Protection de la jeunesse | La justice au « bord du précipice »

Protection de la jeunesse | La justice au « bord du précipice »
Protection de la jeunesse | La justice au « bord du précipice »
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Nous vivons une époque grave en matière de protection de la jeunesse. Le nombre de dossiers a explosé au point que les délais légaux ne sont plus respectés devant les tribunaux, s’alarme le président du Québec. Résultat, dit-elle : les enfants en paient le prix. Elle exhorte le gouvernement Legault à s’attaquer à cette crise « très grave ». Toutefois, les trois ministres interrogés par le président en juillet dernier n’ont pas répondu à sa demande urgente de rendez-vous.


Publié à 00h43
Mis à jour à 5h00

« J’aimerais que ces trois ministres soient interpellés et qu’ils nous aident à interpeller le Premier ministre pour lui dire : quand on vous dit qu’on manque d’argent, c’est concret. Nos enfants partout au Québec ne sont pas aidés, ne sont pas accompagnés. Nos familles sont détruites parce qu’une fois de plus, nous n’y consacrons pas suffisamment de temps, d’énergie et de ressources. »

C’est un véritable cri du coeur que lance le président du Québec, Me Catherine Claveau, en entrevue avec La presse. La justice en matière de protection de la jeunesse est pratiquement au « bord du précipice », insiste-t-elle, alors que les tribunaux ne sont plus en mesure de respecter les délais prévus dans la loi. Loi sur la protection de la jeunesse.

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PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Me Catherine Claveau, présidente du Québec

La présidente a pris la plume fin juillet pour alerter les ministres Simon Jolin-Barrette (Justice), Ian Lafrenière (Relations avec les Premières Nations et les Inuits) et Lionel Carmant (Services sociaux). Sa lettre s’intitule : « Urgence d’agir pour protéger la jeunesse ».

« Ministres, la protection de la jeunesse traverse une crise sans précédent. Il est grand temps d’agir, afin d’éviter que les drames vécus au cours des dernières années ne se reproduisent », conclut le leader de l’ordre professionnel des avocats.

Le président a appelé à une réunion rapide avec les trois ministres pour réfléchir à des solutions « concrètes et urgentes ». Toutefois, les ministres Lafrenière et Carmant ne lui ont pas répondu. Seul le bureau de M. Jolin-Barrette lui a répondu en lui expliquant qu’ils travaillaient sur un projet, mais sans planifier de rencontre.

Nous aimerions que le Barreau fasse en sorte que les gens se sentent plus impliqués et stimulés parce qu’il y a une situation très grave qui se produit.

Me Catherine Claveau, présidente du Québec, en entrevue

Selon elle, la justice prend une place « trop petite » dans les priorités du gouvernement Legault.

Au cabinet du ministre Lafrenière, nous répondons aux La presse que le principal interlocuteur de cette missive était le Ministre de la Justice. « De notre côté, nous veillons à parler avec nos interlocuteurs, les partenaires autochtones de Makivvik et l’administration régionale de Kativik », indique-t-on.

Les cabinets Jolin-Barrette et Carmant se disent « ouverts aux solutions proposées » et rappellent la mise en œuvre de nombreuses mesures « concrètes », dont l’ajout de journées d’audience consacrées aux mesures provisoires, l’ajout de huit juges en Chambre de la jeunesse (dont quatre postes ont été comblés) et un projet pilote de médiation en protection de la jeunesse.

Le nombre de dossiers « explose »

Le nombre de dossiers en protection de la jeunesse a « explosé » l’année dernière, alors que les moyens diminuent, s’inquiète le président. Résultat : la justice n’est plus en mesure de respecter les délais légaux de la Loi sur la protection de la jeunesse et les « atteintes aux droits » des enfants se multiplient.

Lorsqu’un enfant doit être confié en urgence à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), l’ordonnance provisoire ne peut excéder 60 jours, et « 60 jours dans la vie d’un bébé, c’est énorme », rappelle la batonnière.

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Or, ce délai légal n’est plus respecté presque partout au Québec, faute de ressources. Il n’est pas rare qu’un même dossier soit reporté deux ou trois fois. “Au début, on se disait que c’était exceptionnel”, raconte M.e Claveau.

Les juges devant entendre en priorité ces demandes provisoires, les audiences sur le « fond » pour fixer de manière plus définitive le placement d’un enfant sont reportées. Dans certaines régions, ces audiences ont lieu parfois huit mois plus tard. « Dans la petite enfance, ces retards sont énormes », rappelle le président.

Cette impasse entraîne une réaction en chaîne : il y a « trop » de provisoires, donc pas assez de temps pour les audiences sur le « fond ». Et à mesure que les délais sont dépassés, les droits des enfants sont bafoués. Il y a donc davantage de demandes de lésions de droits. «C’est sans fin», dit le président.

« J’ai exercé au Québec dans ce domaine. Nous avions un nombre suffisant de juges, nous pouvions avoir toujours le même juge dans une même affaire. Les 60 jours étaient parfois un peu limités, mais jamais à ce point », précise M.e Claveau.

Selon elle, cet éclat est aussi provoqué par le « spectre » de la petite fille de Granby – cette enfant de 7 ans tuée par sa belle-mère dans des circonstances effroyables. “Les parties prenantes ont tellement peur que cela se reproduise qu’elles vont porter l’affaire devant les tribunaux pour ne pas être blâmées”, affirme M.e Claveau.

Sans connaître le sort tragique de la petite fille de Granby, les enfants subissent actuellement des conséquences bien réelles, insiste le président. Elle cite par exemple un enfant « ballotté » d’un milieu à un autre dans un centre ou dans une famille inadaptée en raison de retards.

Il y a des points de non-retour dans la petite enfance.

Me Catherine Claveau, présidente du Québec

Aussi, le délai pour obtenir le jugement n’est « pratiquement jamais respecté ». Selon la loi, le juge doit mettre sa décision par écrit dans un délai de 60 jours. Cependant, le délai actuel est d’environ 120 jours. Ces décisions sont cruciales pour le travail clinique des intervenants de la DPJ auprès des parents et des enfants, souligne le président.

Outre le manque de personnel qui accable le système judiciaire, le Président souligne le manque « flagrant » de personnel dans le système de la jeunesse, tant pour soutenir les familles que pour faire respecter les décisions des juges.

« S’il n’y a pas assez de ressources pour mener à bien la mesure du juge, que faisons-nous ? Nous revenons devant la Cour pour dire : nous n’avons pas pu le faire. Il nous faut une autre prescription», illustre-t-elle.

« Les greffiers, adjoints et juges siégeant en protection de la jeunesse sont à bout de souffle, compte tenu de la charge de travail. Cette situation est intenable », déclare la Présidente dans sa lettre.

Crise aiguë au Nunavik

La crise en protection de la jeunesse est particulièrement aiguë au Nunavik. Il y a tellement de dossiers que les juges doivent abandonner les dossiers criminels pour tenter de respecter les délais. Selon le Barreau, il faut cesser de juger à outrance les dossiers, notamment en matière de protection de la jeunesse, mais plutôt permettre aux communautés autochtones d’assumer davantage de responsabilités envers leur population.

« Avant d’envoyer un dossier au tribunal, quelle aide pourrait-on apporter à la famille pour éviter qu’elle aille au tribunal ? Nous devons mieux adapter la justice dans les communautés autochtones », déclare le Président.

Le Président déplore que les dispositions du Loi sur la protection de la jeunesse spécifiques aux autochtones adoptées il y a un an ne sont toujours pas mises en vigueur.

 
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