« En se recentrant, Kamala Harris pourrait battre Donald Trump »

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FIGAROVOX/Tribune – Pour le chercheur spécialiste des États-Unis, Julien Labarre, le retrait de Joe Biden de la course à la Maison Blanche est une occasion unique pour les démocrates de tendre la main aux électeurs de droite lassés des dérives et des excès de Donald Trump.

Julien Labarre est professeur et chercheur en science politique à la California State University, Dominguez Hills. Ses travaux portent sur la politique et la communication politique aux États-Unis, avec un intérêt particulier pour l'intersection entre les médias, l'opinion publique et la santé de la démocratie.


À l’approche du débat entre Kamala Harris et Donald Trump, les démocrates se trouvent à un tournant de l’histoire américaine. L’élection présidentielle de 2024 offre une occasion rare au parti démocrate de panser les plaies d’une nation profondément divisée. Cette opportunité inattendue est la première depuis l’unité éphémère qui a émergé au lendemain des attentats du 11 septembre.

Historiquement, les périodes de rapprochement ont souvent été menées par des personnalités capables de former de larges coalitions et de guider la nation à travers les crises. La coalition du New Deal, forgée dans le creuset de la Grande Dépression, en est un exemple frappant. Roosevelt, avec son ambitieux plan de reconstruction économique, avait réussi à unir les classes ouvrière et paysanne, l’intelligentsia et les minorités ethniques. Ce faisant, il a créé une majorité démocrate qui a redéfini la politique américaine pendant deux décennies. Aujourd’hui, Harris se trouve à un carrefour similaire. En se retirant, Biden a permis à sa vice-présidente d’émerger, non pas comme la figure clivante que certains voyaient en elle, mais comme une personne capable de combler les divisions au sein de son propre parti et de tendre la main aux électeurs de droite fatigués du bruit et de la fureur des discours.

Les électeurs républicains restent fermement attachés à l’ancien président, se sentant offensés par ce qu’ils considèrent comme une Amérique cosmopolite et élitiste.

Julien Labarre

En 2020, Harris représentait une fracture idéologique majeure au sein du Parti démocrate. Certains lui reprochaient le manque de cohérence et d’authenticité dans ses positions les plus progressistes, tandis que d’autres critiquaient son passé de procureure. Cet héritage qu’elle semblait fuir, craignant de se couper d’une base échauffé par la mort de George Floyd, est devenu son plus grand atout.

La comparaison avec Barack Obama est inévitable. Pourtant, sa capacité à séduire les uns les autres rappelle un autre président démocrate : Bill Clinton. Dans les années 1990, la stratégie de triangulation de Clinton – trouver un terrain d’entente entre la gauche et la droite en utilisant ses arguments – lui a permis de remporter deux mandats consécutifs après 12 ans dans l’opposition. Harris reprend cette stratégie en s’appropriant le concept de liberté traditionnellement revendiqué par la droite, non seulement en matière économique, mais aussi en réaffirmant le droit à l’avortement.


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Contrairement au président Clinton dans les années 1990, Harris hériterait d’une nation déjà polarisée, et les républicains ne sont plus unis. En 2023, la confrontation entre reaganiens historiques et trumpistes a même été jusqu’à priver la Chambre des représentants de son président, une première dans l’histoire américaine ! Malgré ces divisions internes, les électeurs républicains restent fermement attachés à l’ancien président, se sentant lésés par ce qu’ils perçoivent comme une Amérique cosmopolite et élitiste. Difficile de dire si une partie des électeurs mobilisés par Trump en 2016 pourraient se rallier avec le même enthousiasme derrière un autre candidat. Pour Harris, gouverner dans un tel contexte signifie trouver le moyen de reconnecter ces électeurs à un projet national plus inclusif.

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Le recentrage du Parti démocrate a été mis en évidence lors de la convention du mois dernier, où les téléspectateurs ont vu défiler des orateurs républicains dissidents ainsi que des responsables de l'application de la loi qui, jusqu'à récemment, étaient persona non grata. Dans ce climat de polarisation, le discours du président Obama a pris une signification particulière : «Si nous voulons convaincre ceux qui ne sont pas encore prêts à soutenir notre candidat, nous devons écouter leurs préoccupations et peut-être apprendre d’eux.« Parlant de la difficulté qu’éprouvent certains Américains à accepter la diversité croissante du pays et les changements culturels qu’elle entraîne, il a ajouté : «Nos compatriotes méritent la même indulgence que nous attendons d’eux.».

L’appel à l’empathie intervient alors que les démocrates changent de ton à l’égard du Parti républicain. Ne le qualifiant plus de menace existentielle pour la démocratie, la campagne de Harris a préféré le qualifier de « bizarre » plutôt que de «dangereux« Cette stratégie est cruciale car les électeurs que Harris doit convaincre ne sont pas tous des nouveaux venus dans le giron démocrate. Beaucoup ont voté pour Obama, certains même deux fois. En pointant du doigt l’excentricité et la déconnexion des élus républicains, la campagne de Harris s’attaque à leur crédibilité sans céder aux accusations d’incitation à la haine, dans une campagne déjà marquée par la violence politique.

L’élection de novembre est une occasion inespérée de tenter de réconcilier deux Amériques qui ne s’aiment plus, même si le chemin vers la réconciliation sera long et ardu.

Julien Labarre

L'histoire récente nous a montré que les sondages peuvent être trompeurs. Mais une nouvelle défaite de Trump pourrait donner la parole aux quelques dissidents républicains qui espèrent ramener leur parti à la prise de conscience interne qui s'est faite après la défaite de Mitt Romney en 2012 : le parti est incapable de remporter des majorités nationales en raison de ses positions trop radicales. En effet, si le parti a remporté la Maison Blanche à trois reprises depuis 2000, c'est grâce au mode de scrutin. Les démocrates ont remporté la majorité des voix à chaque élection présidentielle depuis 1988, à l'exception de celle de 2004, suite aux attentats du World Trade Center.

Les démocrates ont une opportunité historique de remodeler durablement le paysage politique. La proposition de Harris d’ouvrir le pays aux républicains est le premier pas de l’un des deux partis dans la direction de l’autre depuis l’élection d’Obama. En poursuivant leur recentrage, les démocrates pourraient se doter d’une majorité stable pour les vingt prochaines années, à l’image de celle de Roosevelt. Battre Trump ne suffira pas à réconcilier le pays. Au contraire, cela conduira presque certainement à une nouvelle vague de violence. Néanmoins, l’élection de novembre est une occasion inespérée de tenter de réconcilier deux Amériques qui ne s’aiment plus, même si le chemin vers la réconciliation sera long et ardu.


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