pourquoi les Français s’opposent à l’accord de libre-échange

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Des agriculteurs manifestent contre l’accord UE-Mercosur à Bruxelles, le 13 novembre 2024. YVES HERMAN / REUTERS

Des agriculteurs qui menacent de manifester dans toute la , un Premier ministre français, Michel Barnier, venu plaider sa cause à Bruxelles : la perspective d’une signature imminente de l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur crée des troubles politiques en France et Europe.

Qu’est-ce que cet accord UE-Mercosur ?

Il s’agit d’un projet d’accord de libre-échange entre l’UE et les pays du « Mercado Comun del Sur » (Mercosur), un bloc commercial qui regroupe le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie.

S’il voit le jour, l’accord serait le traité de libre-échange le plus important conclu par l’UE, tant en termes de population concernée (780 millions de personnes) que de volumes d’échanges (entre 40 et 45 milliards d’euros d’importations et d’exportations). .

Le texte vise à faciliter les échanges entre l’Europe et l’Amérique du Sud en supprimant progressivement la quasi-totalité des droits de douane appliqués aux échanges entre les deux blocs. L’UE espère dynamiser les exportations de produits européens sur lesquels les pays du Mercosur appliquent des droits de douane élevés, comme les voitures, les vêtements ou le vin. L’accord prévoit également un important quota d’importation de viande bovine, une reconnaissance de près de 400 les indications géographiques protégées, ainsi que plusieurs autres mesures visant à faciliter l’accès mutuel des entreprises européennes et sud-américaines aux marchés publics.

À l’issue d’un long processus de négociation entamé au début des années 2000, le traité a été formellement conclu le 28 juin 2019. Mais les hésitations exprimées par plusieurs pays concernés des deux côtés de l’Atlantique ont empêché sa signature officielle.

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L’élection du président brésilien Lula en 2022 a relancé le dossier : la Commission européenne et le Mercosur ont alors repris leurs discussions pour négocier un texte d’annexe censé clarifier le traité et désamorcer les principales critiques.

La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, souhaite désormais parvenir à un compromis avant la fin de l’année. Deux occasions pourraient se prêter à la signature officielle du traité : la réunion du G20, qui se tiendra les 18 et 19 novembre au Brésil, ou le sommet du Mercosur, prévu du 6 au 8 décembre en Uruguay.

Pourquoi les agriculteurs français sont-ils mécontents ?

Depuis plusieurs années, ce projet suscite de vives inquiétudes chez les agriculteurs, qui dénoncent la menace que pourrait faire peser l’arrivée massive de denrées sud-américaines sur le marché français. L’accord prévoit ainsi la suppression des droits de douane à l’importation de 45 000 tonnes de miel, 60 000 tonnes de riz soit 180 000 des tonnes de sucre.

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Mais le point qui cristallise les tensions concerne le quota de 99 000 tonnes de bœuf taxées à 7,5 %, auxquels s’ajoutent 60 000 tonnes d’un autre type de viande bovine et 180 000 tonnes de volailles exonérées de droits de douane. Les éleveurs dénoncent une concurrence déloyale à l’encontre des grandes exploitations sud-américaines, plus nombreuses, soumises à des normes sanitaires et environnementales moins exigeantes, et où la rémunération du travail est plus faible.

Un an après un vaste mouvement social européen des agriculteurs, et alors que des élections professionnelles dans les chambres d’agriculture sont prévues en janvier 2025, les syndicats français se mobilisent fortement contre l’accord UE-Mercosur.

La Fédération nationale des syndicats agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs (JA) appellent à des actions dans tous les départements à partir du 18 novembre : des manifestations seront organisées lundi et mardi devant les préfectures ou sur les ronds-points appelés « ronds-points de Europe”.

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La Coordination rurale, deuxième syndicat agricole du pays, dont certains dirigeants sont proches de l’extrême droite, promet « une révolte agricole » à partir du 19 novembre, avec un « blocage du fret alimentaire ».

La Confédération paysanne, troisième force syndicale défendant un modèle d’agriculture paysanne, également opposée aux accords de libre-échange, ne se joindra pas à la mobilisation lancée par l’alliance FNSEA-JA mais entend mobiliser ” avec [ses] propres modes d’action ». Les associations interprofessionnelles de la viande bovine (Interbev), de la volaille (Anvol), des céréales (Intercéales) et du sucre (AIBS) ont également exprimé leur soutien à la mobilisation.

Pourquoi la classe politique française est-elle opposée à l’accord ?

En France, l’hostilité à cet accord transcende les clivages partisans. Plus de 600 parlementaires de divers horizons politiques ont récemment exprimé leur opposition lors d’un forum à Mondeconsidérant que le texte ne respecte pas « les critères démocratiques, économiques, environnementaux et sociaux fixés par l’Assemblée nationale et le Sénat ». Une unanimité que l’on retrouve dans la société civile, où l’accord UE-Mercosur rassemble contre lui un front inédit d’agriculteurs, d’écologistes et de détracteurs du libre-échange.

En 2020, une commission d’experts dirigée par l’économiste de l’environnement Stefan Ambec, chargée par le gouvernement d’évaluer les effets potentiels du traité, avait déjà conclu que l’accord “représenter[ait] une occasion manquée pour l’UE d’utiliser son pouvoir de négociation pour obtenir des garanties solides répondant aux attentes environnementales, sanitaires et plus généralement sociétales de ses concitoyens ». Il a cité par exemple les risques de déforestation dans les pays du Mercosur, qui pourraient s’accélérer de 5% par an durant les six années suivant la ratification, en raison de l’augmentation attendue de la production de viande bovine.

Un récent audit de la Commission européenne, publié en octobre, a renforcé les craintes sanitaires des opposants. Elle conclut que le Brésil, premier exportateur mondial de viande bovine, ne peut garantir que la viande rouge qu’il exporte vers l’UE n’a pas été dopée à l’estradiol 17-β, une hormone de croissance interdite en Europe depuis des décennies mais largement utilisée au Brésil.

Bien qu’il ait initialement défendu l’accord, Emmanuel Macron a rapidement changé d’avis, présentant son changement d’avis comme une mesure de représailles à la politique « anti-climat » de Jair Bolsonaro, alors président du Brésil. Même si ce dernier a quitté le pouvoir, M. Macron reste aujourd’hui à sa place : en février, il se félicitait – à tort d’ailleurs – de l’arrêt des négociations.

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a informé Ursula von der Leyen de son opposition à l’accord, dénonçant, le 13 novembre, « l’impact désastreux que cela aurait sur des secteurs entiers, notamment l’agriculture et l’élevage ».

S’il rejette le projet « en l’état », le couple exécutif reste néanmoins ouvert à une version révisée. Le gouvernement appelle donc la Commission européenne à renégocier le texte de manière plus approfondie, notamment pour intégrer des « clauses miroir », qui imposeraient des normes identiques sur les produits échangés entre les deux blocs.

Le gouvernement français défend également l’introduction de mesures contraignantes en faveur de la protection de l’environnement, pour rendre le traité compatible avec les objectifs de l’accord de Paris sur le climat. Autant de demandes que la Commission européenne ne semble pas prête à accepter aujourd’hui.

Quelles sont les chances que l’accord aboutisse ?

La possibilité de signer l’accord UE-Mercosur d’ici la fin de l’année dépend de l’équilibre des pouvoirs entre la Commission européenne et les États membres. Mais même une fois signé, le traité devra encore être dûment ratifié par l’UE avant d’entrer en vigueur.

Cependant, la présence dans l’accord de dispositions non strictement commerciales, empiétant sur les compétences des États membres, imposerait une procédure de ratification « XXL », qui nécessiterait le feu vert unanime des Vingt-Sept, puis l’approbation de l’accord. Parlement européen et de tous les parlements nationaux des pays membres. La France aurait donc la possibilité d’y mettre son veto.

Pour contourner cette difficulté, la Commission européenne est tentée de couper l’accord en deux, en séparant l’aspect coopération, qui pourrait être sacrifié, de l’aspect commercial, qui relèverait alors de la compétence exclusive de l’UE : sa ratification ne exigerait alors un vote à la majorité qualifiée (au moins quinze pays, représentant 65% de la population européenne), privant Paris de son droit de veto.

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Dans ce scénario, il faudrait donc que la France, pour bloquer l’accord, rassemble une minorité de blocage, en ralliant au moins quatre Etats membres représentant plus de 35% de la population européenne. Toutefois, Paris reste globalement isolé pour le moment. Car même si la Pologne, l’Autriche, les Pays-Bas et l’Irlande ont régulièrement exprimé leurs inquiétudes sur l’accord, leur poids ne suffirait pas à empêcher le vote.

De l’autre, des poids lourds comme l’Allemagne et l’Espagne poussent la Commission européenne à finaliser l’accord d’ici la fin de l’année, dans l’espoir de relancer la croissance européenne. L’Italie et le Portugal soutiennent également cette idée. Berlin voit dans le Mercosur de nouvelles opportunités pour ses constructeurs automobiles. En se rapprochant de cette zone du monde riche en lithium, cuivre, fer ou cobalt, l’Europe cherche aussi à sécuriser son approvisionnement en matières premières nécessaires à la réussite de sa transition écologique.

Romain Geoffroy et Anne-Aël Durand

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