Depuis la nuit des -, l’Ardèche cache des joyaux dans ses méandres. Le Pont d’Arc, arche de pierre de 54 mètres de haut, creusée par la rivière, attire chaque année des milliers de touristes, notamment des amateurs de canoë.
C’est tout près de là qu’un dimanche 18 décembre 1994, trois spéléologues, pendant leur - libre, décidèrent d’explorer un trou dans la montagne. Ils ne savaient pas qu’ils allaient découvrir un trésor qui révolutionnerait toutes les connaissances sur l’art rupestre.
Jean-Marie Chauvet (gardien des grottes ornées d’Ardèche), Éliette Brunel (vigneronne à Saint-Remèze) et Christian Hillaire (agent EDF à Pierrelatte), les trois inventeurs [c’est le terme exact] de la grotte Chauvet, sont des passionnés de spéléologie. Ils s’intéressent à ce domaine depuis plusieurs mois.
Les trois amis ont déjà repéré d’intéressantes traces préhistoriques dans des petites cavités, des gravures, des dessins, et pensent qu’il y a peut-être encore mieux ailleurs. Ils décident d’explorer les falaises du Cirque d’Estre, situées à environ 3 kilomètres à vol d’oiseau du Pont d’Arc. Ils y accèdent par une corniche, sorte de cicatrice creusée dans la roche qui existait déjà à l’époque préhistorique.
Après trois quarts d’heure de montée, ils repèrent ce qu’on appelle un évent. Un passage étroit, bloqué par un éboulis, mais qui laisse passer un courant d’air, signe qu’il pourrait y avoir un passage à l’arrière. L’accès est difficile, mais Jean-Marie Chauvet insiste pour continuer et tenter de dégager l’entrée.
La plus petite, Éliette, se glisse la première, pratiquement à plat ventre, dans le conduit. Ses deux complices, restés sur place, ont dégagé les pierres et débris qu’elle a évacués. Ils rampent sur plusieurs mètres dans le petit tube. Après plus de 3 heures de progression laborieuse, Éliette, équipée d’une lampe frontale, voit un grand vide s’ouvrir sous ses pieds. Elle voit le sol, une dizaine de mètres plus bas.
Enthousiasmés par cette découverte, les trois amis retournent chercher une échelle de spéléologie dans leur véhicule et descendent prudemment dans la cavité. Ils découvrent alors, la faible lueur de leurs lampes, une grotte digne de celle d’Ali Baba. Des concrétions blanches, oranges, roses, recouvertes de cristaux de calcite, scintillent dans l’ombre, comme des diamants, lorsque la lumière des lampes les effleure. Un palais souterrain, parfaitement conservé grâce à l’effondrement d’une partie de la falaise, ils le comprendront bien plus tard.
Éliette murmure : “Ils sont venus”. Sur un mur, elle vient d’apercevoir des lignes rouges et comprend que des humains ont fréquenté ce lieu. À quelle heure? Impossible de le deviner à ce stade. Comment le trio aurait-il pu imaginer qu’ils venaient de découvrir la plus ancienne grotte ornée de l’humanité, décorée par des hommes et des femmes du Paléolithique ? Le trio avance et entre dans la grotte des merveilles. Sur les murs, des mains humaines barbouillées d’ocre semblent les accueillir.
Grâce à l’effondrement d’une partie de la falaise calcaire qui fermait le grand porche d’entrée utilisé par les hommes et les animaux préhistoriques, Chauvet resta caché pendant 21 500 ans. Elle n’a jamais été ouverte au public, contrairement à la grotte de Lascaux, en Dordogne. Seuls quelques privilégiés ont la chance d’y pénétrer chaque année, notamment pour l’étudier lorsque le taux de dioxyde de carbone n’est pas trop élevé.
Jean Clottes sera le premier préhistorien, spécialiste de l’art rupestre, à évaluer la grotte Chauvet. Des études scientifiques entreprises à partir de 1998 par une équipe interdisciplinaire ont permis de le dater plus précisément : les dessins les plus anciens remontent à -38 000 ans, soit presque deux fois plus longtemps que les peintures rupestres retrouvées dans la grotte de Lascaux qui remontent à – 20 000 ans. Nous étions alors à l’ère glaciaire. La cavité s’étend dans la falaise sur environ 200 mètres de long. Sa superficie totale est d’environ 8 500 m2, soit l’équivalent de trois terrains de football. Certaines salles sont très grandes (18 mètres de hauteur pour la salle Hillaire, 40 mètres de largeur sur 50 mètres de longueur et plus de 10 mètres de hauteur sous plafond pour la salle des Bauges), tandis qu’à d’autres endroits, il est impossible de se tenir debout.
Sur les murs de Chauvet courent plus de 400 espèces d’animaux dont certains, comme la panthère et la chouette, sont uniques dans l’histoire de l’art rupestre. Durant le Paléolithique récent (période de -40 000 à -12 000 ans), la cavité était fréquentée par de nombreux animaux, mais l’ours des cavernes en était le principal occupant.
Cette espèce aujourd’hui disparue était d’une taille impressionnante : jusqu’à trois mètres de haut pour des mâles qui pesaient entre 400 et 500 kg. Ils sont venus dormir dans la grotte. Nous avons identifié près de 300 vautres, sorte de nid d’ours, de 80 cm à 1,5 mètres de diamètre depuis les premières salles et jusqu’au fond de la caverne.
Les parois portent de multiples traces de rayures et de frottements prouvant qu’elles ont occupé les lieux très tôt, il y a entre -42 000 et -35 000 ans. Les experts pensent que c’était une façon pour l’animal de déposer une odeur afin de faciliter ses déplacements dans l’obscurité. Les empreintes d’oursons montrent également que la grotte était une pouponnière où les ours venaient mettre bas.
Selon Carole Fritz, directrice de l’équipe de recherche scientifique, 4 000 ossements d’ours ont été mis au jour en trente ans, ce qui représente environ 190 individus. L’une des salles les plus impressionnantes de la grotte a été nommée la Salle du Crâne. On y voit un crâne d’ours posé ostensiblement sur un rocher. Les chercheurs tentent de comprendre ce geste et sa signification, explique Carole Fritz. “On pense que ce sont des mythes qui structurent les relations entre les humains.», dit-elle.
Il y a trente ans, les trois inventeurs de la grotte Chauvet n’ont pas seulement découvert une cavité très ancienne et parfaitement conservée. Ils ont révolutionné la connaissance de l’art rupestre en mettant au jour une « chapelle Sixtine préhistorique ». Tous ceux qui ont la chance de l’admirer « en vrai » disent que l’expression n’est pas usurpée et confient leur émotion.
Dans la première partie de la grotte, on trouve plusieurs dessins réalisés avec des empreintes de palmiers. Puis viennent une hyène, une panthère, une tête d’ours. Quand arrive la fresque des chevaux qui s’étend sur environ 7 mètres de large, on se rend compte à quel point Les hommes et les femmes qui ont peint ce trésor étaient des artistes inspirés. Ils ont pris soin d’utiliser les reliefs des murs pour donner du volume et du dynamisme à leurs compositions. A l’aide de charbon de bois (les scientifiques ont retrouvé des restes de feux de bois au pied de certains murs), à la lueur de leurs torches, ils ont recréé un grand troupeau. On jurerait entendre la cavalcade.
Ces femmes et ces hommes, Un homme sage comme nous, maîtrisaient déjà des techniques complexes comme le dessouchage, le pochoir ou encore la perspective. Ils utilisaient des pigments naturels comme le charbon de bois, l’ocre rouge et le manganèse. La dernière salle, tout au fond de la grotte Chauvet, abrite sans doute leur chef-d’œuvre : le panneau du lion. Les quelques photos de cette fresque monumentale diffusées par les médias au lendemain de la découverte feront le tour du monde.
C’est Jacques Toubon, alors ministre de la Culture, qui révéla l’extraordinaire nouvelle lors d’une conférence de presse le 18 janvier 1995. Dans les années qui suivirent, plusieurs procédures judiciaires complexes, parfois rocambolesques, vont avoir lieu entre les trois inventeurs de la grotte, l’État, les familles propriétaires des terrains entourant la grotte, les agences de photographie qui ont vendu les images, etc.
En 2014, vingt ans après sa découverte, le site est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Un an plus tard, le 10 avril 2015, le président François Hollande inaugure sa réplique, la plus grande reproduction de grotte ornée au monde, sur les hauteurs de Vallon-Pont-d’Arc. Le projet a duré près de quatre ans pour un budget de 55 millions d’euros, financé par l’Etat, le Département et la Région. Le but est d’ouvrir Chauvet à tous ceux qui n’entreront jamais dans la véritable grotte.
Ce fac-similé s’appellera d’abord « Caverne du Pont d’Arc » puis, après une énième bataille judiciaire, Chauvet 2 Ardèche. Il ne s’agit pas d’une copie parfaite, la grotte étant immense, mais d’une sélection de pièces sélectionnées de la grotte réelle, notamment ses plus beaux panneaux décorés réalisés notamment par les ateliers d’Alain Dalis en Dordogne et par le peintre préhistorique Gilles Tosello.
Pour fêter les trente ans de la découverte, mercredi 18 décembre, la grotte Chauvet 2 Ardèche prévoit « une journée portes ouvertes exceptionnelle gratuite ». Les visiteurs inscrits pourront visiter la réplique « en toute autonomie » à partir de 14h30 et surtout rencontrer, au centre de conférences, à 16 et 17 heures, deux des trois inventeurs de la grotte : Jean-Marie Chauvet et Éliette Brunel. (Christian Hillaire ne pouvant être présent).
Après la projection d’un film de 33 minutes intitulé La découverteils signeront des livres, signeront des autographes et raconteront, encore et encore, l’histoire de cette journée incroyable qui a changé à jamais le cours de leur vie.
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