Au cœur des Alpes, Frédéric Revol produit du beau et du bon : un whisky 100 % local qui surprend, à mille lieues des eaux-de-vie de céréales mondialisées.
Soudain, enfin, le brouillard se dissipe. La route qui mène au Trièves, depuis Grenoble, que l’on quitte plus au nord, apporte avec elle son lot de virages entrecroisés. Petit à petit, le microclimat de ce plateau entouré des massifs du Dévoluy et du Vercors s’exerce à la mi-novembre. Il y a quelques secondes, il était impossible de voir à plus de 5 mètres, et désormais ces montagnes sont affichées en ultra haute définition, ce qui nous a gentiment fait la courtoisie de recouvrir leurs sommets des premières neiges. Quelques détours plus loin, voici le domaine des Hautes Glaces, à 900 mètres d’altitude, autoproclamée première ferme-distillerie biologique au monde.
Frédéric Revol, ancien ingénieur agronome, y a élu domicile en 2009 pour son amour du whisky, auquel il souhaitait apporter « une vision holistique », dit-il. Il avait aussi une idée en tête ou plutôt une ambition : prouver que, comme pour le vin, il existe un terroir propre à l’eau-de-vie de céréales. Faire ressortir le goût d’un lieu à travers un esprit est un défi que beaucoup croient encore aujourd’hui impossible. « Je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un produit très industrialisé, dont le lien avec la matière première avait été abandonné. L’objectif était de proposer un whisky à la française avec cette notion de terroir », il se souvient.
Distiller le style bourguignon
Il est également intéressant de constater que les anglophones ne se sont pas aventurés à traduire le mot « terroir ». Intimement française, donc intraduisible, elle est au cœur de la démarche de Frédéric Revol, à savoir l’art de mettre en symbiose un climat et un sol avec le savoir-faire des humains qui les occupent. Ce quadragénaire au regard souvent interrogateur, qu’on imagine sans cesse se remettre en question, convoque ainsi le monde du vin, en distillant comme on fait du vin, plutôt bourguignon en fait. Il s’agit ainsi de parcelle, de millésime, mais aussi de puiser dans la diversité des céréales, car un vigneron aimerait composer ses vins avec différents cépages. La France, en buveuse invétérée de whisky qu’elle est depuis longtemps, maîtrise ses classiques et se passionne pour les single malts, élaborés à partir d’orge. Mais il a récemment succombé aux charmes du seigle, plus rustique, qui prospère dans ces régions montagneuses.
Hautes Glaces : Un whisky local
Dans le nord des États-Unis et au Canada, où la céréale a été introduite au XVIIIee siècle par les colons irlandais et écossais, on en fabrique des whiskies de seigle. Mais il y a bien longtemps que celles-ci n’étaient plus l’apanage des bûcherons aux longues barbes et aux chemises épaisses. Moët Hennessy l’a bien compris. La branche vins et spiritueux du géant du luxe LVMH s’associe – comble du glamour – à la chanteuse américaine Beyoncé pour lancer Sir Davis, destiné à occuper le domaine du seigle, mais aussi la très en vogue scène des cocktails. Certains des plus célèbres – comme les whiskies à l’ancienne – sont historiquement fabriqués à partir de whiskies de seigle. « Ils sont moins sucrés que ceux à base d’orge, plus sur les épices et la minéralité, avec un côté presque terreux. Ils sont également plus aérés. Très montagneux, finalement, » explique Frédéric Revol, qui nous raconte qu’aux Hautes Glaces, son « seigle » est 100 % à base de seigle, contrairement à la majorité de la production américaine, qui est autorisée à associer seigle et orge.
Ici, à la frontière du 45e parallèle, là où commence le Sud – ni en haute montagne ni en plaine –, où se dresse harmonieusement un prieuré du XVIIe sièclee siècle et des bâtiments plus modernes, sont distillées les graminées de dix-neuf producteurs réunis autour d’une même vision de l’agroécologie et de la polyculture. « Nous sommes dans une région qui n’est pas vraiment adaptée aux gros volumes. Qu’il s’agisse de mes pommes de terre ou de mes céréales, je veux en prendre soin, pour qu’elles aient bon goût. explique Thierry Ailloud-Perraud, l’un d’entre eux.
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Un rapport à la vie
Derrière les Hautes Glaces, il y a bien l’idée que « tout ce que nous buvons doit avoir un rapport avec sa matière première », selon Frédéric Revol. Et de citer l’exemple de l’Ecosse, qui, en important massivement l’orge nécessaire à sa production de scotch whisky, a imposé le récit selon lequel une eau-de-vie de qualité ne nécessite que la technique de distillation et le contenant de sa maturation. Dans le domaine des Hautes Glaces, le besoin d’exploiter des céréales alternatives s’est fait sentir dès le début du projet. Le seigle évidemment, mais pas seulement : épeautre, petit épeautre, avoine… Des chemins parallèles sont possibles, y compris dans l’élevage, qui se fait majoritairement en fûts bien sûr – whisky oblige -, même si cela n’empêche pas Frédéric d’expérimenter également d’autres types de vins. le raffinage – l’amphore, par exemple. Un clin d’œil au vin, encore, qui remettait au goût du jour ces vases ovoïdes en terre cuite.
Avant de partir, notre hôte souhaite que nous observions la chaîne de montagnes que l’on aperçoit depuis la cour de la distillerie. Cela nous rappelle quelque chose. Mais bien sûr : ce sont les écussons qui ont été modelés dans le fond des nouvelles bouteilles de la distillerie, sorties en septembre dernier. Radicalement différents des précédents, inspirés de l’univers des flacons de parfum, ils ne se démarqueront pas dans les plus belles caves à alcool. Y compris une fois l’élixir dégusté. Car, derrière ce whisky – qui n’est plus seulement une boisson alcoolisée, mais sans doute une substance vivante – se cache peut-être un message : « Il y a une intention de vivre une relation avec le vivant, explains Frédéric Revol. Cela nous rappelle également notre incroyable chance de pouvoir profiter du monde à travers un simple verre de whisky. C’est déjà une bonne chose ; en tout cas, j’en suis content. Je ne fais pas partie de ceux dont l’ambition est de voyager sur Mars.
Cet article est issu de F, l’art de vivre du Figaro
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