Le cyclone Chido a dévasté l’archipel de Mayotte il y a à peine une semaine. L’aide attendue par les habitants arrive au compte-goutte. Eau, nourriture, électricité et abri, tout manque sur l’île. La plupart des bâtiments ont été détruits par le cyclone car à Mayotte, il y a beaucoup d’habitations précaires, fragiles, faites uniquement de tôle. Selon l’Insee, un tiers des habitants de Mayotte vivent dans un bidonville. Décryptage avec le sociologue Jean Viard.
franceinfo : Dans ce contexte de dévastation et d’habitats précaires rasés par le cyclone, comment reconstruire Mayotte, par où commencer ?
Jean Viard: Nous commençons par ce que nous essayons de faire, c’est-à-dire l’urgence, faire venir de la Réunion qui n’est pas très loin – il y a un peu plus de 1000 kilomètres – de la nourriture, de l’eau, etc. Il y a une urgence et nous l’avons déjà vécu. ceci en 2017, avec le cyclone sur Saint-Martin. Les services de l’État savent donc gérer ce genre de crise. Là-bas, il y a trois fois plus d’habitants qu’à Saint-Martin, mais ils ont déjà su gérer ça. La deuxième chose, évidemment, c’est la compassion, le respect, la journée de deuil national pour un territoire français ainsi détruit, ça me semble effectivement une bonne idée.
Mais ensuite, je fais trois remarques. La première est que si nous voulons que tout le monde puisse travailler, il faut donner des papiers à tout le monde, car nous estimons qu’il y a environ 100 000 personnes sans papiers. Nous avons besoin que tout le monde soit sur le pont, et les gens ne doivent pas se cacher, de peur d’être expulsés. Nous devons mobiliser les survivants.
La deuxième chose est de penser local. Il faut dire aux architectes locaux de diriger la reconstruction, ce ne sont pas des gens venus de loin, des Parisiens, de grands fonctionnaires. Il y a des architectes là-bas et ils connaissent les matériaux, le vent, le terrain, etc., qui savent, car un des gros problèmes c’est qu’on construit sur des terrains pourris, sur des pentes et dans des endroits beaucoup plus dangereux.
Et puis la troisième remarque que je ferai, je trouve désolant qu’un des grands hommes politiques français dise : «“C’est un problème d’immigration.” l’autre dit : «Nous devons faire payer les riches.. N’y a-t-il pas un peu de modestie pour éviter que les débats parisiens, qui n’intéressent déjà plus beaucoup les Français, ne soient relancés dans une période aussi tragique ?
1 habitant sur 3 vit dans un logement précaire à Mayotte, 4 logements sur 10 sont en tôle, 3 sur 10 n’ont pas d’eau courante. Ce sont les chiffres de l’Insee. Comment en est-on arrivé là sur le territoire français ?
Je pense que la France n’a plus de réflexion sur la manière d’apporter des projets de développement à ces territoires, à chaque fois différemment. Ce sont les locaux qui doivent porter ce projet. Ils sont les seuls à pouvoir s’adapter à ce territoire. Ensuite, à Mayotte, il y a les problèmes des Comoriens qui se posent justement parce que nous sommes pour ainsi dire moins pauvres à Mayotte qu’aux Comores.
Il va falloir commencer à penser ces territoires parce qu’on les pense en disant : la France est la deuxième puissance maritime du monde. La France contrôle le canal du Mozambique grâce à Mayotte. Tout cela n’est que géostratégie. La question est de savoir quand va-t-on vraiment se dire : quel avenir donne-t-on à ces territoires ? Je pense qu’il y a un vrai déficit de pensée, j’allais dire de l’État, globalement dans ces territoires.
Les habitants de Mayotte se sentent abandonnés par la métropole en cette période de crise. Le président de la République s’est rendu sur place cette semaine et a décrété un jour de deuil national le lundi 23 décembre. Cela reste-t-il une reconnaissance de la gravité de l’événement de la part de Paris ?
Il est clair que les gens sont désespérés, malheureux, assoiffés. Ils ont tous perdu des êtres chers, ils ne savent pas qui est mort, qui n’est pas mort. Il y a un désarroi terrible et que le président de la République se fasse insulter par les gens, c’est évident, c’est logique. Il y a un désespoir terrible. Après, il faut y aller, c’est le rôle des élus : affronter efficacement cette souffrance, proposer un certain nombre de choses et dire comment, petit à petit, on va reconstruire la confiance.
C’est pour ça que j’ai commencé par dire la première confiance, c’est de donner des papiers à tout le monde pour que ce ne soit plus ça le problème, et que chacun se mette dans le combat pour construire et reconstruire. D’abord on répare, on finance, cela va coûter des milliards, on aide les gens à vivre, et ensuite on commence à réfléchir à ces territoires, et à leur donner la main de leur destin.
Mais cela n’enlèvera rien. Nous sommes entrés dans l’ère des catastrophes climatiques, cela se reproduira là ou ailleurs. C’est pourquoi nous devons produire moins de CO2, et c’est pourquoi nous devons nous protéger sur tous les territoires du monde. Mais en ce qui nous concerne d’abord, évidemment, sur les territoires français.
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