L’avocate montpelliéraine Catherine Szwarc représente l’association des victimes d’attentats devant la cour d’assises spéciale de Paris où sont jugés huit prévenus. Deux pour complicité d’assassinat terroriste et six pour association de malfaiteurs terroristes dans l’affaire de la mort du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, décapité devant son collège le 16 octobre 2020. Elle revient sur cette première semaine de débats.
Que retenez-vous de cette première semaine d’audience ?
Les débats sont très denses, avec un rythme très éprouvant et un point d’orgue, jeudi, quand on a vu la photo en gros plan du corps de Samuel Paty, décapité par M. Anzorov, la tête à côté, c’était un moment très Moment difficile, c’est l’horreur qui se déroule sur l’écran. Le témoignage des victimes, de la famille Paty, vendredi, a aussi été un moment très émouvant.
Comment se comportent les huit accusés ?
En regardant la photo, j’ai regardé leur réaction, je n’ai pas remarqué de réaction particulière. Dans la « jihadosphère » numérique, il y a beaucoup d’images de décapitations, certains ne sont peut-être pas choqués de la même manière…
Et au fond, seul Ismaïl Gamaev (un Russe de 22 ans d’origine tchétchène, qui avait échangé des messages jihadistes avec Anzorov, l’assassin de Samuel Paty, ndlr) a reconnu sa responsabilité, a dit que c’était horrible et a pleuré, il avait l’air sincère. Pour les victimes, cette reconnaissance est importante. Parce que les sept autres contestent tout. Ils se croient totalement innocents de ce qui s’est passé. Ils se disent innocents et sans responsabilité.
Et Priscilla Mangel de Nîmes ?
Elle est arrivée voilée de toutes parts, semble très religieuse, elle estime qu’elle n’y est pour rien. Mais elle a rencontré son mari actuel sur les réseaux sociaux, elle a déménagé dans le Gard, où elle avait de la famille. Et cet homme a quand même été condamné à 14 ans de réclusion criminelle pour actes de terrorisme et elle va le voir en prison avec ses deux enfants. Malgré cette conviction, elle parle d’avenir avec lui…
Brahim Chnina, le père de l’écolière qui a tout déclenché en accusant faussement Samuel Paty, a présenté ses excuses mercredi.
Il s’excuse, il dit que c’est horrible, mais il n’y a aucune reconnaissance de responsabilité, même morale. Nous sommes devant la cour d’assises spéciale, certes, mais quel que soit le verdict, le sang sur leurs mains est désormais indélébile, compte tenu de ce qui s’est passé et de ce qu’ils reconnaissent (Chnina avait mené une vaste campagne de cyberharcèlement contre le professeur d’histoire NDLR).
Ils ne reconnaissent même pas que leur attitude a été un des éléments de cette chaîne, délibérée comme le dit l’accusation, ou involontaire comme ils le nient, mais chaîne néanmoins.
L’enjeu pour les parties civiles reste-t-il le même ?
Il y a plusieurs problèmes. D’abord la recherche de la vérité, l’établissement des responsabilités et leur reconnaissance. Mais dans ces responsabilités criminelles, au-delà des responsabilités morales, émergera celle de tout le système des réseaux sociaux et l’écho qu’ils donnent à des personnes radicales, dangereuses, qui incitent à la haine, sans finalement beaucoup de contrôle.
C’est à dire ?
Nous sommes dans une société où nous avons construit un service de renseignement, des méthodes pour prévenir les actes terroristes, pour les arrêter au moment où ils pourraient être conçus, grâce au délit d’association de malfaiteurs terroriste.
Le problème est que ces services de renseignement et notamment la plateforme de reporting Pharos, leur fonctionnement laisse à désirer faute d’effectifs suffisants. C’est aussi ce que nous avons appris de ce que nous a dit la sous-direction antiterroriste à la barre.
Des publications au contenu agressif ont été signalées par M. Anzorov. Mais le filtre de cette plateforme fait que même s’il y a une personne qui est en France, avec une carte de réfugié jusqu’en 2030 et qui dit des contenus haineux à travers des tweets, des menaces, mais sur l’étranger et pas sur la France, on ne s’en soucie pas .
La réalité est que cette personne est sur le territoire et il est glaçant de constater que rien n’a été fait au moment où les signalements ont été faits.
Comment réagissent les partis ?
La défense tentera d’en tirer un argument : comment l’accusé a-t-il pu voir que ce type était dangereux et agir, alors même que les services spécialisés n’ont rien vu ? C’est un argument trop facile.
Malgré tout, pour les victimes, dire qu’il y avait eu une prise de conscience, si à chaque fois qu’une personne en France développait un contenu haineux avec une envie de se battre, si elle était au moins surveillée, alors on ne serait pas en procès.
La question du ciblage des enseignants se pose également.
Oui, nous sommes là pour l’assassinat de Samuel Paty, mais aussi pour la communauté des enseignants, aujourd’hui ils sont une cible. Vivons-nous dans un pays où nous acceptons que certaines catégories de professionnels soient des cibles ? Parce qu’ils représentent la République, au même titre que la police.
L’espoir des victimes est aussi que ce procès ait du sens, qu’il contribue à déclencher une prise de conscience générale et politique pour éviter qu’une profession ne devienne une cible. Samuel Paty était quelqu’un de non-violent, ouvert, qui se promenait avec un sac à dos fleuri.