiques complexes», explique le chercheur. Un programme spatial permettrait de mettre en valeur et de développer ces atouts.

« L’accès à l’espace n’est plus réservé aux grandes nations spatiales. Grâce aux progrès technologiques et aux capacités de lancement accessibles au niveau international, les petits pays peuvent également jouer un rôle important.

Les projets étudiants pourraient contribuer au développement et à la promotion de la technologie spatiale suisse ainsi qu’à la formation de futurs spécialistes dans ce domaine. Nous en avons visité deux.

La fusée qui atterrit debout

Nous sommes dans une gravière de l’arrière-pays gruyère, dans le canton de Fribourg. Il est un peu plus de quatre heures de l’après-midi. Une jeune équipe travaille sur les derniers préparatifs. Chaque geste est parfait. Installé dans un conteneur et posé sur un établi, l’objet qui attire ici toute l’attention subit une petite réparation sur l’un de ses quatre pieds.

Ses dimensions : 2m45 de haut, 100 kg. Son nom : Colibri. Ce qui rend cette fusée unique en Europe : elle peut atterrir en toute sécurité sur terre tout en se tenant verticalement sur ses pieds. Mais il a fallu beaucoup de temps pour y arriver.

Derrière le projet « Programme Spatial Gruyère »Lien externe» (GSP) sont cinq jeunes étudiants qui se connaissent depuis le lycée et qui ont suivi ensemble le même chemin, du gymnase à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL).

“Personne en Europe n’a jamais lancé et posé une fusée avec une charge utile sur ses pieds”, explique Julie Böhning, 25 ans, étudiante en robotique et porte-parole de l’équipe. « C’est formidable d’avoir développé ce projet ensemble. »

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Julie Böhning, responsable des systèmes de direction, de navigation et de contrôle, fait partie de l’équipe depuis le début.

swissinfo.ch / Michele Andina

Cela fait maintenant six ans que Julie Böhning et ses quatre camarades bricolent des projets de fusées. Inspirés par le projet SpaceX aux États-Unis, dont la fusée peut atterrir sur Terre selon le même principe, ils ont développé et construit Colibri de A à Z. Depuis ses débuts, le groupe s’est agrandi et compte aujourd’hui 15 personnes.

Dans le conteneur, l’équipe a monté tous les éléments de la fusée sur un banc d’essai afin qu’ils puissent être testés indépendamment les uns des autres. Réservoirs, moteur, électronique, capteurs.

Le compte à rebours est lancé

Huit personnes sont présentes aujourd’hui dans la gravière, dont les membres fondateurs Jérémy Marciacq (26 ans) et Simon Both (25 ans). Sur leurs ordinateurs portables, ils vérifient différents flux de données. Après le test, ils analyseront les résultats en détail.

A distance de sécurité, l’équipe a rapidement mis en place un centre de contrôle mobile. La fusée est ravitaillée, un petit drone effectue toujours un cercle de contrôle autour du Colibri, prêt à décoller. Avec les réservoirs pleins, il est trop dangereux de s’en approcher.

« Cinq, quatre, trois, deux, un », le compte à rebours est lancé. Puis le bruit se fait entendre, la fusée s’élève comme prévu à quelques mètres dans les airs. Aujourd’hui, pour sa 25ème tentative, il doit s’écarter légèrement de sa trajectoire dans les airs, afin de prouver qu’il peut à nouveau naviguer de manière autonome vers la petite plateforme de décollage et d’atterrissage.

A quelques détails près, le test est concluant. « L’objectif d’aujourd’hui a été atteint », déclare Simon Both. Il était important de tester les nouveaux algorithmes d’atterrissage de la fusée, algorithmes que l’équipe avait bien sûr eux-mêmes programmés.

En Suisse, un tel test nécessite une autorisation spéciale. Mais comme la fusée est reliée à une grue, suspendue à son extrémité par un câble doté d’une fonction d’arrêt d’urgence, elle est légalement considérée comme un objet au sol. De plus, l’opération doit avoir lieu à une distance d’au moins 200 mètres du domicile le plus proche, ce qui est ici plus que respecté.

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Test de la fusée « Colibri » dans une gravière près de la petite ville de Gruyères.

Programme Spatial Gruyère

Claude Nicollier comme mentor

Ils ont construit la fusée avec des matériaux simples et bon marché. « Typiquement, les réservoirs du Colibri sont des tubes provenant d’un chantier, que nous avons reçus et modifiés », explique Julie Böhning. L’équipe s’appuie également sur l’impression 3D afin de pouvoir changer certaines pièces le plus rapidement possible, indépendamment des fournisseurs.

Les étudiants s’occupent de tout eux-mêmes, mais comptent également sur des sponsors. Le petit groupe compte désormais 55 partenaires industriels. Parmi eux, l’entreprise qui leur met gratuitement à disposition une partie de la gravière et la grue. Pour pouvoir utiliser cette machine, Jérémy Marciacq a dû suivre une formation spécifique.

Avec Claude Nicollier, premier astronaute suisse, les jeunes fans de fusées ont trouvé un mentor reconnu. De plus, comme le souligne Julie Böhning, leur statut d’étudiant leur permet de contacter toutes sortes de spécialistes à travers le monde, qui se feront un plaisir de les aider pendant quelques heures en leur prodiguant des conseils.

Mais quel est l’objectif de leur projet ? “Nous voulons montrer qu’en Europe aussi, nous sommes capables de lancer des fusées et de les faire redescendre”, explique-t-elle.

Système de parachutes

Un autre jour, un autre endroit. Nous nous trouvons dans un hangar de l’aérodrome militaire de Dübendorf, dans le canton de Zurich, où l’aviation suisse a fait ses débuts. Aujourd’hui, certains hangars abritent un parc d’innovation qui accueille différentes start-up et projets étudiants.

Il s’agit notamment du projet spatial ARIS, dirigé par des étudiants et soutenu par l’ETH Zurich et d’autres universités et instituts. Quelques fusées plus ou moins grosses, issues d’essais précédents, sont alignées dans leurs locaux.

Le projet actuel de fusée «NICOLLIER» porte même le nom de l’astronaute suisse. Il a participé en ligne au deuxième examen technique de la fusée et a fait part de ses commentaires à l’équipe, explique Felix Hattwig, chef de projet de 21 ans qui étudie la physique à l’ETH Zurich.

Là aussi, on mise sur une fusée réutilisable. Il est équipé de deux parachutes, un système dit de récupération guidée. Un petit parachute freine la fusée dès qu’elle atteint son point culminant en vol, explique Matteo Vass, étudiant en génie mécanique (20 ans), chef de l’équipe de récupération et donc responsable du système de freinage.

Le parachute de guidage, plus grand et contrôlé par un système logiciel autonome, entre alors en action à environ 800 mètres du sol pour amener la fusée au point d’atterrissage.

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Felix Hattwig (à gauche) et Matteo Vass installent l’électronique pour la commande autonome du parachute.

swissinfo.ch / Christian Raaflaub

Actuellement, l’équipe effectue des tests dits de « chute ». Elle est aidée en cela par l’armée suisse, qui largue la fusée depuis un hélicoptère afin de simuler l’atterrissage. Bien entendu, ces tests ont lieu loin des zones habitées, au-dessus des zones militaires, par exemple dans le canton de Glaris ou dans l’Oberland bernois.

Le printemps pluvieux a cependant joué un mauvais tour à l’équipe : seules deux des treize tentatives de chute prévues ont pu être réalisées. Mais la vidéo qu’ils nous montrent illustre un test qui fonctionne déjà bien, la fusée trouvant son point d’atterrissage comme prévu.

L’importance croissante du pilotage autonome

“Nous avons atteint une nouvelle ère de l’espace, où il ne s’agit pas seulement de la fusée elle-même, mais aussi des nouveaux systèmes qui tournent autour d’elle”, explique Felix Hattwig. Il s’agit bien de contrôle autonome, mais pas seulement : « Notre fusée va au-delà de la récupération guidée. Même si c’est un gros défi», poursuit-il.

“Nous essayons également de réaliser des innovations techniques dans d’autres domaines.” Il évoque notamment les cartes informatiques interchangeables ou les aérofreins, composants pour lesquels l’équipe explore de nouvelles pistes.

Comme pour le projet mentionné précédemment, les 43 membres actifs travaillent parallèlement à leurs études et ne reçoivent ni salaire ni crédits. Ils mettent donc beaucoup de cœur dans leur travail. Les deux étudiants, passionnés par l’espace depuis leur enfance, sont heureux de pouvoir réaliser leur rêve, et comptent également sur des sponsors, au nombre de 40 à 50.

Leur fusée n’a encore jamais décollé, mais les précédents projets ARIS ont déjà jeté les bases d’une telle démarche. Actuellement, le premier lancement est prévu pour fin octobre en Suisse, explique Felix Hattwig. L’objectif final sera de lancer trois charges utiles différentes, c’est-à-dire des satellites.

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La fusée du projet « NICOLLIER » avec son parachute principal lors d’un test dit de « largage ».

ARIS

Le Programme Spatial Gruyère a prévu son premier vol de démonstration pour fin septembre, avec Claude Nicollier parmi les invités. Les étudiants profiteront de cet événement pour dévoiler la suite qu’ils comptent donner au projet une fois celui-ci terminé.

«Nous nous entendons tellement bien que nous souhaitons nous diriger vers de nouveaux horizons sous la forme d’une entreprise», explique Julie Böhning. Ce ne seront plus des fusées, mais la même technologie. Le constructeur de fusées n’en dira pas plus.

+ Notre rapport de deux chercheurs
qui dépendent également des fusées pour transporter leurs instruments dans l’espace.

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Deux scientifiques suisses recherchent de la glace sur des comètes

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23 juillet 2024

Grâce à un instrument innovant, deux astrophysiciens de l’Université de Berne espèrent percer un peu plus le mystère de la formation du système solaire.

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« Une bonne base pratique pour la formation ».

«Ce que ces étudiants et d’autres y accomplissent mérite un grand respect», écrit le «Swiss Space Office», le centre de compétence de la Confédération pour les affaires spatiales nationales et internationales, interrogé à ce sujet.

Les projets suisses sont «très réussis» en comparaison internationale. Ils constituent « une bonne base pratique pour la formation des étudiants, afin de les préparer à leurs futures tâches dans le domaine spatial ».

Il est évident que les problématiques « coûts – recyclabilité – durabilité » resteront demain et après-demain un défi pour tous les acteurs de la recherche spatiale et des agences spatiales.

Texte relu et vérifié par Veronica DeVore/ml, traduit de l’allemand par Lucie Donzé.

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