Vers une déroute conservatrice sévère – .

Usé par le pouvoir après 14 ans d’un règne tourmenté, le Parti conservateur britannique est en passe d’être chassé par un électorat exaspéré par la situation économique et sociale dans laquelle se trouve le royaume.


Publié à 05h00



Les sondages sont clairs. Unanimes. Claires comme de l’eau de roche. Sauf retournement spectaculaire, le Parti travailliste devrait remporter haut la main les élections générales britanniques de jeudi, faisant de Keir Starmer, 61 ans, le nouveau Premier ministre du Royaume-Uni.

Selon un sondage YouGov publié le 19 juin, le leader travailliste pourrait remporter 425 sièges sur 650 à la Chambre des communes, soit 223 de plus qu’aux élections de 2019. En revanche, les conservateurs ne devraient remporter que 108 sièges, voire 72, et même 53 (!) selon d’autres sondages, ce qui constituerait en tout cas une défaite historique pour le non moins historique parti de Margaret Thatcher et Winston Churchill.

Pire encore : une étude de l’institut Savanta, pour le journal Le télégraphedonne clairement au Premier ministre conservateur, Rishi Sunak, en perte dans sa circonscription de Richmond, dans le Yorkshire (nord de l’Angleterre) face au Parti travailliste, une situation inédite pour un chef de gouvernement. De quoi lui faire regretter d’avoir convoqué ces élections anticipées six mois plus tôt que prévu.

La question n’est pas de savoir si le Parti travailliste va gagner, mais plutôt quelle sera l’ampleur de cette victoire.

Thibaud Harrois, maître de conférences en civilisation britannique à l’université Sorbonne-Nouvelle à Paris

Rupture du lien de confiance

Ces résultats sans appel s’expliquent d’abord par un rejet total du Parti conservateur, usé par le pouvoir après 14 ans d’un règne tourmenté, parfois chaotique, souvent contesté.

Pour une majorité de Britanniques, les conservateurs sont en grande partie tenus pour responsables de la situation économique et sociale dans laquelle se trouve le pays, la population devant faire face à une inflation (en baisse), à ​​une hausse des prix de l’énergie, à une crise du logement, ainsi qu’à des services publics en difficulté et à un système de santé déficient, conséquences de coupes budgétaires draconiennes.

Les électeurs se demanderont pourquoi ces problèmes sont apparus sous les conservateurs. Et si ces problèmes existaient avant, ils se demanderont pourquoi le parti ne les a pas réglés, compte tenu du nombre d’années où il était au pouvoir.

Catherine Ellis, spécialiste de la Grande-Bretagne à l’Université métropolitaine de Toronto

Le parti est également accusé d’être responsable de sa gestion du Brexit, un projet qui a « probablement exacerbé » tous ces problèmes, a déclaré M.moi Ellis : S’il est difficile de quantifier les conséquences, il est clair que ce divorce avec l’Union européenne a eu « très peu des bénéfices escomptés », ajoute Mark Wickham-Jones, professeur de sciences politiques à l’université de Bristol.

PHOTOGRAPHIE FRANK AUGSTEIN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

L’ancien Premier ministre Boris Johnson devant le 10 Downing Street en mai 2021

A cela s’ajoutent les déboires liés à la gestion de la pandémie, dont la fameuse Fête de la fête (des fêtes organisées dans la résidence de l’ancien Premier ministre Boris Johnson en pleine période de restrictions sanitaires), ainsi que la panique boursière provoquée par les mesures économiques décrétées par sa successeure Liz Truss, et vous avez tous les ingrédients pour qu’un désastre arrive.

« Ce fut une période extrêmement décevante », s’indigne Mark Wickham-Jones. « Les électeurs ont fini par croire qu’ils ne pouvaient plus faire confiance au Parti conservateur. »

Le recentrage post-Corbyn

Il ne faut pas non plus négliger le retour spectaculaire du Parti travailliste, qui a su se réinventer en peu de temps.

PHOTO MATT DUNHAM, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jeremy Corbyn, alors chef du Parti travailliste, avec son successeur à la tête du parti politique, Keir Starmer, en novembre 2019.

Le parti a subi une défaite cuisante aux élections de 2019, en grande partie à cause de l’effet répulsif de son leader Jeremy Corbyn, perçu comme beaucoup trop à gauche et dont les années de direction ont été entachées de controverses liées à une certaine culture de l’antisémitisme au sein du parti.

Son successeur, Keir Starmer, un ancien avocat, s’est employé depuis 2020 à « rétablir la crédibilité » du parti aux yeux d’un électorat plus modéré, en adoptant un discours moins radical et en écartant les éléments considérés comme extrêmes, à commencer par Corbyn lui-même, qui se présentera cette année en indépendant dans la circonscription d’Islington Nord, dans le grand Londres.

Pour Thibaud Harrois, il ne fait toutefois aucun doute que cette opération de « recentrage » ramènera au bercail les électeurs travaillistes qui s’étaient momentanément détournés du parti.

Ce sont des gens qui n’étaient pas prêts à voter pour Corbyn, mais qui aujourd’hui peuvent facilement se retrouver au sein du Parti travailliste et accepter quelqu’un comme Keir Starmer comme Premier ministre.

Thibaud Harrois, maître de conférences en civilisation britannique à l’université Sorbonne-Nouvelle à Paris

Le parti travailliste ne renonce certes pas à ses racines socialistes, se présentant toujours comme le parti des travailleurs et des « gens ordinaires ». Starmer veut donner de l’oxygène à un système de santé publique à bout de souffle et embaucher des milliers de nouveaux enseignants. Mais il promet en même temps à son pays « la plus forte croissance économique du G7 », et assure qu’il n’augmentera pas les taxes à la consommation ni l’impôt sur le revenu, et qu’il limitera ses investissements dans les services publics.

PHOTO CHRIS J RATCLIFFE, ARCHIVES REUTERS

Keir Starmer a rendu visite aux travailleurs du port de Southampton le 17 juin.

Le leader travailliste se dit également favorable au renforcement de la défense militaire, au contrôle de l’immigration (même s’il entend abandonner le projet d’expulsion des immigrés illégaux vers le Rwanda), au renforcement de la sécurité dans le pays, et il n’a clairement pas l’intention de revenir sur le Brexit mis en place par les conservateurs, les blessures et les divisions sur ce sujet n’étant pas encore cicatrisées dans le pays.

Le retour de la « troisième voie » ?

Cette nouvelle approche ne plaît pas forcément à son électorat de gauche. Certains lui reprochent une politique économique trop ambitieuse et un programme aux accents trop conservateurs. D’autres le décrivent carrément comme un « conservateur déguisé en Parti travailliste », en raison de certaines positions jugées trop à droite.

Catherine Ellis estime néanmoins que le leader travailliste a réussi à « éloigner » son parti des années Corbyn en présentant « un parti plus uni et responsable, moins idéologique et plus pragmatique » qui, selon elle, est plus en phase « avec les préoccupations des électeurs d’aujourd’hui ».

Ce changement de direction était peut-être nécessaire, ajoute-t-elle, pour permettre au parti de reprendre le pouvoir. L’historienne évoque entre autres les élections de 1997, lorsque Tony Blair, la superstar du Labour, a remporté une victoire très convaincante avec sa séduisante « troisième voie », plus centrale, ouvrant la voie à dix ans de règne travailliste.

Signe des temps, l’Ecosse pourrait aussi succomber au raz-de-marée travailliste annoncé. Le Parti national écossais (SNP, indépendantiste, de gauche) contrôle actuellement 43 des 59 circonscriptions du pays. Mais le parti a perdu du terrain depuis le départ de sa charismatique leader Nicola Sturgeon, et les sondages le placent désormais derrière le Labour, qui dominait la région jusqu’en 2010. La dernière projection de l’institut Ipsos donne au SNP seulement 15 sièges, tout en soulignant le faible écart de voix avec le Labour, les deux partis se situant à 36% des intentions de vote.

Avec l’Agence France-Presse

 
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