(Séoul) Sur les hauteurs du quartier de Hannam se dresse un immeuble froid hérissé de barbelés, dont l’entrée est bloquée par des véhicules. La « forteresse » n’est autre que la résidence du président sud-coréen déchu Yoon Suk Yeol, sous mandat d’arrêt.
Publié hier à 23h49
Jack MOORE
Agence -
C’est ici, au centre de Séoul, que serait retranché l’ancien procureur, n’étant pas apparu en public depuis des semaines.
C’est donc ici aussi que des enquêteurs munis d’un mandat d’arrêt ont tenté pour la première fois de l’arrêter, sans succès, bloqués par le Service de sécurité présidentielle (PSS).
Yoon Suk Yeol, suspendu depuis sa destitution par l’Assemblée nationale le 14 décembre, s’y réfugiait toujours en début de semaine, selon l’agence Yonhap citant la police. Le chef des enquêteurs a indiqué pour sa part envisager « plusieurs possibilités ».
En tout cas, la résidence « se transforme en forteresse », a dénoncé le député d’opposition Youn Kun-young.
Fil de fer barbelé
Un journaliste de l’AFP a vu mercredi des gardes marcher derrière des rangées de bus et des portes d’entrée hérissées de barbelés.
Les enquêteurs ont obtenu un deuxième mandat d’arrêt et pourront cette fois compter sur l’aide de la police, qui a assuré qu’elle appréhenderait tout garde du corps qui tenterait de résister à l’arrestation.
Yoon Suk Yeol est visé par la justice pour sa tentative ratée d’imposer la loi martiale le 3 décembre, un coup d’État qui a rappelé à la Corée du Sud les heures sombres de la dictature militaire il y a plus de quarante ans.
Dans un Parlement entouré de militaires, un nombre suffisant de députés ont rapidement réussi à voter un texte faisant échec à son plan, tandis que des milliers de manifestants pro-démocratie criaient leur indignation à l’extérieur.
La maison de Yoon Suk Yeol se trouve à Hannam, un quartier chic du centre de Séoul, sur les rives de la rivière Han.
On y trouve certaines des maisons les plus chères de Corée du Sud, des ambassades et même, selon la presse, les maisons des superstars du groupe de k-pop BTS.
M. Yoon a jeté son dévolu sur ce coin populaire de Yongsan, un quartier où les troupes japonaises pendant la période coloniale (1910-1945), mais aussi les troupes américaines après la Seconde Guerre mondiale, avaient établi leur base.
Lorsque les enquêteurs se sont présentés vendredi à son domicile, ils se sont retrouvés confrontés à quelque 200 militaires et gardes du corps qui leur barraient le passage, formant une chaîne humaine. L’opération a été annulée après environ six heures d’affrontements face-à-face tendus.
Chaman et feng shui
Peu après son investiture en 2022, Yoon Suk Yeol a posé ses valises dans sa résidence actuelle avec son épouse Kim Keon-hee, refusant de vivre dans le traditionnel palais des chefs d’Etat, la Maison Bleue.
Car la résidence, avec les tuiles colorées dont elle tire son nom, incarne, selon lui, la démesure des empereurs.
Il devient ainsi le premier dirigeant sud-coréen à ne pas s’y installer, ouvrant les lieux au public.
Yoon Suk Yeol avait alors dû nier avoir été conseillé par un chaman, l’opposition affirmant qu’il avait également écouté des maîtres du feng shui l’avertir que la Maison Bleue attirait le mauvais œil.
Les critiques les plus sévères ont toutefois porté sur le coût du déménagement et le nombre de policiers laissés sur place alors que, fin 2022, 159 personnes sont mortes dans une bousculade dans le district voisin d’Itaewon lors d’une fête d’Halloween où la police était en infériorité numérique.
Le Service de sécurité présidentielle a alors affirmé qu’il constituait une entité distincte de la police et qu’il n’était donc pas tenu de l’aider.
Les gardes et les avocats de M. Yoon affirment que la propriété constitue un périmètre militaire où sont cachés des secrets d’État et ne relève pas de la compétence du Bureau d’enquête sur la corruption (CIO), qui a dirigé la tentative d’arrestation.
La résidence est une zone tellement sensible que le bureau de Yoon Suk Yeol a déposé une plainte contre un YouTuber accusé d’avoir filmé Kim Keon-hee y promenant son chien.
Le bureau présidentiel, situé ailleurs à Séoul, dispose d’un bunker où le chef de l’Etat peut se réfugier en cas d’attaque nord-coréenne ou autre catastrophe majeure. Le ministère de la Défense refuse de dire si le domicile personnel de M. Yoon est équipé d’installations similaires.
Malgré les incertitudes, le président du CIO, Oh Dong-woon, a assuré que lui et son équipe feraient « tout ce qui est en leur pouvoir » pour arrêter cela.