A deux mois d’un vote décisif dans les chambres d’agriculture, la Coordination rurale tente d’imposer ses méthodes musclées pour briser le monopole historique de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs.
Barbecue géant d’un côté, pneus brûlés de l’autre. Depuis vendredi 15 novembre, les syndicats agricoles multiplient les actions sur le terrain, avec des méthodes très différentes. Ils mobilisent leurs troupes pour lutter contre le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur et dénoncent le manque de soutien de l’État aux agriculteurs. Mais derrière ces manifestations se cache un autre combat : celui des élections professionnelles dans les chambres d’agriculture, organisées en janvier 2025.
«Ils sont très importants et représentent un double défi pour les syndicats agricoles»explique Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech. Ainsi, ils déterminent le poids politique des syndicats. “C’est le test pour savoir si le gouvernement vous recevra ou non lors des négociations”, résume l’expert. De plus, ils déterminent une grande partie du financement des organismes. « Il y a des budgets énormes accordés aux syndicats en fonction des résultats »notes Jean-Christophe Bureau.
Depuis plusieurs décennies, l’alliance entre la Fédération nationale des syndicats agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs règne en France et en Corse. Comme le souligne le média spécialisé Terre-net, le duo a remporté plus de 55 % des voix lors des dernières élections. Seuls trois départements ont été remportés par la Coordination Rurale (Lot-et-Garonne, Vienne et Haute-Vienne), qui a obtenu 21,5 % des suffrages au niveau national, juste devant la Confédération paysanne (environ 20 %). Cet équilibre pourrait cependant évoluer, assure Jean-Christophe Bureau : “Aujourd’hui, le quasi-monopole de la FNSEA est remis en cause par la Coordination rurale.»
En Dordogne, cette bataille acharnée est déjà en cours, sous les yeux des habitants. Une montagne de fumier, de paille et de pneus a été déversée et brûlée devant la préfecture le 19 novembre par la Coordination rurale, arrivée deuxième dans le département lors des élections de 2019. “Nous n’allons pas mourir en silence et cela ne va pas s’arrêter aujourd’hui !”» a lancé leur leader charismatique, Rémi Dumaure. Une méthode musclée devenue la signature de ce syndicat, qui dénonce avec véhémence un “agricide” en France et « cogestion » de la FNSEA avec l’Etat et l’agro-industrie. Résultat : le nombre d’adhérents dans le département a été multiplié par sept, souligne France Inter.
Le 18 novembre, l’ambiance était bien différente dans le centre-ville de Périgueux. Après un barbecue géant ouvert à tous, “on mettra les choses au clair ce soir”, avait prévenu Guillaume Testut, président des Jeunes Agriculteurs de Dordogne. Avec ses alliés de la FNSEA, il assume « un changement de mode de fonctionnement ». “C’est très important d’avoir l’opinion publique avec nous”glisse-t-il en souriant. A ses côtés, le vice-président départemental de la FNSEA, Jean-Philippe Granger, est également plus “raisonnable” que les autres syndicats concernant l’accord avec le Mercosur. «Nous aussi devons exporter»souffle celui qui est également président de la chambre départementale de l’agriculture.
A quelques dizaines de kilomètres de là, François Soulard, spokesperson for the Confédération paysanne, comments on the match remotely. « Sans les élections syndicales, nous ne les aurions pas entendues »murmure l’éleveur en restant avec ses moutons. Son syndicat, classé à gauche, est arrivé en troisième position dans le département en 2019. Aujourd’hui, il ne croit pas à la sincérité de la FNSEA lorsqu’elle s’oppose au libre-échange. “C’est une opération marketing”assure-t-il. « Ils ont été débordés par leur base en janvier [lors des précédentes manifestations d’agriculteurs]. Maintenant, ils ont peur d’être dépassés par la Coordination rurale.»
Au niveau national, le même schéma s’applique. Les accrochages entre la FNSEA et la Coordination rurale s’intensifient de jour en jour. « Nous sommes le syndicat responsable depuis 80 ans »a insisté Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, le 20 novembre sur franceinfo. Ce grand producteur de céréales a décidé de répondre directement à la Coordination Rurale qui a promis “chaos” être entendu. “C’est totalement irresponsable”il tacle.
De son côté, la Coordination Rurale envoie un message radical : « Organisez-vous pour renverser le pouvoir de la FNSEA. Renverser les rôles!”» a lancé leur secrétaire général, Christian Convers, lors de l’ouverture du congrès syndical le 19 novembre, a rapporté l’AFP. « Il y a une incitation à la surenchère »confirme Jean-Christophe Bureau.
« La Coordination rurale a clairement le sentiment d’avoir le vent en poupe. »
Jean-Christophe Bureau, professor of economics at AgroParisTechsur franceinfo
Cette escalade présente toujours le risque d’un rejet des organisations par leur base. Dans les exploitations agricoles, les difficultés des agriculteurs sont toujours aussi pressantes. Avec Des pluies quasi incessantes, la France connaît sa pire récolte de blé depuis 40 ans, des pertes considérables dans les vignobles et une résurgence des épidémies chez les animaux. Malgré la mobilisation, plus d’un quart des agriculteurs ne se sentent proches d’aucun syndicat, selon une enquête du Centre d’études politiques de Sciences Po, de l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse et de la revue Réussir, réalisé au printemps (PDF). Un rejet qui pourrait impacter la participation lors du vote de janvier.