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Le dernier repas, de Maryse Legagneur

Dans Le dernier repasson premier long métrage de fiction, Maryse Legagneur met en scène une Québécoise d’origine haïtienne, interprétée par Marie-Evelyne Lessard, qui recueille les confidences de son père, incarcéré sous le régime des Duvalier. La presse les a rencontrés.


Publié à 3h09

Mis à jour à 7h00

Merci à Frantz Voltaire, président du Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne (CIDIHCA), la documentariste Maryse Legagneur (Au nom de la mère et du fils) a pu rencontrer des survivants de Fort Dimanche, ancienne prison sous la dictature de François Duvalier. Depuis une dizaine d’années, le lauréat de la dernière édition du La course mondiale aux destinationsen 1998-1999, j’ai discuté avec ces hommes brisés, presque tous aujourd’hui décédés.

« Quand je suis arrivée devant les survivants et qu’ils ont commencé à me raconter leur histoire, ce qui m’a vraiment étonnée, c’est qu’ils n’étaient plus capables de s’arrêter. Ils avaient brisé le silence. Ils m’ont livré des choses qu’ils n’avaient confiées à personne ou à très peu de gens. Une grande partie des scènes de prison sont inspirées de leurs témoignages. J’aurais aimé qu’ils voient le film, qui est vraiment un devoir de mémoire ; je suis honorée de la confiance qu’ils m’ont faite », raconte Maryse Legagneur.

Alors qu’elle aurait pu tourner un documentaire, Maryse Legagneur a préféré raconter ces histoires trop longtemps tues sous la forme d’un « drame culinaire », selon son expression, où la nourriture devient le langage commun entre deux générations séparées par le silence.

« La fiction m’a permis de faire de la dentelle avec le fil barbelé que forment les récits des survivants, d’y ajouter une forme de poésie, d’humanité, de dignité. De plonger là-dedans avec le cinéma documentaire, c’est comme si ça me dérangeait tellement j’étais terrifiée par le récit réel. Je voulais aussi un récit intergénérationnel pour faire la démonstration de la passation de la violence, et aussi de l’espoir et la possibilité de stopper ce cycle par la parole », explique celle qui a accompagné des patients en fin de vie pendant 10 ans.

La lourdeur des traumas

Écrit avec Luis Molinié (le court métrage Mamita), Le dernier repas nous transporte à Montréal, en 2011, année du retour de Jean-Claude Duvalier en Haïti après 25 ans d’exil. Atteint d’un cancer de l’estomac, Reynold (Gilbert Laumord) réclame sa fille Vanessa (Marie-Evelyne Lessard) à son chevet. Bien qu’en froid avec ce père violent depuis près de 20 ans, Vanessa accepte de revoir Reynold, qui lui demande d’apporter des mets haïtiens. Au fil des repas, que Vanessa a préparés avec sa tante Dado (Mireille Metellus), Reynold lui raconte ses souvenirs de Fort Dimanche, où il a été fait prisonnier quand il était jeune (Fabrice Yvanoff Sénat).

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PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Maryse Legagneur, Gilbert Laumord, Marie-Evelyne Lessard, Fabrice Yvanoff Sénat et le producteur François Bonneau

« On parle de Fort Dimanche, mais il y avait aussi les casernes Dessalines, vaguement évoquées au début du film, quand Fanfan [David Bélizaire] est libéré de prison. Il s’agissait de petites prisons de quartier où les hommes étaient détenus pour une nuit ou une semaine ; ils ont été un peu torturés pour instaurer un climat de terreur. Même si ces hommes disaient qu’il ne s’y était pas passé grand-chose, ces prisons créaient des hommes brisés et des cycles de violence», se souvient Marie-Evelyne Lessard.

« J’ai l’impression d’avoir été le montage qui a absorbé ces histoires, d’où la violence du film. Il y a des scènes qui sont difficiles à regarder, je suis plein d’émotions fortes, de choses assez intenses. Je me rends compte qu’il y a une sorte de catharsis à libérer cette violence”, explique le cinéaste.

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PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Réalisatrice Maryse Legagneur

Je trouvais important de montrer cette violence, mais aussi des choses très lumineuses pour que le spectateur puisse être entre ces deux sensations.

Maryse Legagneur, réalisatrice

En apprenant que les repas sont destinés à Reynold, qu’elle accuse d’avoir brisé sa sœur, Dado refuse d’aider Vanessa à lui préparer des spécialités haïtiennes. Prête à découvrir toute la vérité sur son père, Vanessa va elle-même devoir se renseigner sur la cuisine de ses ancêtres dont une partie de l’histoire lui échappe.

«Il y a certainement un héritage de la dictature qui s’est infiltré jusqu’à présent», estime Maryse Legagneur. Nous sommes la première génération à s’enraciner au Québec, néanmoins nous ressentons la lourdeur des traumatismes de la génération précédente, que ce soit dans l’éducation ou dans la vie quotidienne. Nous avons grandi dans un silence pas si silencieux puisque tous les Haïtiens de cette génération allumaient la radio haïtienne le samedi matin. Nous avons compris que quelque chose de terrible se passait dans leur pays d’origine, mais cela ne nous a pas été expliqué pour nous protéger, pour nous protéger des histoires brutales et violentes. »

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PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

L’actrice Marie-Evelyne Lessard

“C’était complètement tabou, jamais nommé”, confirme l’actrice. Nous avons tous vu chez nos oncles, nos tantes, un sérieux dans leurs yeux qu’ont toutes les populations qui ont vécu le traumatisme, l’oppression, la dictature – et je ne parle pas seulement d’Haïti. Je la voyais souvent dans les yeux de ma mère, surtout quand elle faisait la vaisselle, du coup je sentais qu’elle n’était plus avec nous. C’est dommage que ma mère soit morte ; J’aurais aimé pouvoir en parler avec elle, qu’elle voie le film. »

Une aventure humaine

Le tournage étant périlleux en Haïti et Ford Dimanche ayant été complètement détruit par le séisme du 12 janvier 2010, Maryse Legagneur s’est rendue en République Dominicaine avec son équipe pour les scènes se déroulant en Haïti. Sur place, le réalisateur a été témoin de la discrimination raciale subie par les figurants haïtiens parlant créole, qui attendaient des nouvelles de leurs proches restés en Haïti pendant les six semaines de tournage.

« C’est une perte que j’ai dû faire pour ne pas tourner en Haïti, mais je me rends compte à quel point faire ce film en République Dominicaine a été un grand service rendu à ces gars-là. Ils sont venus sur le plateau avec fierté. Survivants eux-mêmes, ils savaient qu’en jouant les survivants, ils dénonçaient une situation dans laquelle le peuple haïtien devait survivre », raconte le réalisateur.

Tout en saluant le courage des comédiens, la cinéaste raconte que le dernier soir, alors que nous fêtions la fin du tournage, l’un d’eux est venu remercier l’équipe. Pour la première fois depuis 10 ans qu’il vivait en République Dominicaine, il avait le sentiment de pouvoir jouer sa musique et de se sentir en sécurité.

« L’aventure humaine du film est une grande aventure. Ce soir-là, quand on a dansé sur notre musique, je me suis dit que peu importe ce qui arrive avec le film, Je m’en fiche. La plus grande partie de l’expérience cinématographique s’est réalisée ce soir-là : nous étions glorieux. C’était un moment de gloire», conclut Maryse Legagneur.

Dans la chambre

 
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