Une semaine après les inondations meurtrières à Derna, l’ONU a mis en garde lundi contre la propagation de la maladie alors que les sauveteurs continuent de rechercher les corps de milliers de personnes disparues et présumées mortes. Sur le terrain, les ONG donnent la priorité à l’approvisionnement en eau, en nourriture et en assistance médicale et psychologique pour soulager les habitants traumatisés par la catastrophe. Lundi, des centaines d’entre eux ont manifesté pour exiger des comptes des autorités de l’Est.
Dans l’est de la Libye, le chaos persiste. Une semaine après des inondations dévastatrices provoquées par la rupture de deux barrages sous la pression des pluies torrentielles de la tempête Daniel, les opérations de secours se poursuivent, alors que le bilan, encore provisoire, est extrêmement lourd. Selon le dernier décompte officiel du ministère de la Santé, communiqué lundi 18 septembre, quelque 3 338 personnes sont mortes dans la catastrophe. De son côté, l’ONU estime le nombre de disparus à près de 10 000.
Au sol, la mer continue d’emporter les cadavres et de nombreux cadavres doivent encore être extraits des décombres, a prévenu lundi l’ONU que ses agences œuvraient pour empêcher la propagation des maladies, notamment à Derna.
“L’équipe [de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)] continue de travailler pour prévenir la propagation des maladies et éviter une deuxième crise dévastatrice dans la région », a déclaré l’ONU, dont les agences sont « toutes préoccupées par le risque de propagation des maladies, notamment par l’eau contaminée et le manque d’hygiène ».
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«Tous les points d’accès à l’eau sont endommagés»
La mort est partout, la mer continue d’emporter les cadavres, l’odeur des cadavres, qu’il reste à dégager des décombres, est omniprésente. Olivier Routeau, directeur des opérations de Première Urgence Internationale (PUI), dont les équipes opèrent à El Beïda, à 75 kilomètres à l’ouest de Derna, confirme une « situation extraordinaire, catastrophique ».
Les risques évoqués par les agences onusiennes concernent essentiellement l’eau potable. L’OMS a notamment appelé à mettre fin à l’utilisation des charniers, qui représentent un risque sanitaire grave si les corps sont enterrés à proximité de points d’eau.
“Ce geste vise non seulement à gérer la détresse de la population, mais il est également motivé par la crainte que ces dépouilles constituent un risque sanitaire”, explique l’OMS dans un communiqué, ajoutant que cette démarche peut s’avérer néfaste pour la population.
« Compte tenu du nombre de morts et des destructions d’infrastructures, c’est un enjeu majeur », explique Olivier Routeau sur notre antenne. « Les villes sont encore livrées à elles-mêmes car l’aide n’est pas arrivée, donc les populations s’organisent sans forcément avoir toutes les compétences en matière de gestion et d’anticipation des risques. »
“Pour votre sécurité, il est interdit d’utiliser ou de boire l’eau du réseau local, car elle est polluée par les inondations”, a prévenu le Centre libyen de contrôle des maladies.
À Derna, 150 personnes ont été contaminées par de l’eau polluée, et 55 enfants sont morts d’empoisonnement après avoir bu cette eau insalubre, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies.
« Tous les points d’accès à l’eau sont endommagés, ce qui devient un risque majeur », poursuit Olivier Routeau.
L’accès à l’eau, à l’alimentation et aux médicaments sont aujourd’hui la priorité des ONG sur place, notamment PUI, qui affirme mener des travaux de rétablissement de l’accès aux services, et non des travaux de sécurité civile, et dont l’enjeu aujourd’hui est de « sauver les vie”.
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L’assistance psychologique, « parent pauvre de l’intervention d’urgence »
Sur la chaîne anglophone de France 24, Florent Del Pinto, chef du Centre des opérations d’urgence à la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge, insiste sur le soutien psychologique apporté aux populations, « des familles devant faire face à de terribles traumatismes.
Pour PUI, présent à Benghazi depuis 2017, la prise en charge psychologique d’urgence est aussi une nécessité. « C’est parfois le parent pauvre, l’oublié de la réponse d’urgence », déplore Olivier Routeau. Cependant, dit-il, « nous devons être capables de soutenir ces personnes et de les aider à survivre psychologiquement à ce traumatisme ».
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Dans une Libye où règne le chaos politique depuis la mort du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, l’organisation des secours et le travail des ONG restent compliqués. Le pays est dirigé par deux administrations rivales qui se disputent le pouvoir : l’une à Tripoli (ouest), dirigée par le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah et reconnue par l’ONU, et l’autre à l’est du pays, incarnée par le Parlement de Tobrouk et affiliée à le camp du puissant maréchal Khalifa Haftar.
Cette situation n’a aucun effet pour la Croix-Rouge, explique Florent Del Pinto, invoquant la « neutralité » de l’organisation. « Nous nous coordonnons avec l’entité dirigeante sur le terrain où nous opérons », précise-t-il.
Face à l’ampleur de la catastrophe, les camps rivaux semblent dans tous les cas avoir mis leurs querelles entre parenthèses. D’importantes équipes d’aide et de secours ont été envoyées de Tripoli vers les zones sinistrées.
Lundi, le gouvernement de Tripoli a également annoncé le lancement de travaux pour la construction d’un “pont temporaire” sur l’oued qui traverse Derna, les deux rives de la ville ayant été coupées depuis que les inondations ont emporté les quatre ouvrages qui les reliaient.
Cependant, pour la population, les responsables du chaos sont évidents. Lundi, des centaines de Dernaouis ont manifesté devant la grande mosquée de la ville, scandant des slogans hostiles aux autorités de l’Est et exigeant que le Parlement, et en particulier son président, Aguilah Saleh, soit tenu pour responsable.

« Le peuple veut la chute du Parlement », « Aguila [Saleh] est l’ennemi de Dieu », « le sang des martyrs n’est pas versé en vain », ou encore « ceux qui ont volé ou trahi doivent être pendus », scandaient-ils.
Dans un communiqué lu lors de la manifestation au nom des « habitants de Derna », ils ont appelé à « une enquête rapide et des poursuites judiciaires contre les responsables de la catastrophe ».
Selon les experts, la situation politique en Libye a éclipsé la question du maintien des infrastructures vitales, comme les barrages de Derna, dont l’effondrement est à l’origine du drame vécu par la population.
Avec l’AFP