(Washington) Que se passe-t-il dans la tête de Joe Biden lorsque Donald Trump entre dans le Bureau Ovale ? Est-il fier de sa démonstration de grâce et de son « respect des institutions » ? Ou est-il terrifié par ce qui s’en vient ? Humilié de céder sa place à celui qui a juré de lancer des enquêtes contre lui ?
« La politique est difficile », a déclaré le président élu après avoir serré la main de Biden. “À bien des égards, ce n’est pas un très joli monde, mais aujourd’hui, c’est un très beau monde”, a-t-il ajouté, remerciant celui qui l’a battu en 2020.
Façon de dire : on échange des coups en campagne, c’est un peu violent, mais, hein, maintenant on tourne la page.
Sauf que Donald Trump n’a jamais tourné la page de sa défaite. Il ne l’a jamais reconnu, n’a jamais invité Biden à cette cérémonie de passation du pouvoir.
En témoigne également la plus incroyable de toutes ses nominations jusqu’à présent : Matt Gaetz, un représentant impliqué dans toutes sortes d’affaires louches, grand partisan des insurgés du 6 janvier. Trump l’a choisi comme procureur général, gardien de la légalité de l’administration, du respect de la Constitution et patron des procureurs fédéraux – en plus d’une multitude d’agences de surveillance.
Même les républicains les plus ardents méprisent ce type qui se promenait dans la Chambre des représentants en montrant des nus de femmes avec lesquelles il disait avoir couché.
Passons à une interpellation pour conduite en état d’ébriété qui, grâce à ses contacts, n’a jamais donné lieu à une accusation pénale, mais à une simple suspension de permis.
Gaetz a reçu les faveurs de prostituées payées par un homme souhaitant accéder au gouvernement. C’est du moins ce qu’un homme reconnu coupable dans cette affaire a déclaré sous serment. Il a fait l’objet d’une enquête de la police fédérale pour détournement de mineur (une jeune fille de 17 ans), mais le dossier a été abandonné compte tenu de la faiblesse des témoins. Ses collègues du Congrès continuent néanmoins d’enquêter sur lui pour trafic d’influence et corruption.
Gaetz fait partie de la frange extrémiste de la Chambre des représentants qui a demandé la destitution de Biden sur la base d’allégations de corruption non prouvées. Sera-t-il l’homme qui déclenchera l’enquête promise par Trump ?
Gaetz a été vu lors de la manifestation quotidienne de soutien aux personnes condamnées le 6 janvier 2021. Environ 1 000 personnes ont été reconnues coupables de l’assaut du Capitole, à la suite d’une enquête du FBI et des accusations des procureurs fédéraux. Le voilà désormais patron de ces procureurs.
Trump a promis de pardonner aux insurgés, et ce procureur général ne va certainement pas l’en dissuader. Gaetz était tellement en difficulté qu’il a lui-même demandé une grâce générale à Trump avant de quitter ses fonctions, pour toute accusation criminelle future.
On se demande si Gaetz passera les contrôles de sécurité du FBI – si jamais Trump en tiendra compte.
Oui, vraiment, la politique, c’est dur…
Mais quelle belle journée !
Le retour de Trump à la Maison Blanche constitue le revirement le plus extraordinaire de l’histoire politique américaine. Grover Cleveland réussit à reconquérir la présidence en 1892, après l’avoir perdue quatre ans plus tôt.
Mais Grover Cleveland n’avait pas été reconnu coupable par un jury dans une affaire pénale, il n’avait pas nié sa défaite et il ne faisait pas l’objet d’un procès pour avoir tenté d’annuler le résultat d’une élection. Il n’avait pas non plus promis de se venger de ses adversaires et ennemis.
Mercredi, les Républicains ont également obtenu officiellement la majorité des sièges à la Chambre des représentants. Ce qui signifie, avec un Sénat solidement républicain, le contrôle du Congrès, qui adopte les lois. Un Sénat qui approuve les nominations des juges, des ministres et des hauts fonctionnaires de l’administration.
Et malgré tout, Trump a demandé une procédure accélérée permanente pour annuler cette confirmation. Avec une nomination similaire, douteuse même pour les Républicains, on comprend pourquoi. Oseront-ils défier Trump et le bloquer ?
On pourrait aussi parler de la nomination, à peine moins sensationnelle, de Tulsi Gabbard, qui répète depuis plusieurs années la propagande russe. Ici, elle est désormais à la tête du renseignement national. Au cœur donc du très délicat système de collecte et d’échange d’informations top-secrètes.
Cette scène de poignée de main entre Trump et Biden, avec ses échanges de civilité, est purement cérémoniale. Pourtant, il symbolise le fondement même du système politique américain : la reconnaissance officielle du choix du peuple. Et la promesse d’une transition pacifique, de stabilité et de continuité de l’État.
Biden le croit lorsqu’il dit « vous ne devriez pas seulement aimer votre pays lorsque vous gagnez ». Trump, une semaine avant le vote, commençait déjà à dénoncer une « fraude électorale ».
Biden l’a cru également lorsqu’il a déclaré que Trump était « une menace pour la démocratie ». Mais cela ne l’empêche pas de l’accepter, les dents serrées, puisque les Américains l’ont choisi sans ambiguïté. Ce qui revient à lui accorder sa grâce et à effacer toutes les accusations portées contre lui.
Trump, en fait, a pour mandat de faire exactement ce qu’il commence à faire. « Démanteler » la bureaucratie fédérale ; nommer des personnes « loyales » à la tête des agences de sécurité publique ; et supprimer toutes les barrières juridiques au pouvoir.
Il a promis une nouvelle ère. Le voici devant nous.