« En 1992, mon conjoint et moi avons été mutés à l’autre bout de la France. Nous étions encore jeunes, sans enfants, et nous nous retrouvions loin de nos familles et de nos amis. Comme nous étions dans un environnement professionnel convivial et soudé, nous passions du temps avec nos collègues. Il y avait des apéros, des fêtes, et nous nous voyions pendant les vacances.
Un soir, une soirée est organisée par un collègue de mon compagnon. C’est ce jour-là que nous le rencontrons. Armand [les prénoms et les lieux ont été changés] C’est un homme très charismatique, qui monopolise l’attention. Il parle beaucoup et bien, avec intelligence. Il est plus âgé que nous – il doit avoir 45 ans, alors que nous avons une vingtaine d’années. C’est une rencontre forte.
Bientôt, on se retrouve le week-end, on passe chez eux à l’improviste – il vit avec sa compagne, Elise, et leur petit garçon – pour des verres qui s’éternisent. On la découvre aussi : c’est une femme qui me paraît plus calme, plus forte que lui. On passe de longues soirées à refaire le monde. De temps en temps, Armand a de gros accès de colère, des crises qui nous surprennent un peu, mais on n’y prête pas beaucoup attention. Souvent, c’est lié à leur fils et à ce qu’il mange. Armand semble vouloir contrôler son alimentation. Bizarrement, à chaque fois que le petit grignote quelque chose, ce n’est pas lui qu’il accuse, mais Elise.
La mort de Marie Trintignant, « point de bascule »
Pendant deux ans, on s’est beaucoup vus, puis mon compagnon et moi avons été à nouveau mutés. Notre amitié a continué. Chaque été, ils venaient passer trois ou quatre jours avec nous et on rattrapait le temps perdu. On a demandé à Armand d’être le parrain de notre fils. Puis, en 2002, il m’a demandé d’être son témoin à son mariage. J’étais un peu surprise, car Armand était très proche de mon compagnon, mais je savais qu’il me respectait beaucoup, car j’étais franche, féministe et rebelle à une époque où ce n’était pas très courant.
En 2003, mon mari et moi étions en vacances lorsque nous avons appris le décès de l’actrice Marie Trintignant. Je me souviens exactement du moment où j’ai entendu la nouvelle à la radio, dans la voiture. Cela nous a bouleversés. Nous aimions beaucoup Bertrand Cantat. [le chanteur de Noir Désir, condamné en Lituanie pour les coups et blessures ayant entraîné la mort de sa compagne] ainsi que Marie Trintignant. C’est la première fois que la violence conjugale fait l’objet d’une telle actualité. Pour moi, c’est un point de bascule. Je ne supporte plus d’entendre parler de « crimes passionnels ». Je me dispute avec ma mère qui considère Trintignant comme une un « cueilleur »comme si cela pouvait justifier quoi que ce soit.
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