Il ne faut pas toujours se fier aux apparences. En science encore moins qu’ailleurs. Prenez Lars Chittka : avec sa longue barbe blanche, sa queue-de-cheval épaisse et sa tenue noire, ambiance rock’n’roll, le chercheur de l’université Queen Mary de Londres passerait volontiers pour un excentrique. « Si jouer de la guitare dans un groupe post-punk, se produire sur scène lors de conférences scientifiques et oser avancer à haute voix des théories auxquelles les autres pensent à peine, c’est être original, alors oui, il est original.explique son vieil ami Martin Giurfa, professeur à l’université de la Sorbonne et spécialiste comme lui de la cognition des abeilles. Mais si vous regardez sa science, elle est extrêmement rigoureuse. Imaginative, surprenante, audacieuse, jamais excentrique.
Il en va de même pour ses publications. Aucune revue majeure ne manque à la liste des plus de 250 articles qu’il a signés au fil des ans. En avril, il est toujours en Nature qu’il annonçait que les bourdons pratiquaient ce qui semblait jusqu’à présent réservé aux humains, « l’apprentissage social cumulatif », autrement dit la capacité d’innover à partir des compétences développées par une autre abeille.
A 61 ans, Lars Chittka peut se targuer d’avoir élevé la réputation des bourdons au plus haut niveau. De la perception des couleurs à la navigation, de la capacité à compter au plaisir de jouer, du maniement des outils à la conscience, il n’a cessé de révéler l’étendue des capacités cognitives de l’animal. « L’intelligence individuelle des abeilles a longtemps été négligée, il regrette. Que pouvait bien produire ce petit cerveau et ses millions de neurones ? Au contraire, on s’émerveillait de leur intelligence collective. Et je dois avouer que j’ai moi-même été saisi par ce monde si particulier lorsque j’ai mis le nez dans une ruche. Je ne l’ai plus jamais quittée. Et pourtant, jusque-là, rien ne me prédestinait à consacrer ma vie à ces insectes.
« Suicide scientifique »
Élevé dans un petit village du nord de ce qu’on appelait alors l’Allemagne de l’Ouest, le jeune lycéen rebelle boude très vite les sciences. Il rêve de littérature, de musique et de voyages. C’est depuis l’Afrique du Nord qu’il accepte, lors d’une rapide conversation téléphonique avec sa mère, de s’inscrire en biologie. Le voilà à l’université de Göttingen. « Tu sais ? À part la chanson de Barbara, c’est une ville profondément ennuyeuse. » Berlin, ses périphéries et sa scène culturelle alternative lui semblent plus attractives. « Mon supérieur m’a dit que c’était un suicide scientifique. Le seul laboratoire digne de ce nom travaillait sur les abeilles, c’était peu dire ! »
Il vous reste 73.04% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.