Le député solidaire Haroun Bouazzi reconnaît que ses positions sur l’émergence du racisme à l’Assemblée nationale ont pu provoquer un inconfort « sur la forme », mais refuse de reculer sur le fond. « En désaccord » avec ses propos, Gabriel Nadeau-Dubois ne lui demande toutefois pas de s’amender.
Dans une longue entrevue accordée à la radio de Radio-Canada vendredi matin, le député de Maurice-Richard n’a pas cédé aux multiples demandes d’excuses formulées la veille par l’ensemble de la classe politique.
Même s’il admet que « sur la forme, il peut y avoir [eu] malaise», l’élu de Québec solidaire (QS) persiste et signe : l’idée centrale de son discours prononcé au début du mois devant les membres d’un organisme représentant la communauté maghrébine tient toujours, a-t-il dit. soutenu vendredi. « Il existe des mécanismes qui créent l’Autre comme quelqu’un de dangereux et […] Je constate cela au quotidien», dit-il, affirmant vouloir faire de la «pédagogie».
Dans un extrait de son discours qui a été noté pour la première fois dans une chronique du Revue Québec, Le député Bouazzi suggère que les débats à l’Assemblée nationale favorisent « chaque jour » l’émergence de discours racistes et discriminatoires à l’égard des minorités ethniques et religieuses.
« On voit malheureusement – et Dieu sait que je le vois tous les jours à l’Assemblée nationale – la construction de cet Autre. De cet Autre, qui est maghrébin, qui est musulman, qui est noir, qui est indigène, et de sa culture qui, par définition, serait dangereuse ou inférieure », peut-on l’entendre dire dans le cadre de cet événement de la Fondation Club Avenir.
Discours « polarisant »
Sur Facebook, jeudi soir, l’ancien porte-parole de Québec solidaire Amir Khadir a tenu à apporter son soutien à M. Bouazzi. « Haroun a raison », a-t-il écrit dans un commentaire laissé sous la vidéo du discours. « Si cela choque certains, c’est parce que, malheureusement, c’est vrai. »
Jeudi et vendredi, plusieurs membres de la classe politique avaient au contraire dénoncé publiquement les propos de M. Bouazzi, soutenant par exemple qu’ils jetaient un « immense discrédit » sur l’Assemblée nationale (Marwah Rizqy, Parti libéral du Québec), qu’ils constituaient un « faux procès » (Pascal Bérubé, Parti Québécois) ou qu’ils « dépassaient[ai]ent the limits” (Lionel Carmant, Coalition Avenir Québec).
En entretien avec DevoirJeudi, le co-porte-parole de la solidarité, Gabriel Nadeau-Dubois, a pour sa part critiqué son député pour son discours « polarisant » sur le racisme et la discrimination.
« J’ai souvent dit ces dernières années que, dans les débats sur l’immigration et l’inclusion, nous devons rester à l’écart de toute polarisation. C’est un appel qui s’adresse à nos adversaires, mais il s’applique aussi à notre équipe, à ceux qui sont solidaires », a-t-il déclaré. Selon le député et futur co-porte-parole de QS, Ruba Ghazal, Haroun Bouazzi a fait des allusions « maladroites »[e]s » et « exagéré[e]s ».
À l’aube d’un congrès des députés de Québec Solidaire, Haroun Bouazzi a dit avoir « respecté » vendredi l’avis de ses confrères députés Solidaire. “Sur le fond, nous sommes d’accord sur toutes sortes de points”, a-t-il déclaré.
Selon lui, la démonstration du racisme dans le discours politique n’est cependant plus nécessaire. Pas plus tard que quelques jours, a-t-il souligné, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, attribuait une partie du problème en protection de la jeunesse à l’augmentation de l’immigration. “M. [Christian] Dubé [ministre de la Santé] être interrogé sur les listes d’attente toujours croissantes […] et il dit : c’est la faute des immigrés », a-t-il ajouté.
« Et je ne vous parle pas de l’ancien ministre de l’Immigration [Jean Boulet] — qui est encore aujourd’hui au Conseil des ministres — qui nous donne [avait] a dit que 80 % des immigrants ne travaillent pas, ne parlent pas français », a-t-il déclaré. « Cela contribue à créer l’Autre comme un danger. »
QS « doit agir », dit Jolin-Barrette
Selon le ministre de la Justice et leader parlementaire du gouvernement à l’Assemblée nationale, Simon Jolin-Barrette, Québec solidaire « ne peut cautionner ce type de propos au sein de son caucus ». « En insultant les élus de l’Assemblée nationale, il insulte tous les Québécois. [Ruba Ghazal et Gabriel Nadeau-Dubois] il faut agir”, a-t-il écrit sur le réseau social
Lors d’un court point de presse tenu à Montréal vendredi soir, M. Nadeau-Dubois n’a pas demandé d’excuses à M. Bouazzi. ” [Il] est maître de ses paroles. J’ai fait part de mon désaccord avec ces propos», a-t-il souligné, avant de préciser qu’aucune discussion n’avait eu lieu concernant une éventuelle expulsion du groupe de solidarité.
A la veille du congrès QS, Ruba Ghazal a tenu à mettre les points sur les i, dans une interview dans les bureaux du Devoir.
«Je critique également depuis longtemps la manière dont se tient le discours sur l’immigration. Parfois c’est négatif, parfois on a l’impression de dire que tout est la faute des immigrés. Ce sont des choses que nous avons déjà dites à plusieurs reprises », a-t-elle déclaré. « Après, ce qui est important, c’est que [nos] discours, nous ne les tenons pas en divisant, mais en essayant de rassembler. »
Selon M. Nadeau-Dubois, la fin de semaine sera l’occasion pour les militants d’échanger sur la position de Québec Solidaire sur le sujet. « Ce à quoi nous assistons ces dernières heures est un débat sur la meilleure façon d’aborder ces questions. Ce sont des débats qui vont se poursuivre », a-t-il souligné.
Constatant que le bureau de circonscription du député Bouazzi a dû fermer temporairement après avoir reçu un « déferlement de messages haineux et violents » ces dernières heures, l’élu solidaire a lancé un « appel au calme ». « Il est normal dans une démocratie que les hommes politiques critiquent les déclarations d’autres hommes politiques », a-t-il déclaré. « Mais nous devons le faire tout en veillant à ce que cela reste pacifique. »
Le congrès de Québec solidaire se poursuit samedi et dimanche.