« Ce sont les films qui m’ont régénéré, pas les récompenses » : prix d’acteur à Venise, Vincent Lindon connaît, de ses quarante années de cinéma, une nouvelle jeunesse.
Après le choc « Titane » (de Julia Ducournau, Palme d’or 2021), puis un rôle qu’il adorait au point de devenir « fou » de douanier dans la série « D’argent et de sang », l’acteur sort « Playing with Fire » mercredi.
Il incarne un cheminot confronté à la radicalisation d’un de ses fils (Benjamin Voisin), attiré par l’extrême droite violente, tandis que son frère (Stefan Crépon) poursuit de brillantes études.
Neuf ans après son prix à Cannes pour « La Loi du marché » (de Stéphane Brizé), Lindon rejoint le club des acteurs salués dans les deux festivals les plus prestigieux du monde, à l’image de Javier Bardem ou de Sean Penn. Retour pour l’AFP sur ce moment clé.
QUESTION : Vous dites parfois que vous vous sentez « un imposteur ». Qu’avez-vous ressenti en recevant ce prix à Venise ?
RÉPONSE : « J’étais ravi, bouleversé, parce que c’est le double (avec Cannes), donc ce n’est pas rien. J’ai été bouleversée et terriblement touchée par (la présidente du jury) Isabelle Huppert car ce n’est tellement pas français (récompenser un compatriote).
J’étais très content pour (les réalisatrices) Delphine et Muriel Coulin. Cela affecte tout le monde dans la voiture principale, les acteurs, les réalisateurs et les producteurs. C’est un travail commun.
Q : Qu’avez-vous aimé dans ce tournage ?
R : « J’ai adoré qu’il y ait deux histoires. Pour moi, le plus important c’est la famille. Comment un père peut-il se retrouver impuissant face à l’un de ses deux enfants alors qu’ils ont été élevés de la même manière ? Ils mangeaient la même nourriture, étaient habillés de la même manière, avaient la même mère, le même père. Ils ont entendu les mêmes discussions à table, pour moi c’est l’inconditionnalité de l’amour. Comment peut-on aimer autant et de la même manière deux personnes ? des êtres si différents ?
Q : Et l’autre histoire ?
-R : « L’histoire courte, mais ce n’est pas rien, c’est cette radicalisation. (…) C’est le manque d’espoir. Quand on n’est pas occupé, on perd tout, la confiance, l’amour. Le premier petit groupe qui s’intéresse à vous, qui vous considère, nous chercherons un réconfort que nous n’avons nulle part.
Tout cela me dérangeait et me ramenait à mon état de fils. Quand je vois toutes les bêtises que j’ai faites et à quel point mes parents m’ont fait confiance… Dans mon rôle de père aussi. Mon personnage est en faute car il le fait trop tard. C’est d’autant plus bouleversant qu’il tente de rattraper le temps perdu. Cela ne compense pas. »
Q : Le film résonne aussi avec notre présent…
R : « C’est un film qui raconte notre apparence. J’allais vous dire que c’est l’état de la France. Mais c’est l’état du monde. Nous regardons sans réagir, avec désespoir, une jeunesse sans espoir et s’aliénant dans le monde de la réaction plutôt que dans le monde de la réflexion.
Aujourd’hui, il y a 72 millions de journalistes en France, 72 millions de commissaires de police. On ne lit presque plus, on réagit à quelque chose qu’on lit en trois phrases sur un réseau social ! Nous sommes parmi les fous.
Q : La culture croit depuis longtemps qu’elle a un rôle à jouer dans la lutte contre l’extrémisme. Et aujourd’hui ?
R : « Le monde de la culture est devenu terriblement gentrifié et incliné. (Les intellectuels) ne communiquent plus entre eux. Chacun écrit son propre livre, son propre pamphlet… En même temps, il leur est extrêmement difficile de s’adresser à une génération dont la culture n’est plus la même, qui est sur les réseaux sociaux, avec des pensées toutes faites.
Je ne supporte plus qu’on me pose ces questions car les autres n’y répondent pas. Avant, il y avait 900 artistes impliqués ! Peintres, musiciens, tout ce que vous voulez. Il n’y en a plus.
Mais je ne suis pas du tout désespéré. (…) J’ai une confiance terrible dans les femmes et les hommes. À un moment donné, inconsciemment, chacun se passera le mot. Ce ne sera plus supportable et les humains arrêteront tout cela. »
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