Depuis dimanche, certaines lignes TER au départ de la gare d’Amiens sont exploitées par une nouvelle filiale privée de la SNCF. Une évolution qui s’inscrit dans le cadre de l’ouverture du ferroviaire à la concurrence. Les cheminots de cette structure étaient en grève pour dénoncer une dégradation de leurs conditions de travail et les risques sécuritaires.
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Ce jeudi 17 décembre, seuls deux trains TER sur cinq circulaient au départ d’Amiens. Un mouvement de grève qui a débuté dimanche 15 décembre pour dénoncer la privatisation de « l’Étoile d’Amiens », un ensemble de lignes TER ouvertes à la concurrence et désormais exploitées par une filiale privée de la SNCF. Au détriment de la sécurité des voyageurs et des conditions de travail des cheminots, selon les syndicats de la SNCF.
En cause, les nouvelles fiches de poste qui contiennent des obligations supplémentaires, notamment pour les conducteurs de train qui doivent effectuer une manœuvre d’aiguillage. Même si la grève s’est terminée en fin d’après-midi, les revendications continuent, les négociations commencent et les syndicats n’excluent pas de reprendre le mouvement début 2025, si nécessaire.
Pour entrer et sortir de leur voie en gare d’Amiens, les conducteurs devraient descendre du train et manœuvrer l’aiguillage pour diriger leur train vers la voie sur laquelle il peut circuler. Pour l’instant, cette manœuvre est réalisée par des « détacheurs », agents spécialisés dans la conduite des trains aux heures où ils ne transportent pas de passagers.
“Nous ne sommes pas à l’abri d’un accident, d’une erreur de sécurité qui entraînerait un déraillement de train» craint Éric Espinouse, conducteur de train affecté à la nouvelle filiale privée. On ajoute une charge mentale supplémentaire aux pilotes, ce n’est pas possible. On a déjà la sécurité des voyageurs, de la circulation avec l’autorisation de déplacement. Ajouter de la charge aux aiguilles crée un risque supplémentaire pour la sécurité. Au vu des jours, des amplitudes de plus en plus longues, c’est impossible.“
Pour le conducteur de train, cette privatisation des lignes TER s’est accompagnée d’un changement d’horaire : il travaille le même nombre d’heures, mais sur des plages horaires plus larges. “Le quotidien est plus difficile à vivre, on passe plus de - au travail, moins en famille», déplore-t-il. La nouvelle direction avait initialement d’autres revendications que les syndicats ont réussi à écarter, notamment celle de demander aux conducteurs de faire le plein de diesel dans les trains.»Juste avec des gants et des lunettes, alors on aurait dû continuer la journée de travail comme ça, en sentant le carburant“, underlines Éric Espinouse.
Cette exigence a donc été abandonnée, Éric Espinouse espère qu’il en sera désormais de même avec le mouvement de l’aiguille. Il souligne que cette manœuvre est très physique et nécessite de descendre du train. Ce sont les employés qui l’assurent qui sont équipés et formés, pas les chauffeurs.
Lui et ses collègues ont donc mené une grève jusqu’au soir du 17 décembre, avec le soutien de plusieurs syndicats ferroviaires, dont la CGT. “Ce que nous demandons au groupe SNCF, c’est de garantir les droits des cheminots et de protéger ses salariés avec les mêmes garanties que ce que l’on connaît aujourd’hui.explique Angélina Darras, secrétaire générale de la CGT secteur fédéral des cheminots picards. Nous refusons de voir nos conditions de travail se dégrader. L’ouverture à la concurrence est une décision politique ; il doit cependant être utile aux usagers, mais pas au détriment des cheminots. On estime que l’ouverture à la concurrence n’est bonne pour personne.“
La nouvelle filiale de la SNCF promet cependant, grâce à cette privatisation, moins de retards et plus de trains. Si la fréquence de certaines lignes doit bel et bien être augmentée, pour les retards, Angélina Darras se montre sceptique. “Nous aimerions tous que les trains circulent à l’heure et qu’il n’y ait pas d’annulations, mais cela est dû à un manque de ressources, de personnel et d’investissements dans les infrastructures.», souligne le syndicaliste. Et selon elle, la privatisation ne changera rien à ce manque de moyens : «l’ouverture à la concurrence implique nécessairement des restrictions de coûts. Ces coûts pèsent sur les cheminots et leurs conditions de travail.“
La syndicaliste partage les craintes de son collègue chauffeur. “On accumule des tâches qui n’étaient pas les nôtres au départ, car nous avons des métiers très précis. Aujourd’hui, ces conditions dégradées pour tous mettent en danger la sécurité. Nous ne voulons effrayer personne, mais nous prévenons en affirmant que la sécurité des utilisateurs et des agents doit être la priorité.“, warns Angélina Darras.
Même pour un public averti, l’évolution est un peu compliquée à comprendre. Depuis décembre 2020, le transport de voyageurs sur le réseau ferré français est ouvert à la concurrence. Avant cela, c’était le cas pour le fret et les liaisons internationales. Cette nouveauté concerne les lignes longues distances, les lignes à grande vitesse, mais aussi les liaisons moyennes distances comme les TER.
C’est la région Hauts-de-France qui finance et organise l’offre TER, mais c’est la SNCF Voyageurs qui est chargée d’exploiter ces lignes. Les relations entre la région et la SNCF sont tumultueuses depuis plusieurs années. Dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, la région publie donc un appel d’offres pour l’exploitation de lignes TER, réparties en petites entités, comme ici « l’Etoile d’Amiens », un ensemble de lignes TER desservant la Picardie.
Cet appel d’offre a été remporté par «SNCF Voyageurs Étoile d’Amiens », filiale de la société SNCF Voyageurs. Une sorte de petite PME indépendante au sein du grand groupe SNCF, qui regroupe cinq sociétés, dont la maison mère SNCF Voyageurs, ainsi que Keolis et Geodis. Depuis 2020, la SNCF est une société anonyme qui rassemble ces différentes entités dans un mille-feuille quelque peu indigeste.
La crainte des syndicats est qu’en créant de petites filiales locales pour exploiter les réseaux TER, la SNCF parvienne à détruire les accords collectifs en vigueur dans le groupe. C’est ce que semble suggérer l’ajout de nouvelles tâches dans les fiches de poste des conducteurs de trains d’Amiens. La situation des salariés devrait se préciser dans les prochains mois, avec l’avancée des négociations syndicales.
Pour Angélina Darras et ses camarades grévistes, cette restructuration est une nouvelle attaque contre le service public qu’incarnait autrefois la SNCF. “C’est le cœur du débat : voulons-nous un service public pour tous ou voulons-nous des petites PME qui se multiplient sur tout le territoire, notamment dans les Hauts-de-France où nous aurons quatre entités distinctes ? Si le conseil régional a décidé de s’ouvrir si vite à la concurrence, c’est pour mettre à mal le statut des cheminots.», conclut le représentant CGT.
La SNCF Voyageurs Étoile d’Amiens n’a pas souhaité commenter ce mouvement de grève. Elle s’est terminée le 17 décembre au soir, lorsque devaient commencer les négociations entre la direction et les syndicats. S’ils n’y parviennent pas, les syndicats sont prêts à relancer le mouvement début 2025.
Avec Marie Sohier / FTV
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