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Jérôme | S’unir pour briser le tabou

Fin 2022, rien ne va plus en matière d’itinérance à Saint-Jérôme. Les besoins explosent au point que les ressources, incapables de répondre à la demande, finissent par se nuire mutuellement. La crise est telle qu’elle oblige chacun à sortir du moule. Histoire d’une petite révolution qui a produit de beaux résultats.

À l’automne 2022, la Ville de Saint-Jérôme a interdit la construction d’abris temporaires et l’installation de tentes, un règlement contesté par la Clinique juridique itinérante et qui est actuellement devant les tribunaux. Depuis, la Ville a modifié sa réglementation pour autoriser l’installation de tentes dans un espace précis, la nuit seulement.

Cela dit, l’approche adoptée dans la MRC de Rivière-du-Nord, et plus particulièrement à Saint-Jérôme, est citée en exemple.

«Sous l’administration précédente, il était impossible de prononcer le mot «itinérance», c’était tabou», explique Louis Rousseau, directeur des programmes de santé mentale, toxicomanie et services psychosociaux généraux pour adultes au CISSS des Laurentides. M. Rousseau était l’un des quatre conférenciers invités à prendre la parole dans le cadre des États généraux sur l’itinérance qui ont eu lieu à Québec à la fin novembre. Lui et ses collègues ont expliqué l’approche de cette ville des Laurentides pour faire face à la crise, une approche basée sur l’intersectionnalité.

En 2018, Saint-Jérôme comptait 168 personnes en situation d’itinérance. Quatre ans plus tard, ce nombre était passé à 434. Cependant, les groupes communautaires existants étaient dépassés par la situation.

Il y avait trois organisations et trois visions différentes. La chicane a été bloquée et les usagers exploités.

Louis Rousseau, from the CISSS des Laurentides

Squats, incendies, drogue, proxénétisme… Les habitants ne se sentent plus en sécurité et la Ville est sous pression. Avec plus de 200 interventions policières par mois, le statu quo n’était plus possible. «C’était l’anarchie», observe Sylvain Pagé, adjoint au directeur général – Stratégies à la Ville de Saint-Jérôme.

Des petites merveilles

En décembre 2021, le CISSS a communiqué avec La Hutte, un organisme communautaire basé à Terrebonne. «Nous avons fait appel à leur expertise pour soutenir les groupes communautaires existants», explique Louis Rousseau.

Finalement, c’est La Hutte qui prend le relais et réalise en quelques semaines ce qui prend normalement des années : construire une nouvelle ressource.

Pour mobiliser la communauté de Saint-Jérôme, il fallait susciter des adhésions. «Nous avons donc invité tout le monde – préfet, milieu d’affaires, élus, etc., à visiter La Hutte à Terrebonne pour comprendre son fonctionnement», explique le directeur général de l’organisme, François Savoie.

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PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE ARCHIVES

Une femme en situation d’itinérance à Saint-Jérôme, à l’été 2021

Pour construire une nouvelle ressource de roaming de 56 places, avec services, il a fallu lever 7 millions. «Quand nous avons signé le contrat avec l’entrepreneur, nous n’avions pas un sou», se souvient en riant Louis Rousseau, du CISSS.

La Caisse populaire contribue 1,2 million de dollars, soit le don le plus important de l’histoire des Laurentides. Autre petit miracle : le permis est délivré dans un délai de six mois, un délai impensable en - normal. « L’appui de la haute direction permet de régler de nombreux problèmes », note Sylvain Pagé.

Les parties prenantes se réunissent tous les mardis matin pour planifier et coordonner le projet et aplanir les obstacles. La clé : travailler ensemble autour d’un même objectif. Parallèlement, la Ville intensifie la communication avec la population, affirme Sylvain Pagé. « On a fait du porte-à-porte, on a informé les gens au fur et à mesure de l’évolution du projet. »

«La crise a été une opportunité, car elle nous a obligés à nous mobiliser», explique Louis Rousseau, du CISSS. Si ça va mal, tant mieux ! C’est une opportunité de changement. »

« Pas parfait, mais bien mieux »

Cette crise aura également contraint les acteurs à organiser les services différemment sur le terrain. « Au CISSS, nous avons séparé les ressources consacrées à l’itinérance de celles à la dépendance et nous avons formé l’équipe Espoir. Les médecins et les psychiatres travaillent dans la rue, ce qui était impensable auparavant », assure Louis Rousseau.

Cette équipe collabore avec la brigade PACIFIQUE composée de quatre agents et d’un sergent qui travaillent également sur le terrain.

Aujourd’hui, il y a une meilleure coordination des services qui se traduit par une meilleure cohabitation.

Louis Rousseau, from the CISSS des Laurentides

Bien entendu, tout n’est pas réglé. Pourtant, les résidents de Saint-Jérôme voient des gens s’en sortir.

« Les questions sur l’itinérance sont devenues extrêmement rares lors des séances du conseil municipal », observe Sylvain Pagé. Ce n’est pas parfait, mais c’est bien mieux. »

On peut dire que l’expertise de François Savoie, directeur général de La Hutte, a beaucoup compté. Ancien directeur du CIUSSS de Lanaudière, il dirige l’organisme communautaire depuis six ans. «C’est moi qui donnais et demandais de l’argent», constate celui qui travaille sans abri depuis 30 ans.

« La confiance est au cœur de ce modèle », affirme Louis Rousseau. Nous travaillons en bande et aujourd’hui, on peut dire que la situation s’est inversée. C’est la Ville qui demande à La Hutte : alors, quels sont vos prochains projets ? »

 
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