«Je peux discuter de musique avec un gars qui a 40 ans de moins que moi»

Sémillant clap de fin. S’il continue à pianoter élégant pour les autres ou pour des projets alternatifs, Alain Chamfort ne sortira plus d’album.

Pouvait-il mieux faire que cette « Impermanence » ? Où le crépuscule d’une carrière et d’une vie y est tout sauf désenchanté. Où la fièvre toujours dans le sang, le dandy de « Mon ennemi dans la glace » n’en finit pas de saluer beauté, vibrations et vacuité de l’existence. Où et voix élégantes sont nervurées juste ce qu’il faut pour un son aussi intemporel que moderne. Une grâce incarnée entre autres par la chanson du même nom, portée par un clip magnifique.

Le dernier album, vraiment ?

Oui. Je ne veux pas faire trop d’albums. Précédent [« Le Désordre des choses », NDLR] a été bien accueilli par la critique et le public. J’aimerais que celui-ci connaisse le même sort, voire mieux. Avec mon auteur et ami Pierre-Dominique Burgaud, on l’a vraiment pensé comme le dernier, donc l’âge, le regard sur ce qui s’est passé, le désarroi du moment, mais jamais avec amertume. Nous parlons de la fin, mais avec de la lumière.

Vous étiez sans maison de disques : était-ce facile de produire « L’Impermanence » ?

Pas vraiment ! Des directeurs de label qui écoutaient nos premiers morceaux d’un air rieur, désormais concentrés sur les streams et le nombre de followers, la stratégie marketing comme oreille. Désagréable et affaiblissant. Marc Thonon, créateur du regretté label Atmosphères (1), aujourd’hui au Centre National de la Musique, est enthousiaste, et m’accompagne chez BMG. Le deal : le transfert de mon catalogue de l’ère Sony, que je possédais, mais que je ne savais pas utiliser. Pas pire.

Vous avez connu plusieurs ruptures de contrat au cours de votre carrière : comment les gérez-vous quand vous avez votre parcours ?

Si je ne les décidais pas, je les ressentais à chaque fois. Les dernières années chez Sony, après vingt ans, on ne me parlait que de best of, de trucs formatés.

Juste après et sur une idée de Pierre-Do, nous avons réalisé un clip des « Beaux Yeux de Laure » où je parlais de cette goutte avec humour. Nous avons remporté la Victoire de la Musique ! J’ai toujours su ce que je ne voulais pas et si je suis une personne plutôt flexible dans la vie, l’artistique est le domaine rare où je ne refuse pas le conflit.

“Je peux discuter musique avec un gars de quarante ans mon cadet”


Alain Chamfort aux Francofolies de La Rochelle en 2011.

Musicalement, ce dernier album est classique sans l’être : êtes-vous d’accord ?

Il faut tenir compte de l’époque et j’aime beaucoup cette génération qui donne du relief à la musique. On a parlé d’arrangements, d’orchestrations, aujourd’hui on dit « son ».

Avec Benjamin Lebeau sur les deux premiers titres, Clément Ducol, Julien Delfaud et John Dalgaard sur le reste, nous avons travaillé pour « salir » un peu le tout, pour ajouter de la profondeur sans mordre dans la trame mélodique. Julien a eu l’idée des cordes et je l’en remercie.

Que vous apporte l’âge ?

Un manque de résistance physique, mais ça se passe bien. Dans ma tête, je peux discuter de musique avec un gars qui a quarante ans de moins que moi. Et je suis enthousiasmé par l’idée de donner des concerts, à taille humaine. Au format classique, mais aussi sous forme d’une conversation musicale avec Valli. Je viens jouer chez vous d’ailleurs : je connais bien Bordeaux, mes deux fils y vivent depuis plusieurs années, ils travaillent dans le numérique, ce que font les jeunes.

Qui était le jeune Alain Le Govic, votre vrai nom ?

Un garçon plutôt bien élevé, assez discret, pas meneur mais qui aimait être en groupe. Il ne pouvait imaginer autre chose que faire de la musique. Il a eu la chance et l’intuition de saisir les opportunités sans forcer.


Alain Chamfort, 75 ans, 16 albums.

Dominique Richon

Comment est né le clip magique de « La Grace » où défilent une quinzaine de confrères prestigieux (Armanet, Cabrel, Souchon-Voulzy, Delerm, Cherhal, Aubert, Sanson, Daho, Clerc…) en quête d’inspiration ?

Encore une idée de Pierre-Do ! Nous recherchons tous les mots, la mélodie qui vont nous toucher, puis toucher les gens. On a fait une liste égale, les garçons ont répondu plus vite, puis les filles ont attendu qu’il y ait la parité… J’aurais aimé Françoise (Hardy), mais elle ne veut plus, Jean-Jacques Goldman, mais lui non n’apparaît plus, et Mylène Farmer, mais elle a fait le choix d’être libre, seule. Ils ont gentiment décliné.

Dernier album mais pas de retraite alors ?

Je continuerai à faire de la musique sans la pression du prouver, comme récemment avec Sébastien Tellier qui me l’a demandé. Avec Souchon, avec Daho, pourquoi pas… Flavien Berger, Voyou ou Zaho de Sagazan forment une relève passionnante.

(1) Découvreur de Louise Attaque, Abd al Malik, Charlie Winston, Wax Tailor.

Album « Impermanence » (BMG), 16 € environ. et sur les plateformes. EP quatre titres « Alain Chamfort produit par Sébastien Tellier », en vinyle et numérique. En conversation musicale avec « Le meilleur de moi-même » le 5 octobre 2024 (21h) au centre culturel Captieux (33). 27 €. En concert samedi 16 novembre (20h30) au Rocher de Palmer à Cenon (33). 39 €.

Chamfort en quelques dates

2 mars 1949. Naissance à Paris. Enfance à Eaubonne (95). Formation de piano. Plusieurs groupes de reprises
Octobre 1966. Clavier sur le premier album de Jacques Dutronc (« Et moi, et moi, et moi »…)
1968-1970. Cinq 45 tours sous le nom d’Alain Legovic, sans succès
1972. Claude François le prend sous son aile et lui donne le nom de Chamfort. Des premiers tubes (« L’Amour en France », « Adieu mon Bébé Singer »…) qui rendent jaloux le mentor. Séparation artistique en 1975
1976. Premier album, « Marriage on Trial », sur BCS/Sony
Octobre 1979. “Rock’n rose”, 3e album, le deuxième sur des paroles de Serge Gainsbourg, avec “Manureva”, son plus gros succès
années 1980. Décennie de succès avec ou sans Gainbourg : « Bambou », « Rendez-vous », « Traces de toi », « La Fever dans le sang »… Musique de « To Death the Arbitrator » de Mocky
2004. Remercié par Sony après l’album « Le Plaisir ». Clip « Les Beaux Yeux de Laure » où il évoque sa situation précaire, à la manière de Dylan et de son « Subterranean Homesick Blues ». Gagnant de la meilleure vidéo
Février 2010. Album concept « Une vie Saint-Laurent », suivi en 2012 de « Elles et Lui », meilleur des duos
Avril 2018. «Le désordre des choses», 15e album
janvier 2024. EP quatre titres, fruit de deux sessions studio avec Sébastien Tellier

Alain Chamfort vient également de sortir un EP quatre titres, fruit de sa collaboration avec Sébastien Tellier.


Alain Chamfort vient également de sortir un EP quatre titres, fruit de sa collaboration avec Sébastien Tellier.

Dominique Richon

 
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