Colm Toibin se met à la place de quelqu’un d’autre

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L’écrivain irlandais Colm Toibin à Édimbourg en 2013. GUILLEM LOPEZ/UPPA/PHOTOSHOT/AURIMAGES

Saluant sa compatriote, la grande dame des lettres irlandaises Edna O’Brien (1930-2024), décédée au milieu de l’été (Le monde (28 juillet), a noté l’écrivain Colm Toibin dans le quotidien Le Irish Times : « J’aime le ton intimiste de ses romans, son art du sous-jacent, du chuchoté, son souci de la nuance. » Autant de caractéristiques rares et subtiles qui s’appliquent parfaitement à l’œuvre que l’auteur de la Maître (éd. Robert Laffont, 2005) et la Magicien (Grasset, 2022) lui-même construit.

En trente-cinq ans d’écriture, Toibin, né en 1955 à Enniscorthy, dans le comté de Westford, a constitué un riche corpus d’une douzaine de romans (traduits par la très fidèle et très précise Anna Gibson), de nouvelles, d’essais, d’articles et même d’un scénario de film (Retour à Montaukdu réalisateur allemand Volker Schlöndorff, 2017) qui font de lui l’un des grands prosateurs de sa génération. La publication de son nouveau roman, Long Islandune histoire qu’il a confiée au « Monde des livres », il a mis « quatorze années de réflexion », c’est l’occasion de revenir sur certains de ses thèmes de prédilection.

Silence

Colm Toibin irait-il jusqu’à dire, avec Vigny, que « seul le silence est grand » ? Le fait est que celui-ci occupe, en arrière-plan, une place considérable dans l’univers de Toibini. Les personnages principaux « Sauver leurs paroles »souvent sans avoir « rien à dire »au moins « rien de facile et de simple » à déclarer. Certains s’interdisent de parler – comme Jim, l’amant malheureux de Brooklyn (éd. Robert Laffont, 2010), trouvé dans Long Island : « Il commença à compter les secondes, jusqu’à cent, puis jusqu’à deux cents. (…)Il sentit que sa question était toujours en suspens. Et puis il devint clair pour lui que[Eilis] ne répondrait pas. D’autres utilisent le non-dialogue comme une arme, comme Tony, le mari d’Eilis : « [Il] avait deviné son intention et, sans rien faire, restant silencieux, le regard fixé sur la route, il lui rendait la tâche impossible. (…) Rien ne trahissait son expression, sa façon de respirer ou de conduire. Pourtant, il créait autour de lui une aura de vulnérabilité, voire d’innocence, destinée à l’empêcher de prononcer un seul mot irrévocable – une menace qui, une fois prononcée, ne pourrait plus être retirée.

Dans la boîte à outils de Colm Toibin, le secret, l’hésitation silencieuse, le vide, l’omission, la retenue et bien sûr le non-dit forment une panoplie d’instruments privilégiés. En contrepoint de ses phrases cristallines, ils lui permettent de créer, au sens littéral du terme, la« entendre » ou le “malentendu” qui structure tout son récit. A tel point que sa matière première n’est pas vraiment la parole, mais plutôt sa cruelle absence, ce grand vide de parole, douloureux et ambigu, dans lequel il emprisonne ses personnages.

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