La chasse se déroule dans une pépinière. Dix agents de protection de la biodiversité de la Guadeloupe sillonnent les sentiers de la réserve à la lueur de leurs lampes frontales, fouillant les rangées de palmiers et les plantes à fleurs parfois envahies par les mauvaises herbes. L’objectif de la soirée : débusquer Anolis sagreiune espèce de lézard envahissante, nuisible aux lézards endémiques (Anolis marmoratus).
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L’opération, réalisée en juillet, est la douzième du genre depuis que l’espèce, originaire de pays comme Cuba et les Bahamas, a été détectée sur l’archipel il y a moins d’un an. « Ce genre d’endroit, avec des plantes importées, est un havre de paix pour ces petites créatures. »note Julien Gérard, de l’agence régionale de la biodiversité des îles de Guadeloupe. Il montre le dessous de la gorge de l’anole qu’il vient de capturer : « On le reconnaît à son fanon rouge, présent même chez les plus petits. Le fanon de nos anoles endémiques est jaune. »
Après la capture, les animaux sont tués, une technique rapide à l’aide de pinces actionnées en détournant le regard, que peu d’entre eux se sentent capables d’exécuter. « Ici, nous sommes des défenseurs de la biodiversité, de la protection des animaux et de la vie, donc tuer des animaux au nom de la protection de la vie, c’est un peu de la dissonance cognitive. »commente Fabian Rateau, chargé de la problématique des espèces animales invasives à l’Office français de la biodiversité (OFB).
Ce soir-là, l’équipe aura capturé une centaine de spécimens. C’est plus que les fois précédentes. Personne n’ose s’avouer vaincu face à l’espèce, mais le doute règne dans le groupe, malgré sa politique d’intervention rapide, à mains nues. « Nous disons que l’espèce s’est déjà répandue un peu partout : nous estimons qu’elle a trois ans d’avance sur nous., les agents regrettent. D’autant plus que les anoles pondent leurs œufs dans le sol, un moyen sûr et discret de se propager partout où les plantes sont importées.
Absence de prédateur
En Guadeloupe, le dernier inventaire fourni par l’Union internationale pour la conservation de la nature date de 2022 : selon ce décompte, sur quarante-trois espèces (toutes espèces confondues) introduites en Guadeloupe au fil du temps, dix-neuf sont considérées comme invasives.
Une espèce importée sur mille devient problématique, affirment les spécialistes. Mais sa capacité à causer des dégâts s’explique par l’absence de prédateurs, les changements qu’elle provoque dans l’habitat des animaux présents, parfois leur destruction, créant des espaces qu’elle occupe en proliférant, notamment sur les îles. « Le caractère insulaire de nos territoires en fait d’incroyables zones de biodiversité, des niches écologiques où l’équilibre est très délicat »se souvient Fabian Rateau.
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