Entre espoirs déçus et ambitions contrariées, les énergies renouvelables au Maroc peinent à retenir les jeunes talents. Le Dr Saïd Guemra, expert en gestion de l’énergie, fait le point : les compétences de haut niveau se retrouvent sans débouchés, alors que l’Europe et les autres marchés étrangers attirent à bras ouverts ces profils formés à la transition énergétique.
Depuis plus d’une décennie, le Maroc affiche de grandes ambitions en matière de transition énergétique, devenant un acteur reconnu internationalement grâce à des projets emblématiques comme Noor Ouarzazate. Ce dynamisme s’est accompagné d’une transformation du paysage académique avec l’émergence de formations spécialisées et de profils hautement qualifiés dans les domaines des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Mais ce succès apparent cache une réalité plus inquiétante : un marché local encore sous-développé, incapable d’absorber ces talents.
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Le contraste est saisissant : alors que l’Europe et d’autres régions connaissent une croissance rapide du marché des énergies renouvelables, offrant de nombreuses opportunités professionnelles, le Maroc connaît une fuite accrue des cerveaux. Nous sommes dans un contexte où, chaque année, de nombreux jeunes diplômés cherchent des opportunités à l’étranger, alimentant ainsi une fuite de compétences qui affaiblit encore davantage le potentiel de développement du secteur énergétique national.
Dans cette interview, le Dr Saïd Guemra, expert en gestion de l’énergie, analyse les défis structurels qui entravent la création d’un marché durable des énergies renouvelables au Maroc. Il met en lumière les raisons de cet exode de talents et propose des solutions concrètes pour dynamiser le secteur : réformes réglementaires, soutien aux projets locaux et promotion des compétences nationales. Un appel à une action urgente pour que la transition énergétique marocaine devienne non seulement un levier stratégique, mais aussi une source durable d’emplois et de développement économique.
Défi – Pouvez-vous faire le point sur les compétences dans le secteur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique ?
Saïd Guemra : Avant de parler d’un état des lieux des compétences dans le secteur de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables, il faut remonter à 2009 et au-delà, pour comprendre le marché de la transition énergétique et son évolution à ce jour. Le plan de transition énergétique lancé par Sa Majesté le Roi avait révolutionné la formation universitaire, à travers l’introduction de nouvelles formations dans le domaine de l’économie verte. Plusieurs laboratoires se sont équipés en énergies renouvelables, et un grand nombre de formations très sérieuses et de qualité ont pu voir le jour. Résultat du parcours : Le Maroc a pu disposer de profils très bien formés en techniques d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables. Mais face à ces promotions, il y avait un petit marché, notamment dans le domaine des énergies renouvelables, et pratiquement aucun pour l’efficacité énergétique.
Ce marché a pu absorber quelques gagnants dans de petites entreprises d’installations solaires, mais les autres n’ont pas pu trouver d’emploi dans leur spécialité, ce qui a obligé la majorité à se reconvertir dans d’autres domaines comme la maintenance ou la qualité, pour ceux qui ont eu la chance d’en trouver. un emploi dans l’industrie. Les autres sont malheureusement au chômage. Il faut dire que nous avons le plus grand mal à trouver des stages à ces jeunes dans ce domaine, que dire quand il faut leur trouver un emploi. Ce que l’on observe ces dernières années, c’est la volonté de ces jeunes de quitter le Maroc pour des pays où la transition énergétique fonctionne mieux.
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Qu’est-ce qui motive ces départs à l’étranger ?
L’Europe s’est fixé l’objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030. Cet objectif, couplé à des objectifs nationaux par pays, a donné naissance à un formidable marché en matière de réduction de la consommation. en utilisant l’efficacité énergétique et l’introduction des énergies renouvelables. De nouveaux métiers se sont développés : le métier de responsable énergie en entreprise, qui a permis le recrutement de milliers de diplômés ; les sociétés de services énergétiques et les investisseurs tiers ; des sociétés de gestion d’énergie à distance utilisant les techniques de l’Énergie 4.0 ; des startups qui développent de nouveaux produits d’efficacité énergétique basés sur des travaux de R&D.
Dans le domaine des énergies renouvelables, il existe deux catégories d’activités : les énergies renouvelables pour les grands projets comme l’éolien terrestre, l’éolien offshore, les grands projets photovoltaïques et bien d’autres grandes activités innovantes. La deuxième catégorie concerne les projets de petite puissance, domestiques et industriels. Les installations dans le domaine des petites énergies renouvelables se comptent par millions : en Allemagne, plus de 3 millions ; en Australie, 4 millions. Il faut dire que c’est le petit marché des renouvelables qui crée le plus d’emplois. Les grands projets créent des emplois pendant la construction, mais les opportunités d’emploi permanent restent très limitées. Ces développements majeurs à l’étranger attirent évidemment nos gagnants, qui ne trouvent pas d’opportunités d’emploi au Maroc. On assiste à des départs pour la France, l’Espagne, le Canada et bien d’autres pays comme l’Allemagne qui fait des annonces pour trouver des candidats pour accompagner sa transition énergétique.
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Quelles causes endogènes expliquent cette situation ?
Tout simplement parce que le marché n’a pas pu se créer. Pour l’efficacité énergétique, nous disposons de 20 à 25 sociétés d’audit énergétique, dont le rôle reste limité au conseil. De ce fait, les progrès réels en termes de réduction des factures énergétiques sont pratiquement inexistants. Même si le Maroc a pour objectif de réduire sa consommation d’énergie de 20 % d’ici 2030, il n’existe à ce jour aucun résultat convaincant permettant de démontrer ne serait-ce que 1 % de cette économie. Pour les énergies renouvelables, le Maroc a choisi de développer très timidement certains grands projets, avec une moyenne de 200 MW par an entre 2010 et 2015. Selon le dernier rapport du Conseil de la concurrence, 98 projets dans le cadre de la loi 13/09 ont été refusés. et aurait conduit le Maroc à plus que doubler les énergies renouvelables actuelles, créant évidemment des emplois et fournissant une énergie verte au pays ce qui aurait permis de réduire sa dépendance énergétique. Pour les petits projets basse et moyenne tension, les ménages et les industries, qui créent le plus d’emplois, il faut savoir que nous vivons dans une situation de non-réglementation. Les lois ne disposent pas de décrets d’application, les tarifs de transport d’électricité moyenne tension sont inexistants. Il convient également de noter que même si ces lois s’appliquaient, le marché ne naîtrait pas, dans la mesure où elles limiteraient le marché à très peu de réalisations : limitation de l’injection de 20% du productible de la future loi 82/21, alors que c’est 100% de la production dans la majorité des pays ; limitation de la moyenne tension par enveloppes en GWh/an ; exclusion des projets renouvelables moyenne tension de moins de 5 MW.
4- Que faire pour retenir ces talents ?
Pour retenir ces talents, il faut créer un marché, et ce marché ne peut être créé qu’en impulsant la transition énergétique. C’est vraiment triste de constater qu’aucun de nos bâtiments R+2 n’est équipé en énergie renouvelable, et que sur 120 industries dans une zone industrielle, seules deux entreprises sont équipées en énergie renouvelable. Cela ne peut se faire qu’en trouvant le bon équilibre entre distributeurs et consommateurs, fonction qui, je l’espère, pourra être gérée par l’Agence de régulation des nouvelles énergies (ANRE).
Promouvoir le droit des Marocains, des citoyens et des entreprises, à produire des énergies renouvelables pour leurs propres usages est une notion qui ne pourra pas être appliquée avec les futures lois. De nouvelles réglementations sont nécessaires, notamment pour la basse et moyenne tension. Il faut innover en matière d’efficacité énergétique, en créant de nouvelles sociétés de suivi énergétique dans l’industrie, en encourageant la fonction de gestionnaire énergétique et en finançant les énergies renouvelables pour les ménages. De très nombreuses mesures doivent être prises pour accélérer la transition énergétique marocaine. Le coût des panneaux photovoltaïques a fortement baissé et il n’y a pas besoin de subventions, comme en Tunisie, mais juste d’un cadre réglementaire qui puisse permettre aux Marocains de bénéficier des énergies renouvelables comme le reste des pays du monde. Dans ces conditions, nous pouvons assister à la naissance d’un marché capable de retenir nos jeunes au Maroc.
Dr Saïd Guemra est un consultant expert dans le domaine de la gestion énergétique 4.0. Il est titulaire d’un doctorat en électronique de l’Université Clermont II. Il débute sa carrière au sein de la société Alstom, constructeur du TGV, et rejoint la société américaine RCG Hagler & Bailly, spécialisée dans le domaine de la gestion de l’énergie dans le cadre du premier programme d’efficacité énergétique au Maroc. Il est également professeur à l’Université MV. En 2003, il dépose un brevet relatif aux compteurs intelligents et crée la société GemTech afin de développer l’activité de gestion de l’énergie 4.0, qui détient à ce jour le record de réduction des factures de 52 %. l’électricité d’une unité industrielle à Casablanca. Le Dr Saïd Guemra a mené plusieurs programmes majeurs d’efficacité énergétique avec l’USAID, l’Union européenne, la Banque mondiale et la BERD. Il est également conseiller en énergie auprès de l’Association de la Zone Industrielle de Tanger, de l’ONDA et de Tanger Med.
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