La Croix : Plusieurs entreprises américaines ont récemment annoncé qu’elles abandonnaient leurs politiques de diversité et d’inclusion. La situation est-elle comparable dans les entreprises françaises ?
Élodie Baussand: La France est dans une situation paradoxale : certains s’alarment d’un réveil des entreprises françaises mais concrètement, il est difficile d’en trouver des preuves tangibles. Ce sont toujours les mêmes – et rares – cas qui sont cités comme L’Oréal, qui a supprimé les mots « blanc » et “blanchiment” de certains produits cosmétiques, ou encore Lego qui a supprimé, au niveau mondial, la publicité pour ses jouets à l’effigie des forces de l’ordre. Et ces exemples se limitent à 2020, après la mort du Noir américain George Floyd aux Etats-Unis. Nous ne pouvons pas laisser les choses tranquilles et nous devons faire attention à ne pas importer dans nos entreprises un débat qui a lieu aux États-Unis. La France n’a ni la même histoire ni les mêmes enjeux sociaux et sociétaux.
Il n’y a donc pas de progression du wokisme dans les entreprises en France ?
EB : Une chose est sûre : ce n’est pas du wokisme de dire qu’il faut rendre les entreprises plus inclusives, qu’il faut veiller à réduire les inégalités et faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes… En France, les politiques de diversité et d’inclusion poursuivent ce type d’objectifs de manière très de manière pragmatique et cela a changé les choses : sans quota, il n’y aurait pas eu plus de femmes dans les structures de direction des entreprises, sans index d’égalité professionnelle (femmes-hommes), les employeurs ne seraient pas vigilants sur cette question.
Cela dit, la thématique du genre a bel et bien été bousculée par l’onde de choc de #MeToo. Congé menstruel, revendication d’un congé maternité et paternité égal, questions liées à la charge mentale des femmes… Toutes ces dispositions, qu’il est positif de remettre en cause, sont aujourd’hui en fait à la porte des entreprises, voire y sont entrées. De telles mesures n’ont rien à voir avec le wokisme. Il n’y a pas d’entreprises réveillées en France.
Pourquoi ce sentiment gagne-t-il du terrain ?
EB : Le problème, c’est que la société a tendance à attendre des entreprises qu’elles se positionnent sur presque tous les sujets, ce qui se traduit par une communication plus ou moins bien faite. Je pense à cette récente vidéo publicitaire d’un grand groupe français qui mettait en avant un salarié handicapé, un salarié en surpoids, une personne transgenre…
Ce film avait sans doute une intention sincère – faire preuve d’ouverture d’esprit – mais il était plutôt maladroit. Lorsque la communication ou le marketing s’implique dans ces sujets qui relèvent des politiques RH, cela peut faire naître le sentiment d’une forme de wokisme. De plus, vous devez également savoir où vous cherchez. Les entreprises qui peuvent suggérer son développement en France sont souvent de grande taille et internationalisées. La question ne se pose pas du tout de la même manière dans les petites organisations.
Quel est l’enjeu ?
EB : La véritable voie derrière tout cela est de s’attaquer aux « causes profondes » qui freinent la diversité et l’inclusion. Dans l’entreprise que j’ai cofondée, nous recrutons par exemple des jeunes diplômés extérieurs aux grandes écoles, aux parcours pas toujours linéaires, favorisant ainsi l’ouverture sociale dans notre métier de conseil. Cela représente un coût financier et humain que nous considérons comme un investissement pour notre entreprise et le pays.
Plus largement, tous les baromètres montrent que les premières préoccupations des salariés sont centrées sur la place accordée au travail dans la vie, la valorisation salariale et la qualité de vie au travail. Ce sont des projets à aborder. Cela permettrait, plutôt que de chercher à répondre à d’éventuelles demandes ponctuelles, de confier à l’entreprise un projet centré sur le vivre ensemble et d’y rallier les salariés.
(1) L’entreprise « réveillée » introuvablepar Élodie Baussand et Denis Maillard, décembre 2024.
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