« Oh mon Dieu, ne me parlez pas d’émotion ! Je ne veux pas entendre ce mot, je suis tellement bouleversée… Et je ne veux pas déborder… » A quelques heures de son ultime concert, Isabelle Aubret oscille entre larmes et rires. La chanteuse nordiste de 84 ans s’apprête à dire au revoir à Marquette-lez-Lille (Nord), sa ville natale, dans la salle qui porte son nom ce dimanche 19 mars, et elle sait qu’elle aura du mal à se contrôler . Rien qu’au fait de nous en parler au téléphone, elle a “la gorge serrée”.
Près de sept ans après avoir fait ses adieux à l’Olympia, où elle a tant chanté dans les années 1960 et 1970, et lancé une interminable tournée d’adieu, Isabelle Aubret renonce définitivement à la scène. « Un peu par sagesse, par humilité et un peu par orgueil. Je chante toujours bien, je travaille ma voix tous les jours, j’ai la chance d’être en bonne santé, mais je vais avoir 85 ans, rit-elle. on me dit : Putain, quelle énergie ! Et je ne veux pas que les gens me regardent et disent : Dieu, elle est fatiguée. Je suis le messager de mes auteurs et je dois être à la hauteur du message, de Brel, Brassens, Ferrat, Aragon, Lemesle, Chelon… Il faut que ce soit parfait. Je m’entraîne tous les jours, je l’ai encore fait pendant trois quarts d’heure ce matin. Chanter est un sport ! »
Meilleur chanteur du monde en 1976
Symboliquement, elle donne ses deux derniers concerts ce week-end, 61 ans jour pour jour après sa victoire à l’Eurovision. “J’ai la même peur, la même terreur aujourd’hui que ce jour-là”, dit-elle. C’était le 18 mars 1962 à Luxembourg et la jolie nordiste de 23 ans offrait son troisième titre à la France avec la chanson “Un premier amour”.
Sa carrière décolle alors, Jean Ferrat lui écrit « Deux enfants au soleil », Jacques Brel l’emmène dans sa tournée, elle connaît un immense succès avec « C’est beau la vie ». Le début d’une longue idylle avec le public et les auteurs, qui aimaient confier leurs paroles à cette grande voix – élue meilleure chanteuse du monde à Tokyo en 1976 -, grande interprète et personnalité engagée.
Boucler la boucle dans sa ville natale, près de Lille, dans la salle Isabelle Aubret inaugurée il y a trois ans, est évidemment symbolique pour celle qui est née Thérèse Coquerelle, cinquième de onze enfants. « Pour finir là où j’ai mes racines, ma maison, mon école, mon usine… J’imagine la fierté de papa et maman », résume-t-elle pudiquement.
---Son « petit père », né à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), contremaître à l’usine, sa « petite mère » d’origine russe, femme au foyer. « On a inauguré ce théâtre à mon nom, tout près de chez moi, avec toutes ces immenses affiches… Je respire pour ne pas pleurer. »
Un répertoire poétique
Alors forcément retour au pays… « Ce sont des remerciements, des cadeaux, des fleurs, de l’amour, de la tendresse, énumère-t-elle au bord des larmes au lendemain du premier de ses deux derniers spectacles à guichets fermés. C’est merveilleux après tant d’années de carrière de trouver des gens qui amènent leurs enfants, leurs petits-enfants, et qui sont heureux de venir me dire au revoir. Et mes copines de classe, mes copines d’usine, qui partageaient mes rêves et que j’ai eu la chance de réaliser… Peu importe les médailles, les récompenses… D’une certaine manière, je les représente et je suis contente qu’elles soient fières de moi. »
Pour les remercier, elle leur offre pas moins de 33 chansons et 2h30 de récital, un répertoire poétique, sombre, militant, intemporel… « Je leur donne du bonheur, ils me le donnent en retour », résume cette grande artiste avec un petit ego. .
Mais ne manquera-t-il pas ce partage ? Ne va-t-elle pas s’ennuyer ? « Ne t’inquiète pas, je ne vais pas m’endormir », s’empresse-t-elle de répondre en riant. Je vais faire un disque de mon livre La vie est belle, sorti en 2011, avec des lectures et des chansons que le public n’a pas entendues, qui se sont hissées à l’as. Je ferai ce disque pendant que je vous parle. Ce sera vivant et joyeux. Et si je trouve un très bon jeu, j’irai tête baissée ».