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Nid d’aigle au pied de sommets à la beauté austère, Briançon est la sentinelle des Alpes depuis la Rome antique. A 1326 mètres d’altitude, c’est la ville la plus haute de l’Union européenne. L’ancienne forteresse conçue par Vauban est aujourd’hui prise d’assaut par des hordes de touristes. Son domaine skiable, aux portes du Parc National des Écrins, proche de la frontière italienne d’un côté et de la Provence de l’autre, attire chaque hiver des centaines de milliers de skieurs et des meutes de passionnés de vélo l’été. qui viennent suivre le Tour de France.
Mais en ce soir d’automne, une pluie glaciale lisse les pavés des rues désertes et Briançon, avec ses 11 000 habitants, ressemble à une ville de province où il ne se passe pas grand-chose un mercredi d’octobre.
Dans la petite librairie La Gargouille, accrochée au sommet d’une rue escarpée qui porte le même nom et qui grimpe jusqu’aux remparts, fait battre depuis 70 ans le cœur littéraire de la citadelle. Le libraire Maxime Brousse gère le magasin que sa mère a acheté il y a une quinzaine d’années. La trentaine, les cheveux et la barbe touffus, l’œil vif, Max est un natif du pays qui parle avec autant de passion des montagnes qu’il gravit ou descend que des livres qu’il défend dans la citadelle où il se trouve. né.
La réunion à laquelle je suis conviée a lieu dans une petite salle à l’arrière du magasin. Il y a plus de monde que de sièges, même s’il n’y a pas beaucoup de monde, et Max cède sa chaise à un client âgé, ce qui l’oblige à mener la discussion debout.
« Il y a tellement de gens à Briançon qui s’intéressent à la littérature indigène, Max ? »
Ce dont tu parles dans tes livres, Michel, la protection du territoire, les dangers d’une industrialisation aveugle, la beauté de la nature et l’importance de la préserver, ça résonne ici.
The bookseller Maxime Brousse, from La Gargouille
La Gargouille n’a pas les moyens d’inviter un écrivain au fond des Alpes dont le transport et l’hébergement sont payants. Elle le fait grâce au soutien des Libraires du Sud, association créée en 1998 et qui regroupe une centaine d’établissements. Nous sommes une douzaine d’écrivains à participer à cette tournée qui nous emmène chacun dans trois ou quatre villes.
« Nous voulons aider les librairies indépendantes à créer des communautés. Cela crée du lien entre l’entreprise et ses clients », explique Manon Vaudry, l’une des animatrices de la tournée. Les Libraires du Sud organisent quatre événements dans l’année grâce au soutien de l’État, qui y voit une manière d’encourager la filière du livre. « Une librairie, ce n’est pas seulement un endroit où l’on vend des livres », insiste Manon. C’est très vrai.
Il existe bien sûr des librairies au Québec qui organisent ce type de rencontre. À Montréal, on pense à La livrerie, rue Ontario, Un livre à soi, sur Laurier Est, ou encore à la librairie Monet, au nord de la ville. En région, chez Les Bouquinistes, à Chicoutimi (oui, je dis Chicoutimi, pas Saguenay…), à la librairie Poirier de Trois-Rivières et bien d’autres. Mais le phénomène n’a pas ici la même ampleur qu’en France, en Allemagne ou en Italie.
Comment l’expliquer ? Le marché ? Culture d’entreprise ? Manque de soutien de l’État ? Sans doute un peu de tout ça. « La rencontre entre un écrivain et un lecteur est le point culminant de l’expérience de lecture », me confiait la libraire Élodie Leconte à la Librairie de Paris à Saint-Étienne. Elle a raison.
Après Briançon, je suis allé à Gap. N’ayant pas de chambre d’hôtel disponible, Ken, le libraire de La Loupiote, m’a prêté son appartement mansardé, me laissant du fromage au frigo et du vin sur le comptoir. Il avait réservé une salle pour 150 personnes et regrettait de ne l’avoir remplie qu’à moitié.
“Je leur ai fait peur en leur disant d’arriver tôt s’ils voulaient avoir une place”, a-t-il regretté en fin de soirée.
Manon l’a consolé en lui soulignant que 75 personnes dans une petite ville un jeudi soir, c’est excellent. « Il est passionné », ajoute-t-elle avec un grand sourire. C’est toujours vrai et c’est beau.
Après chaque rencontre en France, la tradition veut que le libraire invite l’écrivain à dîner. J’ai mangé ici au fil du temps avec des dizaines de libraires, discutant de livres, de musique, de politique ou riant. A chaque fois, je suis reparti touché par ce sentiment de fraternité qui nous avait enveloppés.
A Briançon, de fortes pluies ont continué de marteler la commune après la rencontre qui a duré jusque tard. Les gens achetaient tout ce qu’il y avait de mes romans et Max s’en voulait de ne pas en avoir commandé assez.
« Les gens ont des réserves. Mais ils ne pourront pas en faire signer un exemplaire par l’auteur», a-t-il déploré.
Nous avons mangé avec Max, son frère et Manon des Libraires du Sud dans un restaurant d’une quinzaine de couverts où le couple de propriétaires met au menu ce qu’ils trouvent dans les montagnes autour de Briançon.
« On travaillait en ville et on est revenu parce qu’il était passionné de cueillette et moi passionnée de cuisine », m’explique le patron. “On avait envie de revenir à Briançon parce que… tout ça”, dit-elle en désignant les montagnes.
Le repas était excellent, tout comme le vin. Nous avons discuté de montagne, de vélo, de ski, d’amitié. Les livres et les librairies le sont aussi. Heureusement !
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