De locataire expulsé à propriétaire : la « douce revanche » de la radio CKIA

Chassée de ses locaux du quartier Saint-Roch pour laisser place à des lofts en location à court terme, le destin de la radio communautaire CKIA a changé. Forcée de s'exiler dans le Vieux-Québec pendant trois ans, la station revient enfin chez elle, cette fois en tant que propriétaire de ses propres studios.

C'est une douce revanche« C'est une excellente nouvelle pour les amateurs de radio », explique Marie-Josée Renaud, coordonnatrice aux opérations et au développement du 88,3 FM. Dès l'hiver prochain, la station diffusera à partir du 556, Carré Lépine, une adresse voisine du YMCA et de Lauberivière, à l'intersection de la rue du Pont.

Le quartier en question est devenu une vitrine sur le sans-abrisme et les inégalités sociales dans la capitale. De nombreuses personnes s'y pressent quotidiennement pour profiter des services offerts dans le centre-ville.

Leur présence crée depuis plusieurs années des tensions dans le quartier auprès de certains commerçants et résidents. Mais elle n'effraie certainement pas CKIA, qui y voit plutôt un environnement cohérent dans lequel s'implanter.

La station de radio, rappelle Mme Renaud, a été fondée par un groupe d'organismes communautaires en 1984. Insatisfaits de la place qui leur était accordée dans les médias traditionnels, l'idée était d'offrir une voix aux personnes marginalisées sur les ondes publiques.

La mission n'a pas changé et CKIA continue donner la parole à ceux qui en ont moinsdit-elle fièrement. Maintenant, elle veut le faire sur la place Lépine. Ce déménagement permettra à CKIA-FM de contribuer activement à la cohésion sociale du quartier Saint-Roch.

Évincé pour Airbnb

Si la crise du logement est bien connue, la crise des espaces pour les organismes communautaires l’est un peu moins, bien qu’elle soit régulièrement abordée à CKIA. Nous recevons beaucoup de groupes qui luttent contre la gentrification et la spéculation immobilière.atteste Mme Renaud.

Ironiquement, CKIA a connu le phénomène il n’y a pas si longtemps.

En 2019, les propriétaires de l'immeuble qui abritait ses anciens ateliers de la rue Saint-Joseph ont annoncé qu'ils ne renouvelleraient pas les baux, chassant ainsi diverses organisations de locataires. L'immeuble a depuis été transformé en lofts clés en main destinés à la location touristique à court terme, popularisée par la plateforme en ligne Airbnb.

Sans recours, CKIA a dû déménager à la fin de son bail en 2021, laissant place aux Lofts du Théâtre.

Faute d'espace adéquat à Saint-Roch, le conseil d'administration de l'époque s'est rabattu sur des locaux de la rue Saint-Paul, dans le Vieux-Québec, d'où il poursuivra ses activités jusqu'en janvier. Entouré de galeries d'art et de restaurantsla radio n'est pas tout à fait à sa place, estime Marie-Josée Renaud, mentionnant au passage que le loyer est trop cher.

Même si CKIA se trouve à une vingtaine de minutes de marche de ses anciens studios de la rue Saint-Joseph, l'éloignement et le dépaysement ont été suffisants, dit-elle, pour changer la dynamique avec la communauté, ses intervenants et sa clientèle.

CKIA, anciennement connue sous le nom de Radio Basse-Ville, ressent une déconnexion avec ses racines et commence à chercher un moyen de revenir chez elle. Pour nous, cela a vraiment du sens de revenir à Saint-Roch. Il n’est toutefois pas question d’être locataire et de courir le risque d’être à nouveau expulsé.

Cette fois, CKIA a décidé de prendre en main son destin.

Tour de force

Rebecca Breton, chargée de projet pour l'acquisition de la nouvelle demeure de CKIA, pousse la porte du 556, Carré Lépine. À l'intérieur, on reconnaît une salle de réunion et des traces des espaces de bureaux récemment retirés de la résidence centenaire.

Tout reste à faire. Il faudra aménager le studio principal, peut-être au rez-de-chaussée avec les bureaux administratifs. Au premier étage, CKIA prévoit des locaux pour ses bénévoles, puis un deuxième studio d'enregistrement au deuxième.

CKIA a conclu un accord avec le cabinet d'avocats qui occupait auparavant l'espace pour 525 000 $, une dépense importante pour une organisation à but non lucratif. Il a fallu un an et demi pour trouver l'argent pour acheterdit Mme Breton.

C'est une grosse bouchée, admet-elle, mais posséder son propre bâtiment devrait être rentable à long terme, tout en offrant une certaine stabilité. Le risque d’être expulsé à tout moment nous met en danger financier constant.Déménager des studios de radio n'est pas une mince affaire, insiste-t-elle. L'argent que nous avons investi à Saint-Paul est une perte.

Passant d’un programme à l’autre, l’organisme a travaillé pendant des mois pour identifier les subventions qui pourraient être utilisées pour réaliser son rêve de devenir propriétaire.

Mme Breton elle-même a été embauchée grâce à une subvention obtenue par CKIA dans le cadre du Programme de préparation à l’investissement. Il s’agit d’une enveloppe fédérale visant à soutenir des projets menés par des organismes à vocation sociale, notamment communautaire et culturelle.

Arrivée à son poste il y a un an et demi, la chef de projet s'est mise au travail pour trouver la perle rare et remplir des demandes de financement auprès de différents partenaires.

Les programmes, a-t-elle noté, ne sont souvent pas adaptés à la réalité du marché immobilier. Il existe des demandes de subventions qui aideront à financer une partie de l'acquisition, mais ces demandes prendront un an avant de recevoir une réponse.

Et certains sont conditionnés au fait d’avoir déjà signé une promesse d’achat.

Quel propriétaire va signer une promesse d’achat sachant que, peut-être oui, peut-être non, nous aurons une subvention dans un an ?

Coup de chance

La chance a finalement souri à la radio communautaire. Nous avions des gens qui étaient prêts à nous attendre.

Ne cachant pas son mécontentement envers la Ville pour sa gestion du carré Lépine et sa fréquentation par des sans-abri, le cabinet d'avocats cherchait à vendre sa propriété, mais n'était pas encore prêt à le faire l'an dernier.

CKIA a donc signé une promesse d’achat en août 2023, ce qui donne à l’organisme un an pour trouver les fonds nécessaires à l’acquisition de la propriété. Mme Breton salue également la collaboration des anciens propriétaires dans le dossier. Tout le monde était gagnant.

Les deux parties ont finalement pu officialiser la transaction au cours des dernières semaines, CKIA ayant obtenu les prêts nécessaires au financement initial.

Les prochains mois seront consacrés aux travaux à l'intérieur du bâtiment. Une inauguration officielle sera célébrée en janvier.