Alors que les burn-out explosent, « il faut arrêter avec l’ère des chefs tout-puissants »

Alors que les burn-out explosent, « il faut arrêter avec l’ère des chefs tout-puissants »
Alors que les burn-out explosent, « il faut arrêter avec l’ère des chefs tout-puissants »

Vous dédiez votre livre à « tous ceux qui ont déjà eu mal au ventre le dimanche soir ». Y en a-t-il autant ?

Je pense qu’on a tous vécu cette expérience à un degré ou à un autre : cette difficulté à se lever le lundi matin ou avoir mal au ventre le dimanche soir. Cette expérience est celle de la peur, de l’ennui ou du stress au travail. Mon travail tente de mieux comprendre cette souffrance afin de pouvoir susciter une réflexion et pousser au changement.

mouette

Les entreprises veulent non seulement influencer ce que font les gens, mais aussi ce qu’ils pensent. Il y a là quelque chose de totalitaire. “C’est une manière d’empêcher les travailleurs de manifester.”

La « domination du lieu de travail », comme vous l’appelez, n’a-t-elle pas toujours existé ?

Mon livre commence par une partie historique expliquant comment cette domination au travail a évolué au fil des siècles. Cela n’a pas toujours été de la même nature. J’ai remarqué un changement au cours des 20 à 30 dernières années dans les hiérarchies sur le lieu de travail. De nombreuses entreprises, qu’elles soient du secteur public ou privé, ont commencé à mettre en œuvre une gestion basée sur la peur et le contrôle psychologique. On ne demande plus simplement aux gens de bien faire leur travail, mais aussi de le faire avec le sourire, en s’investissant et sans se plaindre. Bref, il leur est demandé d’investir tout leur esprit au profit de l’entreprise. On note également l’augmentation des moyens technologiques et de gestion pour contrôler les travailleurs, car il y a une recherche permanente d’économies. Cette forte dégradation des conditions de travail se traduit en par une augmentation des arrêts maladie liés au surmenage et en Belgique par le « burn-out » qui n’est pas reconnu comme maladie professionnelle dans mon pays.

Le Wallon ou le Bruxellois n’est pas plus souvent malade que le Flamand.”

Alors on n’a plus le droit de « se tirer la tête » quand on travaille ?

Exactement. C’est une gestion psychologique. On voit des méthodes d’évaluation qui ne sont plus uniquement basées sur le travail. Il faut avoir le bon état d’esprit, le bon « mindset » comme disent les entreprises américaines. En fait, les entreprises veulent non seulement influencer ce que font les gens, mais aussi ce qu’ils pensent. Il y a là quelque chose de totalitaire. C’est une manière d’empêcher les travailleurs de protester.

mouette

Le travail est ennuyeux pour beaucoup de gens parce qu’ils ne voient pas vraiment l’intérêt de ce qu’ils font.»

Donc, selon vous, il y aurait une sorte de contrôle de l’employeur sur le salarié ?

Oui. Nous sommes dans un monde du travail qui accentue fortement la question du contrôle et de la surveillance. Les gens sont constamment évalués sur leurs performances. Le phénomène de « placardisation » est également apparu. Lorsqu’un salarié ne fait plus le travail, plutôt que de le licencier, ce qui peut coûter cher, on le mettra au placard, c’est-à-dire qu’on ne lui confiera plus la moindre tâche. C’est très violent. Nous avons finalement inventé tout un tas de métiers qui ne sont pas directement liés au processus de production. Le travail est ennuyeux pour beaucoup de gens parce qu’ils ne voient pas vraiment l’intérêt de ce qu’ils font. En France, on constate une augmentation du nombre de dirigeants dont la tâche principale est d’organiser des réunions où les gens s’ennuient beaucoup. Chacun devient le manager de quelqu’un d’autre. Nous embauchons des gens pour contrôler les autres. Ces métiers ennuyeux et dénués de sens sont généralement plus nombreux dans les grandes entreprises.

Les plaintes pour harcèlement au travail se multiplient. Est-ce parce que les gens deviennent plus libres, ou parce que le phénomène s’amplifie ?

Je dirais les deux. En France par exemple, le harcèlement moral est inscrit dans la loi depuis la fin des années 90, c’est donc relativement récent. Sur les questions de harcèlement sexuel, c’est quelque chose dont on parle enfin, mais qui a été complètement banalisé pendant des décennies. Mais d’un autre côté, nous avons aussi des organisations de travail qui sont de plus en plus violentes à cause de ces modes de gestion. C’est le système qui rend les gens violents et harcelants.

mouette

Dans le système actuel, un bon leader est plutôt un sociopathe. On ne lui demande pas d’être compétent, mais de faire pression sur ses salariés. L’écart se creuse avec les salariés.»

Dans votre livre, vous expliquez également que le rôle du leader a changé.

Un modèle de hiérarchie disparaît : celui de la méritocratie, du chef d’équipe qui le devient parce qu’il a acquis beaucoup d’expérience et de compétences dans un domaine au sein de l’entreprise. Cela donnait une certaine légitimité au leader. Mais aujourd’hui, que ce soit dans les entreprises ou dans les services publics, les dirigeants ne sont pas des gens bons dans leur domaine, mais des gens qui ont fait des études en écoles de commerce, en grandes écoles. Ils ne connaissent pas la réalité du travail de leurs subordonnés. Ce n’est pas un problème pour les entreprises qui n’ont plus besoin de patrons qui sympathisent avec leurs salariés. Dans le système actuel, un bon leader est plutôt un sociopathe. On ne lui demande pas d’être compétent, mais de faire pression sur ses salariés. L’écart se creuse avec les salariés. Dans le livre, je cite une étude qui montre qu’en France, la majorité des salariés pensent que leur patron est incompétent et qu’ils feraient le travail mieux que lui.

mouette

Nous avons trop de hiérarchies, car nous partons de cette croyance erronée que si nous laissons les gens travailler sans leader, ils ne feront rien. Mais c’est complètement faux !

L’image est un peu sombre. Voyez-vous des pistes à suivre pour sortir de ce piège ?

Je développe plusieurs histoires ou anecdotes positives dans mon livre. Souvent, pour des raisons accidentelles – le leader est absent ou n’a pas été remplacé – les organisations se retrouvent sans hiérarchie. Je relate notamment le cas d’un hôpital et d’un atelier d’ouvriers métallurgistes. Ce qui est intéressant dans ces expériences, c’est de voir à quel point elles libèrent des travailleurs qui peuvent s’organiser, trouver du sens à leur travail et sont, en un sens, plus efficaces. J’appelle à une déflation hiérarchique. Nous avons trop de hiérarchies, car nous partons de cette croyance erronée que si nous laissons les gens travailler sans leader, ils ne feront rien.

Mais c’est complètement faux ! La plupart des gens aiment leur travail, veulent le faire bien, mais au contraire, ils sont faits pour faire n’importe quoi. Nous pourrions nous organiser différemment, de manière plus humaine et efficace, nous faire davantage confiance entre collègues. Bien sûr, il y aura toujours besoin de personnes pour coordonner le travail et éventuellement de dirigeants. Dans la plupart des groupes, il y a des personnes qui assument naturellement ce type de rôle. Mais il faut arrêter avec l’ère des dirigeants tout-puissants qui est d’un autre âge. Nos sociétés sont suffisamment avancées pour n’avoir plus besoin de ce type de hiérarchie qui verrouille tout.


  • « Vous ne détestez pas les lundis. Vous détestez la domination au travail » pp.303, Nicolas Framont, publié par « Les Liens qui Libération ».
 
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