jeIl faisait nuit noire, le 18 octobre, lorsque Daniel Jarrige, président de l’association environnement de Saint-Junien, en Haute-Vienne, a entendu le vrombissement des machines agricoles devant son domicile. A peine sorti, il découvre un tracteur et une benne déversant pneus, branches et terre devant son portail. Au-dessus de la butte, le drapeau jaune de la Coordination rurale, le deuxième syndicat agricole français. «Je m’attendais à des représailles. Mais pas directement chez moi »témoigne-t-il, toujours abasourdi.
Pour le militant, il n’y a pas l’ombre d’un doute : cet acte, également orchestré le soir même devant le domicile du trésorier de son association, est un « vengeance »alors que se déroulait plus tôt dans la journée le procès d’un ancien cadre de la Coordination rurale départementale (CR87). Ce dernier était jugé pour avoir relâché des animaux sauvages, dont un ragondin, dans un cinéma, en janvier 2023 à Limoges, pour perturber la diffusion d’un film sur l’impact des mégabassins dans le marais poitevin.
L’opération a été revendiquée par le syndicat sur les réseaux sociaux avec cette phrase : « Les terroristes écologistes veulent de la biodiversité, le CR87 la leur a livrée. » « En sortant du tribunal, on nous a remis une haie d’honneur avec des menaces du genre : « nous vous retrouverons », « nous savons où vous êtes », « nous prendrons soin de vous » »raconte Daniel Jarrige.
Des insultes projetées sur les murs
Les messages agressifs envers les membres des fédérations locales de France Nature Environnement (FNE), un regroupement de 9 000 associations de défense de l’environnement (dont celle de Daniel Jarrige), se multiplient. En 2023, la FNE a recensé plus de 50 agressions à son encontre, atteintes aux biens et menaces perpétrées entre 2015 et 2023 dans toute la France.
Depuis 2022, C’est tout simplement le cas ! a répertorié dix-huit actions ciblées contre les associations membres du FNE, dont la moitié étaient liées à de récentes manifestations agricoles. Certaines sont perpétrées directement au domicile des représentants de la FNE, comme en Charente-Maritime, où la propriété du vice-président de Nature environnement 17 a été saccagée et des insultes homophobes taguées sur ses murs.
D’autres intimidations ont eu lieu en marge d’événements visant à sensibiliser le public aux questions environnementales. Comme à Guéret, dans la Creuse, lorsque la FNE23 a organisé une réunion publique sur les pesticides le 26 octobre. En réponse, la Coordination rurale affirme avoir tagué la mairie : «FNE laissez-nous tranquille», « FNE on n’oublie pas Saint-Soline », « Les seuls vrais écologistes en France, ce sont les agriculteurs ».
« Depuis qu’on a laissé le monde agricole vandaliser partout, on sent monter une forme d’impunitéobserves Cécile Argentin, spokesperson for FNE Occitanie-Midi-Pyrénées. Et avec les élections professionnelles des chambres d’agriculture, on a l’impression que c’est lui qui réalisera la plus grosse opération de communication. »
“Une sorte d’impunité”
Depuis le 15 janvier et jusqu’au 31 janvier, les agriculteurs sont appelés à voter pour élire leurs représentants dans les chambres départementales d’agriculture, actuellement dominées par la Fédération nationale des exploitants agricoles (FNSEA). Deuxième syndicat du pays avec 21,54% des voix, la Coordination rurale détient désormais la majorité dans trois chambres départementales.
Le 7 octobre 2024, pour la quatrième fois en quatre ans, l’antenne FNE Occitanie-Midi-Pyrénées, située à Toulouse, est vandalisée. Cette fois, l’attaque est revendiquée sur les réseaux sociaux par la Coordination rurale du Gers. “Au moment où nos lacs, nos réservoirs, nos quotas d’irrigation sont attaqués par des extrémistes anti-scrologues, nous sommes allés au centre de Toulouse, pour dire stop à ceux qui détruisent l’agriculture”» a écrit l’organisation.
« Il y a une forme de radicalisation qui s’installe même dans des territoires jusque-là épargnés »observe Cécile Argentin. Cette montée de la violence est une conséquence directe, estime-t-elle, de la criminalisation des militants écologistes orchestrée par les récents gouvernements successifs.
-« L’utilisation du terme écoterroriste au plus haut niveau de l’Etat a fait beaucoup de mal »» croit Michel Galliot, président de la FNE Limousin, à propos du discours de l’ancien ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour justifier la répression policière, à Saint-Soline, le 25 mars 2023. « Le mot circule beaucoup, y compris parmi les élus locaux, et justifie le recours à la violence à notre encontre »déplore le militant communautaire.
Locaux vandalisés trois fois en moins d’un an
Dans le Tarn-et-Garonne, à Montauban, les locaux de la FNE ont été endommagés à trois reprises en moins d’un an. Le portail et les caméras de surveillance ont été à chaque fois endommagés pour un montant total d’environ 60 000 euros. Toutefois, estime son président, Gaëtan Deltour, les relations avec le syndicat FDSEA, qui ne revendique pas officiellement ces agissements, sont bonnes. « Bien sûr, nous sommes rarement d’accord, mais nous parvenons à communiquer. Nous avons même signé une charte commune sur la création de petits réservoirs d’eau”appuie le responsable de la section France nature environnement.
Même stupeur et incompréhension dans l’Indre. L’association Indre Nature, regroupant dix-sept salariés et 900 adhérents, a subi, le 26 novembre, en marge de la manifestation agricole de Châteauroux, ce qu’elle qualifie d’attaque de la part de la FSDEA36. « De la paille a été déversée devant nos locaux tandis que six salariés étaient enfermés à l’intérieur, volets fermés. Les agriculteurs ont tambouriné aux fenêtres sans aucune réaction de la police. »décrit Jacques Lucbert, président d’Indre Nature.
« Mort aux écologistes »
Si déposer des déchets devant les locaux du FNE n’est pas une pratique nouvelle, la violence des slogans qui accompagnent ces actions inquiète les militants. En novembre dernier, Michel Galliot, président de la FNE Limousin, avait alerté le procureur de la République de Limoges. « Les menaces et les actions contre nos employés, membres et sympathisants deviennent une réalité »il a écrit. Citant le cas de la banderole « mort aux écologistes » déployée lors d’une fête de village en Corrèze. Ou le communiqué du président de la Chambre d’agriculture de Haute-Vienne, d’août 2023, invitant les propriétaires fonciers et forestiers à exclure les associations environnementales de leur propriété. “par tous les moyens”.
« Ces menaces ouvertes peuvent dissuader les habitants témoins d’une infraction ou d’une pollution de témoigner »regrette Michel Galliot. En effet, le message de la Chambre d’Agriculture de Haute-Vienne fait référence aux bénévoles qui soutiennent le programme FNE « Sentinelles de la Nature ». Cette carte participative permet de signaler des pollutions ou à l’inverse des initiatives favorables à l’environnement. “Ces invectives nous inquiètent pour nos salariés qui sont missionnés par l’Etat pour réaliser des inventaires naturalistes sur le terrain”continues Michel Galliot.
Presque toutes les attaques font l’objet d’une plainte. « L’idée est de montrer que nous ne nous laisserons pas intimider et que nous continuerons notre travail »explique un avocat de l’association. La FNE déplore que ces plaintes soient « systématiquement licenciés, parfois sans enquête. Même si le peuple et les syndicats agricoles qui parrainent ces faits, se sentant au-dessus des lois, les signent, publient et revendiquent leurs crimes sur les réseaux sociaux.. L’association écologiste dénonce le double standard de l’État. « Quand on voit la répression policière à l’œuvre lors des manifestations des mouvements écologistes, on se dit que deux logiques différentes sont à l’œuvre »accuses Gaëtan Deltour.
Pourquoi France nature environnement ?
Est-ce parce qu’il n’hésite pas à porter plainte ou à faire appel contre les arrêtés préfectoraux que le FNE est ainsi attaqué ? En août 2024, elle obtient une réduction des quotas d’irrigation dans le sous-bassin de l’Adour. Le juge des référés du tribunal de Pau (Pyrénées-Atlantiques) a jugé illégal l’arrêté préfectoral en vigueur, car il autorise « une situation déséquilibrée où les volumes [d’eau, ndlr] les prélèvements sont supérieurs aux volumes exploitables ». Cette décision a provoqué la colère des irrigants.
Or, en réalité, les associations de défense de l’environnement travaillent beaucoup avec les agriculteurs. Que ce soit au sein de commissions administratives locales, sortes de mini-parlements supervisés par les préfectures autour de thématiques comme l’eau, la chasse, les paysages, ou dans des programmes de préservation des espèces protégées. « Sur notre territoire, nous avons mis en place des mesures agro-environnementales qui, depuis dix ans, rapportent un million d’euros par an aux agriculteurs »cite en exemple Jacques Lucbert, dans l’Indre.
Le FNE est même souvent au chevet des agriculteurs. « Certains viennent même directement nous demander de l’aide »témoigne Gaëtan Deltour, donnant l’exemple d’un membre de la FDSEA qui a signalé un pompage illégal d’eau pour le chantier d’un lotissement, en période de sécheresse. Dans les Bouches-du-Rhône, un producteur, dont la certification bio est menacée par l’épandage de glyphosate à proximité de ses terres, a trouvé l’aide de la FNE-Paca qui a porté plainte pour non-respect des zones de non-traitement dans la plaine de la Crau.
« Nous sommes en réalité la cible facile quand notre rôle est de veiller à l’application du droit de l’environnement »admits Cécile Argentin. « Nous nous trouvons dans une situation où aller au tribunal, avec le récit actuel, est une chimère.regrets Morgane Piederrière, advocacy officer at FNE. Or, dans une démocratie, s’adresser aux tribunaux est une manière saine et légale de gérer un conflit. »
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