Fouiller dans les archives pour découvrir la vérité et l’humanité de chaque survivant des pensionnats

À la tête des archives du Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR), Raymond Frogner tente d’exhumer tous les documents et données possibles sur les pensionnats indiens afin de les analyser minutieusement. Une enquête au long cours pour donner la parole à ceux qui ont été réduits au silence.

Nous sommes ce dont nous choisissons de nous souvenir, mais nous sommes aussi ce que nous choisissons d’oublier.

Une citation de Raymond Frogner, directeur des archives du Centre national pour la vérité et la réconciliation

Le directeur de la recherche et directeur des archives du CNVR n’hésitez pas à marteler cette phrase à tous ceux qui veulent l’entendre. Parce que la quête de la vérité sur les pensionnats pour Autochtones est une long voyage ce qui est loin d’être terminé. Des millions de documents doivent encore être révélés, étudiés ou même découverts.

Incohérences dans les registres, documents incomplets, difficultés d’accès aux documents, complications administratives… Si le CNVR possède plus de 4 millions de documents liés à l’histoire des pensionnats et à leurs conséquences, ce n’est qu’une partie des documents existants. LE CNVR estime qu’il y en a cinq fois plus qui n’ont pas encore été mis à leur disposition ou qui ne sont pas encore identifiés.

C’est énorme. C’est un long voyage, une enquête qui durera des générations» déclare le directeur de recherche du Centre national pour la vérité et la réconciliation, Raymond Frogner.

Même s’il ressent la fatigue du public, il est certain que maintenant nous en savons trop. Impossible de revenir en arrière ou de s’arrêter !

Une histoire qui résonne

Raymond Frogner est une personne discrète, toujours le nez dans ses documents, ses notes ou ses présentations. Très modeste, il parle peu de sa vie, mais il est très bavard lorsqu’il s’agit de rechercher la vérité à travers les documents et les archives.

Il compile, note, recherche depuis des années pour faire ressortir l’histoire, les vérités, dit-il. Son objectif et celui de CNVRc’est donner une voix à ceux-ci histoires réduites au silenceverser décoloniser ce genre de souvenirsceux des enfants qui ont fréquenté les pensionnats ainsi que leurs familles.

Lors des conférences publiques sur les pensionnats, Raymond Frogner participe discrètement aux moments de contemplation des aînés.

Photo: Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Raymond Frogner lui-même a besoin de redécouvrir sa vérité familiale. Lorsqu’elle était jeune fille, sa mère a dû laisser son premier enfant dans sa communauté crie de Duncan, une Première Nation située à plus de 500 kilomètres au nord-ouest d’Edmonton, en Alberta. De plus, elle a été envoyée à la mission anglicane de Shaftsbury, d’où elle s’est enfuie vers la capitale provinciale.

Elle a perdu tout lien avec sa communauté lorsqu’elle a eu un enfant qu’elle a laissé chez sa tante. Elle a gardé cette histoire secrète pour ses enfantsil explique.

Il a donc grandi sans connaître l’histoire de sa mère, décédée alors qu’il avait une vingtaine d’années. Quinze ans plus tard, alors que Raymond Frogner avait 35 ans, un homme se présente à sa famille.

Ma sœur m’appelle et me demande si je suis assis. Elle me dit que nous avons un frère et que nous sommes autochtones. C’est comme ça que j’ai appris l’histoire. Quand mon frère est arrivé. Ce fut un choc. Jusque-là, je ne savais pas que ma mère venait du nord de l’Alberta et avait des liens avec les Cris..

Encore, avec curiositécomme il le dit, il était déjà archiviste et travaillait sur les questions autochtones et identitaires. C’est bizarre, parce que je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça, mais c’est la vie. Avec cette découverte, mon travail a résonné encore plus fort.

Il lui a fallu du temps pour le dire publiquement et il ne l’a évoqué qu’au début de ses participations. Dans ses conférences aux survivants des pensionnats, il prétend désormais s’adresser à l’auditoire comme quelqu’un ayant une formation en archivistique, mais se présente également avec une histoire personnelle dans laquelle les personnes en face de lui se reconnaîtront. Une histoire qui me motive à faire ce travail émotionnellement difficiledit-il à l’assemblée.

Si vous ou quelqu’un que vous connaissez vivez un traumatisme lié aux pensionnats, vous pouvez appeler la Ligne nationale de crise des pensionnats sans frais au 1-866-925-4419. Ce service est offert 24 heures sur 24.

Il est également possible d’appeler la Ligne Espoir en tout temps par téléphone au numéro sans frais 1-855-242-3310 ou par clavardage à Hopepourlemieuxetre.ca.

Accès toujours pénible

Neuf ans après le dépôt du rapport de la Commission Vérité et Réconciliation, l’accès aux archives, notamment celles des ordres religieux, progresse mais très lentementexplique Raymond Frogner. Selon lui, le vent du changement a clairement soufflé après la découverte de prétendues tombes à Kamloops en 2021.

En vertu de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, ratifiée en 2006, les ordres religieux qui géraient les pensionnats indiens sont tenus de fournir tous les documents pertinents en leur possession ou sous leur contrôle à la Commission de vérité et réconciliation.

Cependant, un récent rapport du Sénat soulignait que l’accès aux documents des pensionnats autochtones restait encore difficile. La première des recommandations de ce document était que le gouvernement du Canada exige que les groupes catholiques soumettent des documents au Centre national pour la vérité et la réconciliation.

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Raymond Frogner, directeur des archives du Centre national pour la vérité et la réconciliation, a découvert ces documents lors d’une visite aux Archives générales oblates à Rome (Photo d’archive)

Photographie : Raymond Frogner

En 2022, Raymond Frogner a eu accès aux archives générales des Oblats de Marie Immaculée (OMI), à Rome. Une première pour un chercheur canadien.

Cependant, en 1991, les Oblats présentaient leurs excuses pour leur rôle dans le système des pensionnats et avaient déjà manifesté leur désir de soutenir un processus de divulgation efficace concernant les pensionnats. Ils ont alors proposé de collaborer par tous les moyens possibles pour que l’histoire complète des pensionnats puisse être écritereconnu.

Selon l’archiviste, des discussions sont en cours avec le gouvernement pour avoir accès à 20 millions de documents liés à l’histoire des pensionnats, ce qui représente cinq fois plus que ce que l’on sait. CNVR.

Un autre obstacle le gêne : le statut juridique de certains documents qui complique leur accès.

Une fois les documents en main, les informations doivent encore être complètes et exactes. Raymond Frogner prend l’exemple de sa mère. J’ai encore beaucoup de questions. C’est quand même extrêmement douloureux pour mon frère d’en parler et mes sœurs ne connaissent pas vraiment l’histoire. La preuve est le certificat de décès de sa mère, qui indique qu’elle n’est pas autochtone. On y précise également que sa grand-mère est née au Québec.

Ma sœur a mis Québec, parce que ma mère parlait un peu français. Elle n’avait aucune idée d’où elle venaitdit-il.

Indicateurs de la vérité

Reste que ces documents, bien qu’imparfaits ou incomplets pour certains, restent indispensables, insiste l’archiviste.

Les documents d’archives sur l’histoire des pensionnats sont l’indication, la preuve du chemin à parcourir pour découvrir la vérité. Ils donnent une direction.

Une citation de Raymond Frogner

Ensuite, les expériences des survivants apportent plus de détails à travers leurs expériences, leurs relations, leurs connaissances, leurs perspectives. J’ai montré mes données et mes documents aux survivants et aux anciens et leurs réponses m’ont donné beaucoup plus d’informations que j’aurais pu en trouver, car ils comprennent beaucoup mieux les archives..

Mais le temps presse car il y a de moins en moins de survivantsil le laisse tomber. D’autant plus que cette voix est extrêmement difficile à trouver.

D’où l’urgence de recueillir rapidement un maximum de témoignages. LE CNVR compte actuellement plus de 7 000 témoignages, sans compter les déclarations privées et les cercles de partage.

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Raymond Frogner écoute les survivants lors d’une rencontre de partage de connaissances à Québec. Son équipe profite de chaque occasion pour recueillir des témoignages.

Photo: Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Si entendre, trier et scruter autant de récits, que ce soit sur une fiche administrative ou lors d’une discussion, est difficile, concède Raymond Frogner, ce qui le révolte, c’est de voir qu’on remet en question les récits de survivants.

Ils disent que ce n’était pas si mal. Mais comment ça ? Même si les enfants meurent de tuberculose ou de maladie, cela indique un manque de soins. Cela fait 130 pensionnats avec des histoires comme celle-là. C’est donc difficile d’en parler sans être un peu en colère. Il s’accroche alors à sagesse survivants et anciens.

Citant l’auteur engagé George Orwell, il lance dire la vérité est un acte révolutionnaire devant une assemblée. Quant au mot réconciliation, c’est d’abord personnel. Il continue : C’est une relation évolutive qui continue de changer.

Il faut prendre soin de cette relation, sinon elle va mourir et, pour moi, c’est comme ça qu’on fait une bonne relation au Canada. Fondamentalement, il existe une identité autochtone dans le pays. En tant qu’archiviste à CNVRce ne sont pas seulement les histoires que nous partageons, mais aussi celles que nous préservons et partageons avec les générations futures qui comptent vraiment.

Le CNVR donne accès au public à des milliers de documents et de photos sur son site Internet. Elle dispose également d’archives plus privées et auxquelles elle donne accès, sous conditions, pour des investigations universitaires ou sur les sites de recherches de sépultures anonymes. Les survivants et leurs familles peuvent également demander accès à un dossier complet. LE CNVR reçoit près de 40 demandes par mois. Environ 2000 dossiers ont déjà été transmis.

 
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