TRIBUNE – L’île française est, depuis deux mois, l’épicentre des revendications liées au coût de la vie en Outre-mer. Mais le département est aussi la cible de campagnes d’activisme hostile depuis Bakou menaçant l’intégrité de la France, prévient Pierre d’Herbès, expert en intelligence économique.
Les semaines passent et rien ne semble pouvoir calmer les soubresauts qui secouent l’île, qui est aussi l’un des départements français les plus gangsters. L’accord proposé par le gouvernement à la mi-octobre, qui prévoyait une réduction de 20 % sur les produits les plus consommés, n’a pas suffi. Le refus de signature du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RRPRAC) et son appel à la poursuite de la protestation ont ravivé la crise. Si le RRPRAC affirme désormais se désolidariser des violences, il n’en a pas toujours été ainsi : son leader charismatique, Rodrigue Petitot, n’a pas hésité à justifier les pillages et les destructions sur Télé-Antilles le 13 octobre. Il a également participé à des barrages et projeté d’enlever les patrons Béké de la grande distribution.
Alors, quels sont les véritables objectifs du RRPRAC ? Si le coût de la vie dans ce département insulaire est un véritable sujet, il apparaît avant tout comme un prétexte pour pousser des thématiques sécessionnistes. Rodrigue Petitot, bien qu’interpellé pour trafic de drogue, est proche des milieux indépendantistes martiniquais. Son entourage en témoigne, et notamment Aude Goussard, la secrétaire du RRPRAC, ancienne candidate « régionaliste » aux législatives de 2024 et militante indépendantiste de longue date. Elle était une collaboratrice de Garcin Malsa, figure écologiste et indépendantiste de la Martinique et fondateur du parti Modemas, qui s’est également investi dans la protestation contre la vie chère. Dans une récente interview, elle a qualifié le militant Alex Granville, membre fondateur du Parti communiste pour l’indépendance et le socialisme (PKLS), de « camarade ».
Ingérence azerbaïdjanaise
Depuis le début des troubles, le RRPRAC a vu son action relayée sur les différents réseaux sociaux du Baku Initiative Group (BIG). La célèbre ONG étatique azerbaïdjanaise est active depuis 2023 auprès de divers mouvements indépendantistes à l’étranger (Pacifique, Corse, Antilles, etc.) via l’organisation de conférences internationales, le soutien à l’ONU, la signature d’accords de coopération, etc. En octobre 2024, le BIG se rapproche de Kemi Seba, influenceur panafricaniste financé par Moscou et proche des milieux indépendantistes martiniquais. Dans cette optique, il prononce des discours à Bakou et à l’ONU (Genève) dénonçant le colonialisme français.
Le BIG et l’Azerbaïdjan n’ont pas hésité à attiser les braises, en amont et en aval, des affrontements en Nouvelle-Calédonie au printemps, via des actions de cyberactivisme, l’organisation de manifestations et le financement de groupes violents comme le CCAT. Un mode opératoire similaire est observé aujourd’hui en Martinique. La production d’un documentaire, en octobre 2023, sur la Martinique par la chaîne azerbaïdjanaise CBC-TV, mettant notamment en scène Rodrigue Petitot et Aude Goussard, n’est pas un hasard.
La proximité entre le BIG et l’écosystème indépendantiste martiniquais est de plus en plus documentée. Parmi les liens les plus marquants, Marcellin Nadeau, député du groupe communiste (RDA) à l’Assemblée nationale et co-leader du parti indépendantiste Péyi-A avec le député Insoumis Jean-Philippe Nilor. Sollicité lors de conférences par le BIG, Marcellin Nadeau déclarait par exemple en novembre 2023 que la France avait « empoisonné le peuple martiniquais ». Les 17 et 18 juillet 2024, pas moins de trois partis indépendantistes, Modemas, Palimas et le PKLS, se sont rendus à une nouvelle conférence à Bakou afin de créer un « front international de libération des dernières colonies françaises ».
Désir caribéen
Pourquoi un tel activisme ? Car les territoires français d’outre-mer sont autant un atout géostratégique qu’un point de vulnérabilité. La raison en est le sous-investissement chronique de l’État dans ces territoires. Une situation bien comprise par les concurrents de la France, dont l’Azerbaïdjan. Pour Bakou, il s’agit de répondre à l’engagement français en faveur de l’Arménie. On ne peut cependant pas exclure le soutien d’autres puissances, car ces opérations servent directement les intérêts russes, chinois ou encore turcs. Pour Ankara, le soutien opérationnel aux actions BIG est également documenté ; tout comme l’influence chinoise dans les sphères indépendantistes kanak.
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C’est la même chose dans les Caraïbes, avec lesquelles la Chine est à l’offensive depuis des années. En effet, la région a une grande valeur stratégique, en tant que point de passage entre les océans Pacifique et Atlantique. C’est aussi l’arrière-cour des États-Unis, qui y sont fortement présents. Sans oublier son potentiel énergétique, halieutique et minier. La Russie réinvestit également dans la région. Le déploiement de navires de guerre à Cuba en juin est un épiphénomène. A l’image des récentes déclarations du Kremlin sur la « décolonisation inachevée » des territoires français d’outre-mer en référence à la crise martiniquaise.
Certes, l’audience du BIG et de l’Azerbaïdjan est encore modérée et les problèmes de l’outre-mer ne datent pas de l’année dernière. Cependant, Bakou a réussi à s’imposer, du moins dans les perceptions, comme un acteur important dans les troubles. Ce qui donnait encore plus d’impact cognitif à ses actions. Et tout porte à croire que la guerre de l’information lancée par l’Azerbaïdjan va encore gagner du terrain.
Depuis 2022, l’influence est devenue une fonction stratégique. Plusieurs initiatives ont depuis été menées en ce sens, au sein des armées et dans certaines administrations. C’est encore trop peu et timide et tout porte à croire que la montée en puissance prendra nécessairement quelques années. Mais c’est désormais que l’État français doit reprendre le contrôle de son espace informationnel. C’est aussi maintenant qu’il doit adopter une posture plus agressive pour déstabiliser ses concurrents sur le même terrain. En France, le secteur privé dispose de bonnes capacités en ce sens. Compte tenu de la situation, une synchronisation public-privé serait plus que souhaitable pour mener une réponse rapide et efficace.