Dans une interview fleuve, l’opposant algérien répond à la junte militaire et soutient la marocanité historique des provinces sahariennes annexées par la colonisation française à l’Algérie. Il appelle à l’ouverture d’un dialogue bilatéral pour régler la question des frontières.
Votre réaction a été plutôt positive à l’avant-dernière couverture de Maroc Hebdo où l’on soulignait le fait que le “vrai problème” entre le Maroc et l’Algérie était leurs frontières communes, pas la question du Sahara Occidental marocain. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre position à ce sujet ?
Le vrai problème pour moi est bien lié, et cela comme votre dossier de couverture l’avait très bien expliqué, à l’usurpation par la junte militaire algérienne de terres historiquement marocaines, à savoir celles du Sahara oriental. En tant qu’Algérien, je n’ai aucun problème à le dire, et personnellement je ne vois pas en quoi ce serait expansionniste de rappeler des faits historiques concrets.
De la part du régime algérien, cela sert évidemment à entretenir la tension qu’il entretient depuis quatre ans contre le Maroc pour évacuer la crise qu’il traverse à l’étranger. Il sait qu’il manque de légitimité et que le peuple veut qu’il sorte. Elle ne peut plus s’appuyer sur l’héritage de la révolution, comme c’était encore le cas il y a quelques décennies.
Aucun des dirigeants actuels n’y a participé. A cet égard, ce n’est évidemment pas un hasard si le retour d’un certain discours anti-marocain dans le paysage public algérien a commencé au moment même où le mouvement de contestation Hirak appelait à la chute de l’Etat militaire au pouvoir depuis l’indépendance en 1962.
Mais pour en revenir à votre question, je ne dirai pas plus que ce que vous avez déjà longuement expliqué, c’est-à-dire que la question du Sahara Occidental marocain ne sert qu’à noyer le poisson. Les généraux algériens savent que malgré sa bonne foi pendant la révolution, la contribution militaire concrète qu’il a apportée tout au long des huit années de guerre, le Maroc a été trahi.
Et même après la guerre des sables, le Maroc a continué à multiplier les signaux positifs, mais sans que cela en retour soit aussi le cas de la part du régime algérien. Au contraire, il continue à ce jour d’attaquer l’intégrité territoriale du Maroc pour l’empêcher de revendiquer son ancien Sahara oriental. Moi qui ai toujours milité pour un Maghreb apaisé, je me sens forcément affligé.
A vous entendre, on dirait que vous êtes vous aussi un “agent du Makhzen”, ou plutôt un “comploteur”, pour citer le président de l’Assemblée populaire nationale algérienne…
C’est risible. Depuis que j’ai mené mon combat pour la libération de l’Algérie de la main des généraux, j’ai toujours agi selon mes principes, et je ne permettrai jamais à personne de m’ordonner quoi faire. Et si quelqu’un a une preuve vis-à-vis de moi de nature à attester d’une quelconque relation directe ou indirecte avec l’Etat marocain, merci de nous l’apporter. Au final, ce sont des accusations qui servent à tenter de me discréditer et discréditer le discours que je peux tenir, car tout le monde sait que ce que je dis est vrai et qu’on ne peut pas cacher le soleil avec une passoire.
Vous avez mentionné précédemment des faits concrets soutenant la marocanité historique du Sahara oriental. A quoi faisiez-vous référence exactement ?
Avant d’en venir à l’histoire, qui est bien sûr importante pour bien comprendre le sujet, on peut simplement s’attarder sur l’anthropologie. Et qu’est-ce que cela nous dit? Que culturellement, civilisationnellement, les habitants du Sahara oriental soient marocains, c’est une évidence claire et nette à moins que l’on ne veuille être de mauvaise foi, ce qui est malheureusement le cas des dirigeants algériens. Les anciens colonisateurs français eux-mêmes savaient qu’ils étaient sur le sol marocain et ils ont profité du flou qu’il y avait dans les traités juridiques bilatéraux des frontières pour s’en emparer.
Je vous renvoie, par exemple, au journal des opérations du colonel d’Eu en 1900 à In-Salah et Tidikelt, qui constituent l’extrémité du Sahara oriental ; non seulement il avait lui-même constaté la marocanité culturelle des riverains, mais il avait constaté que c’était la monnaie marocaine qui avait cours, que la prière du vendredi se faisait au nom du sultan de l’empire chérifien, et surtout, le plus important détail, qu’il y avait un pacha du nom de Driss Ben El Kouri. Le Maroc disposait donc d’une autorité politique qui ne pouvait subir aucune contestation dans la région ! Incidemment, Pacha Ben El Kouri a mené la résistance, au nom du Sultan du Maroc, contre la colonisation française. La junte invoque les martyrs pour légitimer les frontières actuelles, mais parmi ces martyrs il y avait beaucoup, beaucoup de Marocains.
De nombreux internautes proches de l’extrême droite algérienne persistent cependant à dire que les anciens habitants du Sahara oriental, notamment ceux des oasis du Touat, payaient des impôts au dey d’Alger…
Qu’ils apportent la preuve alors, des documents authentiques comme des dahirs – ce que le Maroc a. Ces partis citent des sources coloniales françaises ; bien sûr que ceux-ci feront tout pour légitimer leurs annexions. Mais la réalité historique est têtue.
Lorsque, dans sa célèbre lettre de 1839, le général Schneider, ministre français de la guerre, créa le territoire français de l’Algérie, celui-ci ne s’étendait que sur 300 000 km2 au plus, et non sur les 2,4 millions dont il dispose actuellement. Or, la junte militaire a, depuis soixante ans, cherché par tous les moyens à enraciner l’idée qu’elle poursuivait l’intérêt de l’Algérie alors qu’en réalité c’était encore son seul intérêt qui était en jeu, ce qui fait que beaucoup d’Algériens n’osent pas critiquer l’indéniable injustice dont le Maroc a été victime sous peine d’être accusé de haute trahison, comme c’est mon cas. Feu Ahmed Ben Bella, qui était président à l’époque de la guerre du sable, savait lui-même que le Maroc avait été trompé. Evoquant, dans une interview célèbre, la question du Sahara oriental, il avait parlé de « cadeaux » reçus de la France.
Mais il faut dire aussi que la junte militaire a également spolié la Tunisie, avec laquelle le problème des frontières n’a été réglé que plus de vingt ans après l’indépendance. Avec la Libye, aucun accord bilatéral n’a, à ce jour, été signé. Le Maroc est donc loin d’être un cas isolé.
Dans nos deux derniers numéros, nous avions évoqué l’idée d’une conférence internationale autour de l’ensemble du Sahara marocain historique, suite à une autre proposition d’universitaires faite le 16 février 2023 dans le quotidien français “Le Monde” concernant la seule partie occidentale de ce Sahara. Qu’en penses-tu?
Le dialogue est bien sûr toujours le bienvenu, à condition bien sûr que seuls les frères maghrébins soient impliqués entre eux sans aucune intervention d’une partie extérieure. Comme toujours dans l’histoire du Maghreb où d’autres se sont mêlés, c’est la division qui a été systématiquement semée.
Mais croyez-vous que le régime algérien acceptera un tel dialogue ?
La chute de la junte militaire est bien sûr un préalable car tant qu’elle restera au pouvoir l’escalade ne cessera jamais. C’est une question de survie pour elle. Elle cherche à asseoir sa légitimité en se posant en protectrice de l’Algérie contre un soi-disant danger que représente le Maroc.
Pensez-vous que la menace de guerre est réelle ? Car c’est une menace à peine voilée qu’a proférée le président de l’Assemblée populaire nationale algérienne en déclarant que l’armée est “enfin prête”…
Ce ne sont là que les gestes habituels des pandits du régime algérien. La junte militaire sait qu’elle n’a pas intérêt à faire la guerre, car dans le contexte régional actuel, tout le monde s’y opposera, les Européens d’abord puisqu’ils pourraient être directement impactés.
La déclaration du président de l’Assemblée populaire nationale visait clairement plus la consommation intérieure que le Maroc. Or s’il y a guerre, il est évident qu’elle aura été fomentée par des tiers non maghrébins, et il ne fait aucun doute que ni les peuples algérien et marocain, ni les autres peuples maghrébins ne gagneront.
En Algérie même, je ne vois pas les gens suivre, et au Maroc, où je vis depuis une douzaine d’années maintenant, j’ai la même impression du peuple marocain. Fondamentalement, notre creuset civilisationnel est le même ; nous partageons la même religion, presque les mêmes habitudes. Pourquoi nous battrions-nous ? Pour qu’au final une poignée de soldats gagne ? Justement, d’un point de vue marocain, on a l’impression de l’installation d’un climat de guerre délétère impliquant systématiquement le Maroc, avec l’apparition pure et simple de courants à coloration fascisante qui, hélas, font aussi des émules de ce côté-ci de l’oued Kiss. .
De nombreuses attaques pourraient même être qualifiées de racisme. Que se passe-t-il vraiment en Algérie ? Malheureusement, je vois ces attaques sur les réseaux sociaux, et force est de constater que cette junte militaire a fait beaucoup de mal à la fraternité maghrébine. En 2019, la situation était idéale, avec notamment la victoire de l’Algérie à la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui avait été célébrée par le peuple marocain, par le roi Mohammed VI qui l’avait même évoqué dans son discours sur le trône.
Mais au fond, je dirais que quoi qu’elle fasse, la junte militaire ne peut vraiment rien faire pour séparer les deux peuples. Les réseaux sociaux ne reflètent pas du tout ce qui se passe dans la réalité quotidienne. J’en suis la preuve vivante. Partout où je vais au Maroc, je me sens chez moi, je suis chaleureusement accueilli. Même avec tout ce que fait la junte militaire pour répandre la haine, je n’ai jamais eu à faire face à la moindre animosité de la part de mes frères marocains.
Et à Oran, ma ville d’origine, où bien sûr je garde de nombreux contacts, à commencer par ma famille et mes proches, je sais, par les échanges réguliers que je peux avoir, que la grande majorité des Algériens continue à considérer les Marocains comme des sang-froid frères. Ce n’est, en somme, qu’une séquence historique qui ne s’éternisera pas, tout comme, malgré tous ses efforts, la junte militaire ne pourra jamais s’éterniser.