Il y a 30 ans sortait le premier album du rappeur américain Nas. Il célèbre l’anniversaire de cet album désormais culte, lors d’un concert unique au Zénith de Paris ce jeudi 7 novembre.
Le 19 avril 1994, le rappeur américain Nas dévoile son premier album Illmatiqueun disque qui, par la profondeur de ses textes, la qualité de sa narration et la richesse de ses productions, a marqué un tournant décisif dans le paysage musical aux Etats-Unis.
Près de 30 ans plus tard, cet album continue d’influencer les artistes du monde entier. Pour célébrer ce succès, Nas a entamé le 22 octobre une tournée anniversaire en Europe et au Royaume-Uni, avec un arrêt au Zénith de Paris ce jeudi 7 novembre. L’occasion de revenir sur la genèse et l’impact de l’un des plus emblématiques albums dans l’histoire du hip-hop.
Renouveau de la scène hip-hop
À la fin des années 80, le quartier de Queensbridge, l’un des berceaux du hip-hop new-yorkais d’où est originaire Nas, était en plein essor, porté par des rappeurs comme Big Daddy Kane ou Roxane Shanté.
Mais au début des années 1990, cette scène commence progressivement à perdre de son importance, concurrencée par l’émergence de nouveaux artistes – NWA ou Dr. Dre – et de nouveaux sons de la côte ouest des États-Unis.
C’est dans ce contexte que Nasir Jones, alias Nas, fait ses premiers pas dans le hip-hop à seulement 15 ans. Repéré par le producteur américain Large Professor, il est invité en 1991 à ajouter un couplet à la chanson Vivez au barbecuede son groupe Main Source.
La détermination de celui qui se revendique « assassin verbal » et la technicité de son flow sur ce titre lui ont rapidement valu le statut de jeune prodige de la scène rap de Queensbridge, et toute la communauté attend avec impatience la sortie de son premier projet. .
“Il s’inscrit dans la lignée de Kool G Rap, Rakim et Big Daddy Kane et incarne leur renouveau, comme une extension qui permet à New York de continuer à exister face à l’émergence de l’ouest et du sud”, indique à BFMTV.com . Nicolas Rogès, journaliste et écrivain spécialisé dans le rap.
Histoire poétique et réaliste
Attendu pour franchir le cap, Nas commence à écrire et enregistrer son premier album à 17 ans. Un projet qui culminera deux ans plus tard avec la sortie deIllmatique en 1994, sous le label Columbia.
A l’heure où le gangsta rap « bling-bling » gagne en popularité, le rappeur prend un pas de côté avec cet album et dépeint avec honnêteté et réalisme le quotidien de son quartier de Queensbridge, marqué par la criminalité, la violence et la pauvreté.
Dans le documentaire, Nas : Le temps est illmatiquesorti en 2014, Nas explique avoir voulu offrir à ses auditeurs un aperçu de « à quoi ressemblaient les rues, leur son, leur goût, leur odeur ».
Avec cet album, Nas introduit ainsi un style de narration nouveau pour l’époque tant sur le fond, avec une narration brute, ponctuée de punchlines, mais aussi sur la forme, avec des schémas de rimes complexes et un côté mature et poétique, à seulement 20 ans.
« Nas est un observateur, un homme qui décrit ce qu’il voit sous sa maison, à Queensbridge, depuis son ‘Project Window’ (le nom d’une de ses futures chansons). Il multiplie les métaphores, les références à la rue, à ceux qui y restent enfermés, mais aussi à ceux qui sont derrière les barreaux”, analyse Nicolas Rogès.
“C’est brut, sans artifice, c’est tragique sans être larmoyant, c’est l’album d’un homme qui a perdu un de ses meilleurs amis dans une fusillade (Ill Will) et qui se demande si la violence va finir par le quitter”, poursuit le spécialiste.
Salué par la critique dès sa sortie, Illmatiqueporté par la pièce désormais culte État d’esprit à New Yorkpermet Nas à s’imposer comme l’un des plus grands poètes urbains de son époque – il s’autoproclame « roi de la poésie » – et à redéfinir les codes du hip-hop pour redorer l’image de la scène rap côtière de l’Est.
Redéfinition des standards du rap
À une époque où les albums étaient souvent produits par un ou deux producteurs, Nas innovait aussi avec Illmatique en s’entourant de quelques-uns des plus grands noms de l’industrie : Pete Rock, DJ Premier, Q-Tip, Large Professor et LES. Et le niveau est tel qu’une véritable compétition s’installe entre ces producteurs, chacun cherchant à se dépasser pour proposer aux jeunes Nas le meilleur de leur art.
« C’est fou de regarder la liste des producteurs qui apparaissent sur l’album : certains des plus grands noms de l’histoire, aux carrières déjà établies, se retrouvent sur l’album d’un jeune rappeur qui n’avait jamais sorti de disque et qui livre quelques-uns des leurs meilleures productions», note Nicolas Rogès.
Originalité et singularité d’Illmatique résident ainsi dans ce mélange d’influences musicales, mêlant à la fois des samples de soul et de jazz aux rythmes boom-bap emblématiques du rap new-yorkais. Un riche cocktail musical qui a inspiré de nombreuses générations de beatmakers après la sortie de l’album.
Illmatique a également redéfini les standards du rap en 1994 grâce à son format. Avec seulement 10 titres pour 39 minutes d’écoute, Nas prouve avec ce disque que la qualité et la cohérence peuvent primer sur la quantité. Un modèle efficace qui incitera de nombreux rappeurs à revoir leur approche en termes de construction et de structure des albums.
Un impact culturel durable
30 ans après sa sortie, Illmatique a laissé une marque culturelle indélébile sur la scène hip-hop, inspirant toute une génération d’artistes comme Jay-Z, Ghostface Killah, J. Cole, Mobb Deep, Common, le Wu-Tang Clan et Kendrick Lamar, qui ont tous reconnu l’influence cet album avait sur leur musique.
“Quand j’écoutais Nas à l’époque, je me disais : ‘Oh merde !’ Il l’a tué. Cela m’a obligé à améliorer mon écriture… Tout l’album Illmatic vous oblige à donner le meilleur de vous-même, c’était même une Source d’inspiration », confiait Ghostface Killah en 2015 au site HipHopDX.
« ‘Illmatic’ est la quintessence du rap new-yorkais et la naissance de l’un, sinon le plus grand rappeur de l’histoire. Mais le malheur c’est que Nas est à un tel niveau de maîtrise et d’écriture sur cet album, qu’il sera, sur le reste de sa carrière, systématiquement ramené à ‘Illmatic’ et ses albums suivants souffriront de la comparaison”, néanmoins nuance Nicolas Rogès.
Malgré tout, l’influence de ce disque se fait encore sentir aujourd’hui : les paroles de Nas sont désormais analysées dans le cadre d’études littéraires à l’université tandis que Illmatique est l’un des quatre albums hip-hop conservés à la bibliothèque de Harvard.
Et le premier album de Nas sera une nouvelle fois à l’honneur ce jeudi 7 novembre lors d’un concert événement du rappeur au Zénith de Paris, preuve que son impact sur la scène musicale et auprès des fans de hip-hop reste intact.
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