Une mère palestinienne | La presse

Un jour, pendant la guerre à Gaza, un magnifique oiseau s’est posé à la fenêtre d’Alaa el-Qatrawi. Son bec était doré comme un rayon de soleil. Son plumage brun était orné de fines lignes blanches au bout de ses ailes. Alaa se demandait comment un oiseau d’une telle beauté avait pu se retrouver là, au milieu d’une enclave en ruine, dressée sous des tentes et peuplée de morts.

Une explication lui vint à l’esprit. Enfin, moins une explication qu’une sorte de rêverie réconfortante, qu’elle n’a pas eu le courage de chasser : et si cet oiseau était son fils, Yamen ?

Alaa s’approcha de la fenêtre. Le bel oiseau se mit à chanter doucement, comme s’il lui chantait. Lorsqu’il s’envola, Alaa sentit qu’un crochet lui arrachait le cœur et l’emportait.

“Maman, sors-moi d’ici!” »

C’était le 13 décembre 2023, deux mois après le début de la guerre à Gaza. A Khan Yunis, la maison où Yamen s’était réfugié avec son père, son frère et ses sœurs était encerclée par les chars israéliens. Dans le quartier, les combats font rage.

Alaa el-Qatrawi, 33 ans, vivait séparée du père de ses quatre enfants. Elle ne les avait donc pas suivis lorsque son ex-mari, fuyant l’avancée des troupes israéliennes, avait décidé de se diriger vers le sud de l’enclave, espérant que leurs enfants y seraient un peu plus en sécurité.

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PHOTO FOURNIE PAR ALAA EL-QATRAWI

Yamen, 8 ans

Dans la maison de Khan Younès, il y avait Yamen, 8 ans, aux cheveux pâles et aux grands yeux bleus. Un enfant doux et affectueux, excellent en mathématiques, qui deviendra peut-être un jour ingénieur.

Il y avait Kinan, 6 ans, un garçon rieur et espiègle, et sa sœur jumelle, Orchida, une fille observatrice et perspicace, qui réussirait certainement dans tout ce qu’elle entreprenait.

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PHOTO FOURNIE PAR ALAA EL-QATRAWI

Karmel, 2 ans

Enfin, il y avait Karmel, 2 ans. Des quatre enfants, c’était cette petite aux yeux perçants qui ressemblait le plus à sa mère. Alaa avait hâte de la voir grandir, curieux de savoir si elle continuerait à voir son propre reflet en elle encore longtemps.

“Maman, sors-moi d’ici!” », suppliait Yamen au téléphone le 13 décembre.

“Oui mon amour, la Croix Rouge va te sortir de là, je suis en contact avec eux”, a-t-elle répondu. Alaa, à son tour, a rassuré ses autres enfants. « Je leur ai demandé de rester calmes, en leur disant que tout irait bien. »

Le lendemain, le 14 décembre, Alaa el-Qatrawi a perdu contact avec ses enfants. S’ensuivent des jours d’angoisse, durant lesquels ses appels à la Croix-Rouge restent sans réponse. Des jours d’impuissance, de terreur et de désespoir.

Imaginez ce que ressent une mère sachant que ses quatre enfants sont entourés de tanks, sans nouvelles d’eux, alors que personne ne peut les sauver de cet enfer. Je mourais à chaque seconde.

Pas El-Qatrawi

Les soldats israéliens ont abattu ceux qui tentaient de s’approcher de la zone. « Ils ont fait exploser les réservoirs d’eau et les bonbonnes de gaz. La grand-mère de mes enfants leur a demandé de les autoriser à quitter la maison, mais ils ont refusé. Ils ont ordonné à tout le monde de rester à l’intérieur sous peine de mort. Quelques jours plus tard, ils ont bombardé la maison et tué tout le monde à l’intérieur. »

Alaa n’a su ce qui s’était réellement passé que trois mois plus tard. En mars, après le retrait des troupes israéliennes de la zone, son beau-frère a pu s’y rendre. Au lieu de la maison, il n’a trouvé que des ruines d’où émanait une odeur de corps en décomposition.

Depuis, les derniers mots d’Alaa à ses quatre enfants n’ont cessé de la hanter.

Les promesses que je leur ai faites, leur disant qu’ils seraient en sécurité, sont restées comme une blessure dans mon cœur, une blessure qui saigne encore aujourd’hui.

Pas El-Qatrawi

Alaa el-Qatrawi est un poète reconnu et célébré au-delà des frontières de Gaza. Titulaire d’un doctorat en arabe, elle a reçu de nombreuses récompenses pour ses recueils de poésie.

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PHOTO FOURNIE PAR ALAA EL-QATRAWI

Alaa el-Qatrawi est un poète reconnu au-delà des frontières de Gaza.

Au cours de l’année écoulée, elle a dû fuir son domicile à sept reprises. Mais elle continue d’écrire des textes qui touchent le cœur, comme l’histoire de cet oiseau posé à sa fenêtre. « La poésie m’aide à respirer », m’a-t-elle expliqué en arabe, par l’intermédiaire d’un interprète montréalais.

La poésie l’aide aussi à défendre son humanité, une manière de dire au soldat qui peut la tuer :

Je suis humain et je peux écrire des poèmes. Je peux sentir l’air du matin et mon cœur peut trembler lorsque la pluie tombe. Je ne veux pas mourir de cette façon horrible. Si tu choisis, soldat, comment je dois mourir, tu ne pourras pas m’empêcher d’écrire mon dernier poème. Je continuerai à écrire jusqu’à la fin. Et si je ne survis pas, mes poèmes survivront, et je serai heureux après ma mort que quelque chose de beau en moi, que j’aime, ait survécu.

Pas El-Qatrawi

Depuis 10 ans, Alaa enseigne dans une école gérée par l’UNRWA, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens. Une photo la montre souriante, entourée de ses élèves. Elle a été prise le dernier jour d’école dans le monde auparavant. Avant les bombes, la terreur et la destruction.

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PHOTO FOURNIE PAR ALAA EL-QATRAWI

Alaa el-Qatrawi et ses élèves. La photo a été prise le dernier jour d’école, avant la guerre.

Ce fut une belle journée, remplie de rires et de joie de vivre. En classe, Alaa avait dit que lorsqu’elle était petite, elle rêvait de devenir une poète célèbre et d’écrire des livres. Un étudiant lui a demandé si elle aussi pouvait rêver et réaliser son rêve. Alaa a répondu avec enthousiasme : « Bien sûr que vous pouvez. L’important est de chérir votre rêve et de le faire grandir en vous. »

Un an plus tard, l’école était transformée en abri, les pupitres en bois de chauffage et les rires en larmes. C’est la même chose dans toute la bande de Gaza. « Chaque fois que je passe devant une école, je ferme les yeux pour ne pas rouvrir mes blessures. »

Parfois, Alaa aperçoit un ancien élève qui fait la queue pour obtenir une ration de pain. Alors, la question que l’un d’eux lui avait posée il y a un an lui revient à l’esprit : « Madame, puis-je rêver moi aussi et réaliser mon rêve ? »

Alaa ne sait pas ce qu’elle lui dirait aujourd’hui.

Si nous avons encore des rêves, nous ne pouvons pas y penser sous les bombes et les obus. Nous voulons juste pouvoir dormir en toute sécurité ou pouvoir nous tenir à la fenêtre sans avoir peur. […] Ces journées sont si lourdes à supporter. Cela fait un an que nous sommes massacrés et personne n’a arrêté ces tueries quotidiennes. La vie d’un Palestinien est-elle si sans valeur ?

Pas El-Qatrawi

Chaque jour, Alaa el-Qatrawi est assise à sa fenêtre et observe les oiseaux de Gaza.

Pour elle, leur chant n’est plus ordinaire. Entre deux explosions, chaque gazouillis captive son cœur par sa douceur. Elle guette les oiseaux, mais surtout la vie à travers leurs chants.

Elle guette un oiseau en particulier. Il a un bec doré et des ailes striées de blanc. Elle l’attend.

Gaza lui a appris la patience. Elle vit l’attente anxieuse d’un visa délivré à la dernière minute, avant la guerre, pour participer à un concours de poésie à l’étranger. Elle connaît l’attente interminable aux checkpoints pour sortir et entrer dans l’enclave.

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PHOTO FOURNIE PAR ALAA EL-QATRAWI

Orchida, 6 ans, dans sa robe de princesse

Dans le monde d’avant, elle attendait de voir Karmel grandir. Elle attendait que Kinan surmonte sa difficulté à prononcer la lettre « R ». Elle attendait qu’Orchida enfile la robe de princesse qu’elle avait passé des années à magasiner, mais qui était encore un peu trop grande pour elle. L’été prochain, se consolait-elle, la robe lui irait à merveille…

Mais il y avait la guerre et la mort. Et pour Alaa, l’attente a pris un tout nouveau sens.

Auparavant, elle attendait un ami dans un restaurant au bord de la mer. Aujourd’hui, elle attend la fin de la guerre pour se rendre sur sa tombe. Elle faisait la queue pour commander un café ; elle attend son tour pour aller chercher de l’eau potable. Elle attendait l’ascenseur ; elle attend un miracle pour que ça recommence à fonctionner.

Elle attendait que la vie passe ; elle attend le retour de la vie – et de ce magnifique oiseau qu’elle a appelé Yamen.

41 000

Plus de 41 000 Palestiniens, dont 15 000 enfants, ont été tués depuis le début de l’offensive israélienne sur Gaza, selon les autorités sanitaires de ce territoire contrôlé par le Hamas.

 
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