“Pour son travail, son enseignement et son courage, nous décidons que Marc Bloch entrera au Panthéon.” C’est par ces mots que le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé ce samedi 23 novembre la panthéonisation prochaine de l’historien et résistant, fusillé par la Gestapo en 1944.
Si Marc Bloch a payé de sa vie son engagement dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, c’est loin d’être la seule raison qui a motivé son entrée au Panthéon. Retour sur l’engagement d’un homme pour l’éducation et la République.
Professeur d’histoire, il fut mobilisé en 14-18
Né dans une famille juive non pratiquante en 1886 à Lyon (Rhône), Marc Bloch est le fils de Gustave Bloch, professeur renommé d’histoire ancienne qui a enseigné à l’Université de Lyon mais aussi à l’École Normale Supérieure. Fort de cet héritage familial, l’adolescent réalise une éducation exemplaire en intégrant le lycée Louis-le-Grand à Paris. Il entre ensuite à l’École normale supérieure en 1904 et obtient son agrégation d’histoire quatre ans plus tard.
L’homme petit et mince, à l’allure distinguée et aux fines lunettes à monture intellectuelle, débute sa carrière comme professeur dans les lycées entre 1912 et 1914, à Montpellier (Hérault) puis à Amiens (Somme). Mais la Première Guerre mondiale l’amène à être appelé au service militaire. Mobilisé comme sergent d’infanterie, il accède au grade de capitaine à la fin du conflit. Il est décoré de la Légion d’honneur et de la Croix de Guerre avec quatre citations.
Fondateur des « Annales d’histoire économique et sociale »
C’est à la fin de la Grande Guerre qu’il épouse Simone Vidal, en 1919, l’année de son retour à l’enseignement. Il est nommé « maître de conférences en histoire du Moyen Âge à la Faculté des lettres de l’Université de Strasbourg, puis obtient la chaire d’histoire du Moyen Âge en 1927 », détaille l’établissement supérieur.
Il va alors rencontrer un homme qui va bouleverser sa vie : Lucien Febvre. Les deux hommes fondent ensemble en 1929 les « Annales d’histoire économique et sociale », fer de lance de l’école historiographique française. Longtemps considérée comme la revue d’histoire la plus prestigieuse, elle a influencé de nombreux historiens à travers le monde. Ce succès lui permet d’entrer à la Sorbonne en 1936 comme professeur d’histoire.
« Il est le fondateur de l’histoire des mentalités, des croyances, des modes de pensée », résume l’historien Julien Théry. Avec son livre maître « Les Rois thaumaturges » (1924), notamment, il donne « à l’histoire un autre objet que les grands noms, les grands événements, les batailles ». Ses méthodes pionnières permettent une approche nouvelle, avec « une Histoire qui s’intéresse aux profondeurs de la société » et capte l’homme sous tous ses aspects. “Cela préfigure Fernand Braudel” et son “Identité de la France”, ajoute Julien Théry.
“L’Étrange Défaite”, son plus grand succès
« Passionné de République » et grand patriote signataire du manifeste des intellectuels antifascistes dans les années 1930, ce juif athée fut de nouveau mobilisé en 1939 à sa demande, alors qu’il avait 53 ans, avait six enfants et souffrait d’une polyarthrite invalidante. . “Je suis le capitaine le plus âgé de l’armée française”, a-t-il déclaré.
Après un passage en Alsace, il est muté dans le Nord. A l’issue de l’Armistice du 22 juin 1940, par lequel le gouvernement du maréchal Pétain concède sa défaite face au Troisième Reich allemand, Marc Bloch retrouve sa famille dans la Creuse. Il écrit alors « L’Étrange Défaite », une œuvre sans concession. Et le plus connu, publié à titre posthume après la guerre, racontant de l’intérieur, de manière implacable, « l’effondrement le plus atroce de notre histoire ».
A l’époque, il lui est impossible de poursuivre son métier d’enseignant : le régime de Vichy met en place une loi qui interdit aux Juifs de travailler dans la fonction publique et, par extension, dans l’enseignement. Il est finalement « démobilisé » pour « services scientifiques exceptionnels rendus à l’État français » et reprend son enseignement en janvier 1941 au sein de la faculté de Strasbourg, alors établie à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).
Un résistant qui a continué à enseigner jusqu’au bout
Mais lorsque les Allemands envahirent la zone libre en novembre 1942, il dut à nouveau abandonner. Avec sa famille, il se réfugie dans la maison familiale en Creuse, avant de choisir à nouveau la France qu’il aime tant. « Marc Bloch n’avait confiance qu’en une seule idée, la République », souligne sa petite-fille, Suzette Bloch. Il a déclaré n’avoir revendiqué sa judéité que « dans un seul cas : devant un antisémite ».
“La France, dont certains comploteraient pour m’expulser (…) restera, quoi qu’il arrive, la patrie dont je ne peux pas arracher mon cœur”, a-t-il écrit. Le professeur d’histoire entre dans la Résistance, se plonge dans la vie clandestine à Lyon et rejoint le mouvement Franc-Tireur. Sous le pseudonyme de « Chevreuse », puis « Arpajon » et « Narbonne », il forme les Comités de Libération de la région.
Il est arrêté le 8 mars 1944, interné à la prison de Montluc et torturé pendant des jours. En captivité, il redevient professeur et instruit ses camarades d’infortune. « Si je m’évade, je reprendrai mes cours », leur a-t-il confié. Il fut finalement fusillé par la Gestapo le soir du 16 juin 1944 dans un champ broussailleux près de Lyon. Exécuté avec une mitrailleuse dans le dos. Avec 29 autres camarades, torturés par groupes de quatre.
Ses cendres furent transférées en 1977 au caveau familial du cimetière du Bourg-d’Hem (Creuse). Avec deux mots simples gravés en épitaphe, « Dilexit veritatem » (« J’ai chéri la vérité »), devise écrite en 1941 dans son « Testament spirituel ».