Par
Maxim T’sjoen
Publié le
12 janvier 2025 à 9h45
Si Christian Prudhomme avoue volontiers « avoir peur de ceux qui n’ont pas de mémoire », sa capacité à se souvenir du moindre détail de l’histoire du cyclisme peut prêter à confusion. LE patron du Tour de France depuis près de 20 ans se souvient d’innombrables étapes, pages de l’histoire de « la petite reine ».
Le cyclisme est dans sa peau. Alors lorsqu’il s’agit de défendre pendant une heure le parcours du Tour de France 2025, il le fait avec passion et une envie (affirmée) de transmettre l’histoire de la Grande Boucle et plus généralement du cyclisme.
Il embrasse cette manière de transmettre la légende du cyclisme, dans un parcours 2025 en forme d’hommage aux gloires tricolores du cyclisme. Entretenir le mythe du Tour : sa priorité. Christian Prudhomme accordé, pendant une heure, un entretien à -.
“Le but c’est de rêver”
Acte : Ce parcours du Tour de France 2025 est un peu trompeur, surtout la première semaine. Ne serait-ce pas l’un des Tours les plus difficiles ?
Christian Prudhomme: Au fond, le Tour de France est toujours difficile. Ce sont les meilleurs coureurs du monde dans la plus grande course du monde : c’est ce qui la rend légendaire. La première semaine en trompe l’œil, c’est réel. Nous sommes dans une partie de la France où il n’y a pas de montagnes, mais nous avons traqué toutes les côtes existantes pour avoir une première semaine la plus dense possible. La deuxième étape à Boulogne, la quatrième à Rouen, la Suisse normande et les reliefs du Bocage, avec 3 500 mètres de dénivelé pour arriver à Vire et enfin, ce qui est devenu un classique : le double passage de Mûr-de-Bretagne.
Quelle est l’idée derrière cette première semaine difficile ?
PC : Il y aura forcément plus d’opportunités pour les puncheurs et (insiste-t-il, ndlr) les favoris au classement général, puisque ce que l’on veut faire chaque année, c’est mettre les favoris au coude à coude dès les premières journées. Ce sera donc le cas dès la deuxième étape sur la route de Boulogne.
C’est peut-être une voie un peu « prudhommeque ».
PC : (Il rit.) Je ne sais pas ce que ça veut dire, sauf que je reste un amoureux du Tour de France et du cyclisme. Le but est de rêver d’une certaine manière. Lors de la première semaine, nous ne cherchons pas d’écart, bien au contraire, mais nous voulons voir les principaux protagonistes du classement général, et aussi les favoris de l’étape.
“Le Tour n’est pas anti-sprinteurs”
Est-ce difficile ?
PC : Ces dernières années, on s’est rendu compte que ce sont les pourcentages les plus extrêmes qui font qu’à un moment donné, il peut attaquer. Nous n’avons pas de col de 10 km au-dessus de 1500 m dans la moitié de la France. D’un autre côté, les pillards peuvent être trouvés presque partout. On est vraiment allés les retrouver !
Avec six arrivées dédiées aux sprinteurs, est-ce la fin des sprints sur le Tour ?
PC : Certainement pas. Après, il y a une évidence, l’augmentation exponentielle des aménagements routiers, notamment dans les villes, mais pas seulement. Les réservations centrales et les retours trottoirs rendent les arrivées au sprint très compliquées. Depuis trois ans sur le Tour, il y a deux villes ciblées et on n’y va pas, parce que c’est trop dangereux. L’après-Tour n’est pas anti-sprinteurs. La preuve en est que la première étape de Lille est réservée aux sprinteurs, avec la possibilité de porter le maillot jaune. En revanche, nous avons toujours lutté contre l’enchaînement de quatre étapes de sprint.
Il est important pour nous que dans la troisième semaine du Tour, il y ait encore au moins deux arrivées faites pour les sprinteurs, pour s’assurer qu’ils restent jusqu’au bout. Et n’abandonnez pas pour l’instant.
Un « hommage au cyclisme français »
N’y a-t-il pas aussi une volonté de toujours chercher du spectacle pour répondre aux exigences d’un nouveau public d’aujourd’hui, où tout va plus vite avec les réseaux sociaux ?
PC : Évidemment oui. Nous voulons que ce soit beau, à couper le souffle, spectaculaire. Mais ce n’est pas en durcissant à tout prix. Ceci en veillant à ne pas avoir des séries d’étapes similaires juxtaposées les unes aux autres. Et, à l’ouest de la diagonale qui va du Pays Basque à l’Alsace, il n’y a pas de montagnes, il faut chercher autre chose. Dénivelés, pavés, sentiers blancs, contre-la-montre… Il faut savoir casser le rythme. Mais c’est bien de chercher autre chose.
La stèle de Jean Robic à Bonsecours, il y a l’hommage à Bernard Hinault, le clin d’œil à Louison Bobet… Cette année, les clins d’œil à l’histoire sont nombreux dans ce parcours.
PC : L’hommage au cyclisme français est en effet né sur la route italienne l’année dernière. C’était la première fois que nous quittions l’Italie. Paradoxal considérant ce très grand pays du cyclisme. Nous étions sur les routes de Bartali, originaire de Florence, nous sommes passés par Coppi, etc. (uniquement des légendes, ndlr). Nous voulions faire la même chose en France en 2025. D’autant que c’est le 40e anniversaire de la dernière victoire d’un Français sur le Tour, en l’occurrence Bernard Hinault. Les multiples vainqueurs du French Tour seront, à un moment ou à un autre, choyés et mis en valeur sur le parcours.
« Si le Tour peut donner un peu de fierté »
Entre Netflix, les influenceurs et ces références historiques, y a-t-il une volonté de préserver la transmission entre les générations ?
PC : Avant même d’être la plus grande compétition cycliste au monde, le Tour de France, c’est un événement qui rassemble, qui rassemble. Vous n’êtes jamais seul au bord des routes du Tour. Nous sommes en famille, avec nos parents, grands-parents, cousins, voisins, amis et nous rencontrons des gens qui viennent de différents pays. Il n’y a aucune distinction de classe sociale. La transmission est donc pour moi aussi importante dans la légende du Tour de France que les champions. Il existe un mythe plus grand que la compétition sportive.
Cela joue donc dans le voyage.
PC : Il s’agit bien sûr de la recherche d’un parcours sportif, mais il ne peut pas s’agir uniquement de cela. Il s’agit d’aller dans des lieux chargés d’histoire, dans des petits villages où les gens se sentent abandonnés. Grâce au Tour de France et à son plan d’hélicoptère dominant, ils voient le village, ils entendent son nom à la télé, à la radio. Et ils sont fiers. Vous savez, dans un pays où il y a de la fierté, tout est possible, dans le bon sens. Quand il n’y a plus de fierté, tout se fragmente, tout s’effondre. Alors si le Tour peut ramener un peu de fierté, un peu de bonheur simple…
« Rien n’est plus fort que la confrontation des champions »
Vous parliez de mythe juste avant. Vous envisagez d’en construire un nouveau avec le Col de la Loze qui revient régulièrement sur le parcours ?
PC : Il y a l’envie que les jeunes, les enfants, les gosses rêvent du Tour de France. Comme j’en rêvais. Il y a deux choses. Il faut faire en sorte que le Galibier ou les Pyrénées, ces mythes de l’histoire, perdurent. Et en plus de ça, il faut chercher de nouveaux lieux, des passes qui seront celles des enfants d’aujourd’hui. Pour que ça rentre dans la tête des gens, il faut de la répétition, me disait il y a quelques années le maire de Chamrousse. Parce que le Tour de France est un événement durable, et il faudra encore qu’il y ait un Tour de France dans 100 ans.
Pour moi, le col de la Loze est le col du 21ème siècle : il y a des ruptures de pente qui n’existent pas ailleurs en France, à cette altitude. A plus de 2300 mètres, on est à 5%, on monte à 17 ou 18%, c’est phénoménal.
Vous êtes encore beaucoup aidé par le duel de ces dernières années entre Vingegaard et Pogacar.
PC : Rien n’est plus fort que la confrontation des champions. Tu peux faire ce que tu veux : ce n’est rien comparé aux champions. Quoi que nous fassions, les champions nous aident ou nous gênent. Bien sûr, quand on a des champions capables d’attaquer de loin, et n’importe où, on le fait. Depuis Julian Alaphilippe en 2019, nous avons veillé, notamment la première semaine, à leur offrir une plateforme qui leur permette de s’exprimer. On sait aujourd’hui que ce qui fait la différence, ce sont les pourcentages élevés. A ce moment-là, on voit le plus fort.
Alors, lorsque vous tracez le parcours du Tour de France, vous avez aussi pour objectif d’aider, de soutenir ces affrontements ?
PC : Nous n’allons jamais faire un parcours pour tel ou tel coureur. Par contre oui, depuis plusieurs années, nous faisons un stage pour les puncheurs. Cela ne fait aucun doute. Mais chez les puncheurs, vous avez ensemble des coureurs classiques et des coureurs du classement général. C’est une merveilleuse opportunité. Alors évidemment nous mettons un itinéraire à leur disposition.
« Partir de l’étranger fait briller davantage le Tour »
A chaque présentation du cours, il y a souvent des critiques du cours, quelle qu’elle soit. Comment les vivez-vous personnellement ?
PC : C’est une fausse impression à mon avis. Vous trouverez toujours des gens qui diront : « nous devrions faire ceci, nous devrions faire cela ». Ce ne sont pas les gens que je rencontre. Le Tour de France n’est pas qu’un seul Tour de France. Il y en a un l’année suivante, il y en a un autre après, etc. Dès qu’il part à l’étranger, certains demandent : « mais c’est quoi ce truc » ? Mais la plupart des gens qui disent cela ne connaissent pas l’histoire du Tour de France. Je leur demande à quand remonte le premier départ à l’étranger ? “Oh, il y a 8 à 10 ans.” Nous sommes en 1954, il y a 70 ans. À quand remonte la première arrivée à l’étranger ? 1919, il y a plus de 100 ans. Le premier voyage à l’étranger ? 1906.
Partir de l’étranger favorise encore le Tour et aussi la France, à la condition sine qua non qu’on aille dans nos villages, à Castelnau-Magnoac, chez Antoine Dupont dans les Pyrénées, à Rocamadour, à Châtillon-sur-Chalaronne, à Évaux-les – Bains dans la Creuse. C’est cet ensemble qui fait le Tour.
Entretien réalisé le 13 décembre 2024 avec Edgard Chaumond.
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