Fidèle à ses habitudes, l’Opéra national de Lorraine propose une œuvre tout public pour les fêtes de fin d’année. Après un Don Pasquale incroyable l’année dernière, voici le tour de Cendrillonce qui n’avait pas été vu dans la ville depuis la production de 2008. Le thème général de la Saison 2024/2025 étant placé sous le signe de la transgression, c’est une mise en scène très éloignée de la vision des studios Disney et du conte de fée traditionnel à laquelle on a ici droit, pour une Cendrillon plutôt punk et fou.
Déjà invité à Nancy pour une production de Palais enchanté par Rossi qui a laissé sa marque (donné également à Dijon), Fabrice Murgia a profité de la mécanique bien huilée et rythmée de Rossini pour faire ressortir la cruauté des situations et des personnages, notamment pour Cendrillon, inspiré de l’univers gothique au cinéma, entre Carrie au Bal du Diable ou l’une des héroïnes de Beetlejuice. L’univers visuel qui en résulte est à la fois trash et stylisé, entre Tim Burton et le presque gore Tarantino qui rend hommage à la série Z. Fidèle à sa pratique – qui est devenue, pour ainsi dire, sa marque de fabrique – l’acteur, metteur en scène et metteur en scène belge accorde une large place à la vidéo live dans le spectacle. Deux caméramans suivent ainsi de très près les protagonistes, les images (très belles en fait) étant projetées sur une sphère évoquant une pleine lune digne des films de zombies les plus esthétiques. Les fans se souviendront des citations visuelles tout au long de l’opéra. Hélas, l’abondance de références dont on ne comprend pas forcément le lien avec notre histoire a tendance à encombrer l’esprit. Dommage, il y avait de quoi faire. Par ailleurs, le léger décalage entre l’image filmée et sa projection tend à déformer et à ralentir le rythme de la mécanique, pourtant si bien articulée, de l’œuvre de Rossini. De quoi potentiellement frustrer le spectateur qui ne sait plus où donner sa cervelle. Cela dit, si l’on s’en tient à l’aspect purement visuel, ce bric-à-brac entre Little Shop of Horrors et Frankenstein Junior a de quoi enthousiasmer les amateurs de cinéma d’horreur, de toutes époques. Tout a été pensé pour ne pas dégoûter les âmes sensibles (la tronçonneuse n’est que menaçante et l’utilisation de l’hémoglobine ne fera guère peur, le sang se matérialisant essentiellement en perles colorées). A noter que lors de la deuxième partie, nous nous sommes complètement habitués au macabre doucement domestiqué de notre petite famille Addams reconstituée et que nous prenons vraiment plaisir à observer nos marginaux au travail, dont la psychologie un peu sommaire correspond grosso modo à celle d’adolescents insoumis qui sont finalement très sympathique (on comprend aussi pourquoi les sœurs ne supportent plus d’entendre la scie qu’est « Una volta c’era un re » dans la bouche d’Angelina…).
Côté distribution, on se réjouit des qualités vocales de ce septet à qui on demande la pyrotechnie la plus acrobatique et qui y parvient avec maestria. Les voix s’harmonisent agréablement les unes avec les autres, ce qui provoque un plaisir jubilatoire d’entendre les prouesses de groupe attendues parfaitement et harmonieusement réalisées. Le mezzo écossais Beth Taylor impressionne en tant que punkette Angelina qui ne se laisse pas tromper, soutenue par des coloratures ébouriffées et une autorité naturelle évidente qui la distingue de la foule. Elle est à l’aise dans tous les registres et s’impose dans un rôle exigeant qui lui va définitivement comme un gant. Le ténor italien Dave Monaco n’est pas en reste. Un timbre suave et chaleureux à la Juan Diego Flórez, une diction impeccable et une apparente aisance en font un Don Ramiro idéal. Les deux sœurs sont au diapason, les voix à l’unisson dans tout le registre qui leur est imposé : le mezzo Alix Le Saux et la soprano Héloïse Chicken sont deux gens terribles, stupides et méchants du plus bel effet, impeccables, voire souverains. Sam Carl est un Alidoro qui ne manque ni de coffre ni de caractère, tout comme Alessio Arduiniétonnant Dandini, tous deux dotés d’un sens efficace visage comique. Un peu plus renfermé, mais cohérent avec son rôle de père peu glorieux, Gyula Nagy cependant, il a réussi à bien faire, surtout dans les ensembles.
Les refrains, que ce soit du fait de leur composition de zombies ou de victimes d’Hannibal Lecter, cerveaux exposés, semblent un peu en difficulté dans le premier acte, mais on les retrouve, à l’aise et en forme comme à leur habitude, pour un numéro délectable de monstres en roue libre. L’orchestre duOpéra National de Lorraine est à son meilleur, remarquablement guidé par le chef invité belgo-américain Giulio Cilona. Une fois de plus, l’Opéra national de Lorraine nous gâte pour les vacances.
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