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Investir dans les gens avant les pierres

Il y a quelques semaines, le Haut-Commissariat au Plan (HCP) révélait les principaux résultats du recensement général de la population et de l’habitat (RGPH). Loin de passer inaperçus, ces résultats, habituellement perçus comme ennuyeux ou sans intérêt par les citoyens non spécialisés, ont cette fois défrayé la chronique. Certes un peu moins que la Moudawana, mais on a quand même eu droit à un florilège d’articles aux titres accrocheurs sur le sujet. Des articles alarmistes, pour qui le Maroc vieillit avec un déclin démographique, à ceux pour qui tout va bien madame la marquisela vérité se situe, comme c’est souvent le cas, entre les deux.

Commençons par le vieillissement de notre population. Bien que timide pour l’instant, ce phénomène est bel et bien amorcé par le Maroc depuis plusieurs années. Car d’une part, l’espérance de vie n’a cessé d’augmenter depuis l’indépendance, et se situe désormais autour de 77 ans, contre 68 ans en 2004, et d’autre part, la fécondité diminue pour atteindre aujourd’hui une moyenne de 1,97 enfant par femme, contre à 2,6 en 2004.

Ces deux dynamiques opposées déclenchent un mouvement d’inversion de la pyramide des âges, où l’on se retrouve avec de plus en plus de personnes âgées et de moins en moins de jeunes. Cela risque à terme de mettre en danger nos fonds de pension et nos compagnies d’assurance, déjà fragilisées par des décennies de mauvaise gestion, au gré des scandales qui émaillent régulièrement l’actualité. Nous reviendrons un peu plus loin sur ce point très sensible.

Le vrai problème ne réside pas dans le vieillissement de notre population, mais dans le fait qu’au Maroc, on vieillit mal. En effet, dès le début de la soixantaine, voire la cinquantaine, des millions de Marocains cochent déjà toutes les cases des pathologies chroniques habituelles, allant du diabète à l’hypertension, en passant par l’arthrose et les maladies cardiaques. .

Cela est dû à une pluralité de facteurs, tels que la défaillance structurelle de notre système de santé publique, la pauvreté, les mauvaises habitudes de vie et alimentaires, la sédentarité, le manque d’activités sportives, etc.

L’autre problème est que nos jeunes, censés travailler et contribuer au financement des retraites et aux soins de nos aînés, seront de moins en moins nombreux, et plusieurs millions d’entre eux ne travaillent pas, comme le montrent les chiffres récents. chômage, ou travailler dans le secteur informel, ce qui revient au même, puisqu’ils ne cotisent pas. Et quand je parle d’informel, c’est loin d’être anecdotique. Ce secteur représente l’équivalent d’un tiers du PIB national et 77% de l’emploi.

Lancée par le Roi en 2021, la généralisation de la protection sociale devrait à terme résoudre en partie ce problème. Mais cette dernière ne pourra en aucun cas résoudre ou occulter d’autres problématiques, comme le faible niveau de productivité du travail au Maroc, ou l’existence d’un secteur informel qui dévore de l’intérieur notre potentiel de développement, tout en permettant maladroitement d’acheter la paix sociale.

« Notre croissance économique dépend déjà fortement de la pluviométrie, il ne serait plus nécessaire que notre développement dépende à son tour de la démographie. »

Enfin, la baisse de la fécondité au Maroc. En effet, l’indice synthétique de fécondité s’élève aujourd’hui à 1,97 enfant par femme, inférieur au taux de remplacement qui est de 2,1, et qui permet à la taille de la population de rester stable, sans déclin. ni la croissance démographique.

En soi, ce taux n’est pas encore particulièrement alarmant. C’est la dynamique, puisque la plupart des pays qui ont franchi ce Rubicon démographique l’ont fait au plus fort de leur développement démographique. Ce qui est loin d’être le cas pour nous. Nous avons pour ainsi dire une démographie de plus en plus « occidentale », mais avec une économie loin d’être au niveau requis pour contribuer à la prospérité et à la durabilité de tous. D’autant que les régions où la fécondité est la plus faible ne sont pas forcément les plus développées, comme l’Oriental (1,73) ou Béni Mellal-Khénifra (1,95).

Car les véritables causes de ce déclin ne sont pas une montée brutale de l’individualisme ou une modernisation des esprits, mais simplement la cherté de la vie, la pauvreté, le retard de l’âge moyen du mariage et la privatisation à tout prix. secteurs vitaux pour les futurs parents, comme l’éducation ou la santé.

Maintenant, récapitulons.

– Nous avons une population qui vit de plus en plus longtemps, mais de moins en moins en bonne santé. De ce point de vue, il serait intéressant de disposer de données sur l’espérance de vie en bonne santé pour pouvoir évaluer l’ampleur du phénomène.

– Nous avons de moins en moins d’enfants, avec des disparités régionales assez importantes, qui sont principalement dues au coût de la vie élevé, au retard de l’âge du mariage et à la privatisation galopante de secteurs stratégiques (éducation, santé…).

– La population active occupée, censée financer le modèle social, a un niveau de productivité du travail très faible par rapport à ce dont le Maroc a besoin, et le secteur informel représente 78% de l’emploi. Quant au taux de chômage, selon le HCP il se situe autour de 21% en 2024.

– Quant à la couverture sociale, l’écart entre le niveau des cotisations salariales et le taux de remboursement de la CNSS pour le secteur privé est tout simplement colossal. Chaque fois que vous vous faites rembourser une prestation médicale, sachez que vous faites un voyage dans le temps sans le savoir. Puisque vous cotisez à plein tarif en 2025, mais pour vous faire rembourser, vous faites un saut dans le passé jusqu’en 2006, car le TNR (Tarif National de Référence) n’a pas été actualisé depuis. Cela est susceptible d’amener les gens à percevoir la cotisation CNSS comme un coût encouru plutôt que comme un avantage protecteur.

Que faire alors ?

Essayez d’abord de résoudre les problèmes en amont, au lieu de chercher perpétuellement à combler les lacunes avec des bricolages et des reconfigurations de dernière minute. Cela nécessite une véritable révolution éducative, en éliminant définitivement l’illettrisme et en investissant massivement, et surtout intelligemment, dans l’éducation, de l’école maternelle à l’enseignement supérieur. En d’autres termes, investissez dans les gens, et pas seulement dans la pierre et les infrastructures. C’est le facteur humain qui a fait et fait encore la force des dragons et des tigres asiatiques, et non les ressources naturelles.

Deuxièmement, forger une vraie vision et un vrai modèle de développement économique qui ne soit pas dépendant des aléas et des cyclicités électorales et qui, surtout, n’édulcore pas la réalité. Un véritable modèle de développement n’est pas un ensemble de vœux pieux, mais une vision stratégique complexe et à long terme, sur 30 ou 40 ans, et non sur la durée d’un mandat.

Déjà que notre croissance économique dépend fortement de la pluviométrie, il ne serait plus nécessaire que notre développement dépende à son tour de la démographie. Il est donc temps pour nous de reconnaître la nécessité d’investir dans les personnes, dans la connaissance et la compréhension, tout en comprenant que c’est là la condition condition sine qua non de toute dynamique de développement. Et dans ce domaine, aucun raccourci n’est possible. La qualité plutôt que la quantité devrait être la clé de voûte de nos ambitions pour l’avenir.

 
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