Un ampli sous un parasol, posé sur un banc de La Plaine, la plus grande place du centre-ville de Marseille. Le ciel gris a un peu dégagé l’esplanade, mais le petit marché de producteurs voisin attire toujours du monde en fin de journée. Des curieux, poireaux sortant du sac, ont repéré les mégaphones qu’une petite troupe s’affaire à brancher. Et pour ceux qui n’ont rien vu, Marien Guillé fait le reste : “Approchez-vous, approchez-vous, c’est l’épreuve !” crie l’acteur, casquette baissée jusqu’aux oreilles. Derrière lui, un duo partage des feuilles de texte noircies, au son de l’harmonica tiré par une tierce. “Non procès de la rue d’Aubagneépisode cinq, c’est maintenant ! annonce enfin Marien.
Depuis l’ouverture du procès le 7 novembre 2024, une vingtaine d’entre eux se relaient trois fois par semaine dans plusieurs lieux publics de Marseille pour « crier » le résumé des audiences. L’initiative est née au sein du Collectif du 5 novembre, formé au lendemain de la catastrophe qui a fait huit morts ce jour-là en 2018 et généré une vague d’évacuations dans la ville. C’est Laurent, l’un des bénévoles historiques du collectif, qui a eu l’idée de réunir Guillaume Derieux et Marien Guillé, tous deux comédiens-crieurs et habitants du quartier Noailles, pour faire exister le procès qui s’achève cette semaine à au-delà des murs du tribunal. Autour d’eux, ils forment une équipe d’une vingtaine de « crieurs » pour déclamer, un par semaine, des résumés rédigés à partir d’articles de presse et de verbatim recueillis à l’audience.
«Faites appel aux avocats»
Chaque épisode d’un quart d’heure est structuré autour du mode “amener” le thème de la semaine : « Apportez les fissures » lorsque le tribunal s’intéresse à l’expertise technique, “faire intervenir l’administration” quand c’est de la gestion municipale qu’il est question… Pour l’épisode cinq crié ce jour-là – « faites venir les avocats » –les porteurs du mégaphone récitent d’abord la liste des réquisitions reçues la veille. S’ensuit un récit qui tisse savamment les faits soulevés au cours de la semaine de débats, ponctué de bribes de dialogues rejouées à la tribune ou de phrases chocs scandées en boucle, comme celle-ci. « zéro euro dépensé » dans le bâtiment sur les 180 000 euros de travaux coûtés par un bureau d’études avant les effondrements. Le tout colle assez fidèlement à la réalité des débats, avec un souci de vulgarisation des aspects juridiques. La lecture de messages de soutien aux familles des victimes conclut la séquence, applaudie par les passants.
“Il y a beaucoup de réactions, des gens qui n’ont pas le - de s’informer, et c’est le but, Marien points. Par exemple, la majorité des gens ne savent pas que cela se produit actuellement. Entendre quelqu’un crier dans un mégaphone a parfois plus d’impact que lire quelque chose au milieu d’autres informations. Très souvent aussi, à la fin de l’intervention, des personnes sortent de la salle pour venir parler de leur propre situation de mal-logement. Les crieurs les orientent vers d’autres bénévoles du collectif ou les invitent à participer à l’une des nombreuses rencontres programmées.
Grande marche citoyenne avant le procès, collecte de messages de soutien aux familles des victimes, affichage massif jusqu’aux portes du tribunal pour « recréer l’omniprésence de la problématique du mal-logement dans la ville », chroniques publiées dans les médias – la dernière, publiée le Mediapart le 11 décembre et signé par plusieurs collectifs et associations, réclame l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur l’habitat indigne –, « assemblées populaires » où un avocat des parties civiles et des journalistes répondent aux questions du public… Depuis un mois et demi, une vague d’initiatives accompagne le procès grâce à la mobilisation générale sonnée par le Collectif du 5 novembre.
Un - de visibilité qui complète le travail de fond mené sans relâche par plusieurs acteurs de terrain à Marseille. Jeudi 12 décembre, dans son réquisitoire, le procureur de la République, Nicolas Bessone, a tenu à les remercier “solennellement” pour leurs actes “complémentaire” de celles réalisées par ses services. “Le procès remet l’accent sur l’habitat indigne et sa dimension systémique, cette chaîne de responsabilités qui est au cœur des débats, note Kevin Vacher, sociologue et membre du collectif. C’est un angle qui nous permet de faire de la pédagogie, de montrer comment fonctionne l’habitat indigne. Cela nous permet aussi de tirer des conclusions, de savoir ce que nous ferons demain sur ce sujet. Ce n’est pas aux juges de donner une dimension politique à ce procès, c’est nous, habitants, qui la donnons. D’où l’importance de se mobiliser.
Ruban collectif vert sur la boutonnière
Matthieu a rejoint le Collectif pour le procès, « premier à répondre aux questions techniques ». L’assistant-réalisateur professionnel rejoint enfin l’équipe des 70 « clercs populaires » qui, chaque jour, se relaient dans la salle d’audience pour retranscrire les débats. Des groupes de cinq personnes, ruban collectif vert à la boutonnière, reproduisent mot pour mot, dans un document partagé numériquement, les verbatim du procès. Chacun peut également ajouter des commentaires plus personnels. Avant ce procès, qu’il suit sur place «presque tous les deux jours», Matthieu était novice en matière juridique : « J’ai particulièrement appris l’importance symbolique de parler au nom des personnes qui ont vécu cette tragédie. »
Ce mercredi, pour le dernier jour du procès, le Collectif du 5 novembre appelle une dernière fois les Marseillais à venir en masse assister aux audiences, pour soutenir les parties civiles. Le lendemain, les crieurs feront tourner une dernière fois tous les épisodes écrits pour le procès sur la place du 5-Novembre, tout près du vide laissé par les immeubles effondrés. Ils crieront tout près du transformateur électrique où des dizaines de messages sont collés depuis un mois aux familles endeuillées par le sinistre. Sur chacune d’elles, Liliana Lalonde, la mère de Julien, l’une des huit victimes, a ajouté un «merci» au stylo.
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